La domotique souffre encore de graves défauts de jeunesse qui entravent son développement.
Bâtirama démarre la publication d’une série d’articles sur la domotique et les objets connectés. Pour illustrer l’état technique et commercial de la domotique, une comparaison avec l’informatique personnelle sera faite.
L’exercice est cruel, mais salutaire et met bien en exergue les insuffisances, tant techniques que stratégiques, des offres domotiques disponibles en Europe aujourd’hui.
- L’univers de la maison a évolué. On s’attend aujourd’hui à ce que la domotique sache piloter non-seulement le chauffage et l’éclairage, mais aussi la production, le stockage d’énergie dans la maison et la recharge des véhicules électriques. Doc. PP
Une imprimante fonctionne avec tous les ordinateurs
Je viens d’acheter une nouvelle imprimante. Mon ordinateur sous Windows 10 l’a parfaitement reconnue, toute comme mon vieux MacIntosh. D’ailleurs, grâce à Google Cloud Print, j’imprime aussi depuis mon smartphone Samsung.
Tout ça semble parfaitement normal et il ne viendrait à l’idée de personne de devoir appeler un technicien chaque fois que l’on veut connecter un nouvel ordinateur à son imprimante. Ce serait absurde.
Toute marque d’imprimante qui tenterait d’imposer une chose pareille au marché, en serait chassée par les consommateurs courroucés et les revendeurs alarmés.
- Même pour les installateurs, les solutions domotiques demeurent souvent ésotériques et manquent de simplicité. Doc. PP
La domotique est très, très en retard
En domotique, c’est la réalité quotidienne. D’abord, les appareils domotiques ne parlent pas la même langue. Certains parlent KNX, d’autres ZigBee, d’autres encore parlent seulement la langue de leur fabricant. On dit alors qu’ils utilisent un “protocole propriétaire”, pour ne vexer personne.
Mais, en réalité c’est une sorte de dialecte, qu’on ne peut pas apprendre si on n’est pas né dedans et qui n’a aucun intérêt au-delà de l’étroite zone géographique où on le parle. Pourtant, la domotique aujourd’hui vit dans une juxtaposition de dialectes.
Le détecteur de présence Legrand n’est pas capable d’enclencher l’interrupteur Schneider Electric, le moteur de volet roulant Somfy ou le thermostat connecté d’elm leblanc qui pilote la chaudière ou la pompe à chaleur.
- Delta Dore a développé depuis plus de deux ans, une interface de pilotage des installatiuon domotique qui repose sur l’utilisation de photos des pièces, dans lesquelles on incruste les appareils à piloter. Doc. PP
Chacun dans son pré carré
C’est comme si une nouvelle imprimante ne fonctionnait qu’avec Windows 7, par exemple. Ce serait inacceptable. En domotique c’est parfaitement normal. Le consommateur, lui, n’y peux rien et, à vrai dire, ça va vite l’énerver
Quant à Installateur, il n’y peut rien non-plus et ça l’énerve aussi. Surtout, ça le désespère. Il pourrait vendre tellement plus de domotique, si les divers appareils pouvaient fonctionner ensemble.
La nouvelle imprimante, elle, est branchée en USB à l’ordinateur Windows. Elle fonctionne en WiFi avec un MacIntosh et un smartphone… Samsung !
Elle dispose aussi d’une prise réseau afin de pouvoir la raccorder à un réseau local. Elle communique donc sur plusieurs supports physiques : câble USB, réseau TCP/IP câblé, réseau sans fil. De plus, toutes les imprimantes parlent la même langue et tous les appareils acceptent de leur parler dans cette langue
- L’ère des protocoles propriétaires n’est pas révolue. La solution domotique ABB apparue il y a deux ans, tourne le dos au protocole ouvert KNX et introduit un protocole propriétaire. Doc. PP
L’intervention d’un professionnel est obligatoire à chaque étape
Enfin, rien n’a été configuré. Il a suffit de brancher l’imprimante et les divers appareils l’ont reconnue. Et ils savent utiliser toutes ses possibilités, dont des subtilités comme l’impression recto-verso. Tout ça pour moins de 70 €.
En domotique, on ne peut même pas imaginer un tel fonctionnement. Pourtant tout utilisateur final en rêve. Les installateurs aussi, d’ailleurs. Sauf exception – le Geek pense tout savoir mieux que l’installateur. Et souvent, il n’a pas tort -, les clients n’ont aucun intérêt pour KNX ou Zigbee.
Ils choisissent les fonctions. Ils ont un coup de cœur pour un appareil pour toutes sortes de raisons – il est beau, il est sans fil, etc. – qui commercialement ne regardent pas l’utisateur
Mais l’installateur doit les conseiller, mais pas les brider et surtout installer ce qu’ils veulent. Voire faire en sorte que l’installation originale puisse s’étoffer sans aucune intervention supplémentaire.
- En Allemagne, Hager propose des compteurs électriques dotés d’une communication en KNX. Au moins, tous ceux qui maîtrisent KNX peuvent s’en servir et imaginer de nouveaux services à proposer à leurs clients. Doc. PP
La domotique est trop bête
D’ailleurs le consommateur final ne demande pas la lune. Il voudrait, par exemple, acheter un détecteur de présence, quelle que soit sa marque. Que le thermostat connecté le reconnaisse tout seul et s’en serve, sans que l’installateur intervienne pour le configurer.
Ce serait d’ailleurs commercialement logique. Le prix des appareils baisse sans cesse. Le client peut trouver un détecteur de présence à moins de 30 €. Si l’installateur intervient, avec le déplacement, la main d’œuvre et le reste, il en aura pour 200 € minimum. Ce n’est pas rationnel.
Pour l’instant, ce schéma n’est possible que si le client a acheté un détecteur de présence Nest pour fonctionner avec son thermostat Nest. Ce fonctionnement demeure très rare. La plupart des marques n’en sont pas capables. Quant à faire fonctionner ensemble, sans intervention, des appareils de marques différentes, même s’ils parlent le même langage, il ne faut pas y songer.
- Pluzzy de Toshiba sait faire des tas de choses, notamment un pilotage par zone d’une installation de chauffage à eau chaude grâce à des têtes thermostatiques capables de dialoguer en ZigBee. Mais, il ne sait toujours pas piloter les pompes à chaleur à variation de fréquence de Toshiba. Doc. PP
Rêvons un peu
Dans l’univers d’un même langage, KNX, par exemple. Le détecteur de présence Hager ne fonctionnera avec un thermostat Legrand que si l’installateur vient reconfigurer l’installation. Et on considère ça comme un progrès important : c’est à pleurer. Il faut que la domotique progresse et fonctionne bien davantage comme l’informatique personnelle.
Tout le monde rêve de l’autodéclaration : on ajoute un appareil à une installation existante, il se déclare lui-même au réseau, proclame ce qu’il sait faire et demande ce dont il a besoin. Surtout, il apparaît tout seul sur l’application qui sert à piloter le logement depuis un smartphone, une tablette, un écran mural, etc. Bref, comme une imprimante sait le faire depuis 20 ans.
Nous en sommes très loin. L’intervention de l’installateur est encore souvent nécessaire pour reconfigurer une installation chaque fois que le consommateur veut ajouter quelque chose. L’intervention de liInstallateur est requise parce que la procédure est complexe. Il faut un spécialiste et il n’y en a pas tant que ça en France.
- HUE, les luminaires Leds de Philips Lighting sont pilotés en Zigbee et en enOcean (sans fil, sans pile), mais seulement à travers les Applications Philips Lighting. Doc. PP
Trop peu de domoticiens
Les spécialistes – ces domoticiens dont chaque fabricant souhaite la multiplication - ont tendance à être attachés à l’univers d’une marque. Parce que, maîtriser une seule marque c’est déjà dur. En maîtriser deux, c’est encore plus difficile. Etre à l’aise avec les solutions de trois marques, demeure un exploit réservé à l’élite des domoticiens.
Faisons le tour. Somfy dispose d’un peu plus de 200 installateurs partenaires pour ses solutions domotiques. Delta Dore propose quelques centaines de membres dans son club d’installateurs domoticiens. KNX recense environ 2700 partenaires en France, mais la liste contient aussi bien ABB et Schneider Electric que les centres de formation AFPA ou Arcelor Mittal.
De nombreuses entreprises y apparaissent plusieurs fois. 12 fois pour ABB ou 22 fois pour Schneider Electric, par exemple. Au total, il doit y avoir moins de 1000 installateurs KNX en France. Au bout du compte, FFDomotique (Fédération Française de Domotique, http://www.ffdomotique.org/) estime qu’environ 1500 domoticiens sont actifs en France.
- La domotique commence toujours par des sondes et des actuateurs pour motoriser et automatiser des fonctions précises. Cet appareil Free@Home (protocole propriétaire) de Busch-Jäger (ABB) s’occupe des volets roulants. Doc. Busch-Jäger
Le minimum syndical des offres domotiques
Pour l’instant, chaque fabricant aborde la domotique en partant de ce qu’il sait faire et aboutit à une sorte de minimum conventionnel des fonctions domotiques qu’il faut aujourd’hui proposer au marché. Delta Dore a commencé par la maîtrise des installations de chauffage, notamment électriques. Philips Lighting vient du pilotage de l’éclairage.
Legrand est parti de l’univers des appareillages électriques pour développer une offre domotique très complète. Schneider Electric a créé Wiser, une solution de pilotage de l’éclairage et des prises électriques, un peu du chauffage et bientôt, c’est juré, de tellement d’autres choses.
Trois ans après son introduction, Pluzzy, mis au point par le groupe Toshiba, n’est toujours pas capable de piloter les pompes à chaleur Toshiba, mais il sait faire plein d’autres choses. MyFox venait de l’alarme, etc.
Nous vous proposerons un bilan détaillé des fonctions de ces divers systèmes sous forme de tableau dans un prochain article. Mais, constatons dès à présent que toutes les marques convergent vers une sorte d’offre minimum qui inclut :
- la détection de présence,
- le pilotage de l’éclairage,
- le pilotage des prises électriques,
- le pilotage du chauffage : générateurs de chaleur à travers un contact sec tout ou rien, le chauffage électrique par fil pilote mais pas pour tous les systèmes et le pilotage du chauffage par zones pour certaines offres,
- la détection d’ouverture de fenêtres en lien avec le pilotage du chauffage
- les alarmes,
- les caméras connectées
- la possibilité de programmer des scénarios : une seule commande ou évènement déclenche toute une série d’enchaînements. Le scénario typique est la simulation de présence ou le mode Week-end, par exemple.
Le reste est en option : détection de fuites d’eau, de gaz, pilotage des volets roulants et des protections solaires, pilotage et distribution dans le logement de la musique et de la vidéo, etc.
- La programmation et le monitoring des prises électriques, notamment la mesure de leur consommation électrique, fait partie du minimum syndical que doivent proposer les diverses offres domotiques, avec en plus l’archivage, puis l’analyse de ces consommations et sa restitution sous une forme facilement compréhensible par le client.
- Il ne suffit pas d’une App pilotant des appareils, ici l’éclairage d’Osram, pour faire de la domotique. Cela voudrait dire une App par type d’appareil, sans communication entre-elles. Il faut mutualiser. Doc. PP
Le coup de pied du 2.0
Bref, si la domotique n’a pas plus avancé en trente ans, c’est tout simplement que les fabricants ne le veulent pas ou ne le voulaient pas jusqu’à présent. Chacun poursuivait le rêve, un peu vain, de pouvoir, seul, proposer à tous les clients – installateurs et consommateurs -, tout ce dont ils ont besoin.
Ils ont compris, récemment, qu’il était peut-être plus intelligent de mutualiser leurs ressources. Mais surtout l’arrivée disruptive de nouveaux acteurs venus de l’univers internet leur a donné un bon coup de pied et les a fait réfléchir. En 2016, c’est promis, la domotique deviendra adulte, intelligente et responsable. Enfin, en 2017 au plus tard. En tout cas, en 2018, ce sera fait.
Dans notre second article, nous vous présenterons ces efforts de mutualisation – les sincères et les tartufferies –, les perspectives ouvertes par les nouveaux acteurs, mais aussi la cacophonie croissante qu’elle engendre à court terme.
Source : batirama.com / Pascal Poggi