L?un des décrets pour la transition énergétique doit imposer l?isolation dans les travaux d?entretien du résidentiel. Un expert donne son avis.
Le bâtiment est en France le plus gros consommateur d’énergie, à l’origine de 43% des consommations énergétiques et de 25% des émissions de CO2 du pays. Il n’est donc pas étonnant qu’à l'issue de la 4e conférence environnementale qui s’est achevée le 26 avril dernier, Ségolène Royal ait annoncé la publication de douze décrets pour la transition énergétique dans ce secteur (voir ci-dessous).
L’un de ces décrets, dont la date de publication reste encore incertaine (initialement prévu au plus tard pour la mi-mai, il voit aujourd’hui son échéance dépassée), introduit l’obligation d’embarquer l’isolation dans les travaux d’entretien courants, tels que ravalement, étanchéité ou réfection de la toiture, etc.
Expert en Efficience énergétique et Bâtiment durable chez Rockwool, Stefano Millefiorini nous apporte son éclairage sur les conséquences qui pourraient résulter de ce décret, manifestant à la fois son adhésion au projet et son inquiétude quant à ses conséquences.
Bâtirama : Quelles sont les obligations imposées par ce décret et quel en est l'impact pour le marché de la rénovation/l’isolation
?
Stefano Millefiorini
: « Le décret concerne le résidentiel, en maison individuelle comme en collectif. Les données du décret étaient déjà présentes dans la loi de Transition Energétique qui prévoyait qu’à partir du 1er janvier 2017, lorsqu’un bâtiment doit faire des travaux d’entretien courant (réfection de toiture, ravalement, aménagement des combles ou extension de l’habitat), il serait obligatoire d’intégrer des travaux d’isolation.
Ces travaux d’isolation se feraient par l’extérieur en cas de ravalement, au niveau de la toiture en cas d’étanchéité d’une toiture-terrasse, et en isolation sous toiture en cas d’aménagement de combles, etc..
Il s’agit d’un texte très positif pour nous, professionnels de l’isolation, mais aussi pour la politique énergétique de la France qui doit tenir ses promesses d’efficacité énergétique. D’autant que ce décret, à priori, ne remet pas en cause les aides financières de l’Etat en matière d’efficacité énergétique.
Ce décret comporte-t-il des risques et des zones d’ombre ?
Stefano Millefiorini
: Nous sommes en effet inquiets sur la façon dont tout ceci va se traduire dans la pratique, car ce décret prévoit de nombreuses exceptions, légitimes, certes, mais qui risquent de le mettre à mal.
Ainsi, le texte indique que l’on ne peut pas effectuer de travaux s’ils entrainent une forme de pathologie ou s’il y a risque au niveau architectural (pas d’ITE possible sur un immeuble haussmannien, par exemple). Ndlr : pas d’ITE non plus sur une maison à colombage par déduction.
Les exceptions citées peuvent également donner lieu à des dérives, notamment dans le cas d’un architecte qui ne veut pas que l’on «dénature» son bâtiment ou encore d'un risque de devis défavorables (gonflés au niveau de l’ITE et réduits au niveau du ravalement).
A cela s’ajoute la question de la rentabilité économique de l’opération : ces travaux ne deviennent plus obligatoires si un homme de l’art prouve que le retour sur investissement est supérieur à 10 ans. Or, avec l’ITE, il est difficile de se trouver sous ce seuil de 10 ans. Ainsi, ces exceptions ne vont-elles pas apporter moins de travaux qu’espérés ?
Quelles interactions sont à prévoir avec le carnet de suivi et d'entretien du logement ?
Stefano Millefiorini
: Nous avons eu une surprise : les experts du secteur affirmait au départ qu’il y avait un lien direct entre ce décret et le passeport Rénovation, ce dernier en étant un peu l’outil de pilotage et imposant une forme de calendrier afin d’être au rendez-vous des exigences énergétiques fixées pour 2050 et atteindre, grâce aux travaux d’isolation, un minimum de 80 kWh/m2 /an.
Or, Ségolène Royal et le ministère de l’Ecologie » ont lancé une expérimentation avec Engie, mais dont l’issue est incertaine dans la pratique car il apparaît qu’il s’agit surtout de permettre au fournisseur d’énergie de récupérer des certificats d’économies d’énergie.
Résultat : la DHUP considère aujourd’hui qu’il n’existe aucun lien et que le passeport Rénovation et le décret prévu sont deux éléments totalement indépendants. Il semble ainsi que ce décret vivra tout seul, bien loin de ce que l’on avait espéré !
Source : batirama.com / Michèle Fourret
Zoom sur les 12 décrets
Les douze décrets en voie de publication, devraient tous être officialisés d’ici fin juin. En voici la liste :
- un décret prévoit de procéder automatiquement à des travaux d’isolation en cas de travaux importants
- un décret sur les compteurs individuels
- un décret sur le bonus de constructibilité pour les bâtiments à énergie positive et à haute performance environnementale
- un décret sur la rénovation des bâtiments tertiaires
- un décret sur l’obligation de pré-câblage pour véhicules électriques et de locaux vélos
- deux décrets sur le fonds de garantie de la rénovation énergétique pour permettre à tous l’accès au logement
- un décret facilitant l’isolation par l’extérieur
- un décret modifie la gouvernance du CSTB
- un décret sur la performance énergétique comme critère de décence
- un décret sur les bâtiments publics exemplaires (labels BEPOS et bas carbone)
- un décret fixera en 2018 la nouvelle réglementation construction qui succèdera à la RT 2012 (bas carbone, basse consommation, mais aussi des critères eau, déchets, économie circulaire, cycle de vie).
A cela s’ajoute le lancement de la révision des performances énergétiques pour les bâtiments existants. L’arrêté qui fixe la performance énergétique des bâtiments existants date de 2007. La refonte de cet arrêté est engagée et vise à reprendre les dispositions les plus exigeantes au niveau européen. Ce nouvel arrêté devrait être publié avant la fin de l’année.