En France, il pousse autant de sapins que d?épicéas. Mais la filière de transformation des résineux préfère l?épicéa. Le « roi des forêts » détrôné cherche une issue.
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Ces dernières années, Interprofession Forêt Bois 42 et son animateur Marc Delorme ont mené une réflexion dans le cadre d’un groupe de travail dédié aux difficultés de commercialisation des sapins blancs dits sapins pectinés.
Il en pousse beaucoup dans le département de la Loire, mais également un peu partout dans la nouvelle grande région Auvergne-Rhône-Alpes, sans oublier le Jura et les Vosges, pour ne parler que de la France.
En tout, 800 000 hectares sur un total de 15 millions d’hectares de forêt. C’est autant que l’épicéa, qui est le résineux de référence, présent aujourd’hui en masse en Allemagne, Autriche, Suisse, Scandinavie et Europe de l’Est.
17 ans après la tempête Lothar, les sapins repoussent tous seuls, mais qui en voudra plus tard ?
Chasse à l’or en Forêt Noire
En avril dernier, lors du Forum International Bois Construction de Lyon, une après-midi entière a été consacrée au sapin. Les Français ont découvert que la Forêt Noire fait face depuis longtemps à des difficultés de commercialisation analogues.
Si ce n’est que les Allemands oeuvrent depuis vingt ans déjà pour revaloriser cette essence, dans le cadre d’une association baptisée « Forum Weisstanne ». Le travail a porté ses fruits.
En effet, selon Ewald Elsässer, son initiateur, l’emploi du sapin, notamment en aménagement intérieur de lieux publics comme les écoles, est devenu une forte tendance locale. Les sciages de sapin se sont repositionnés comme produits de prestige.
Depuis 12 ans, la tour panoramique de Kehl, en sapin, offre une vue sur Strasbourg à 44 m de haut.
Les spécialistes français intéressés
C’était assez pour attiser la curiosité des spécialistes français du sapin, qui viennent d’organiser en l’espace de deux mois deux voyages en Forêt Noire. Les forestiers privés sont venus en septembre, tandis que les trois interprofessions de l’Isère, de la Loire et de l’Ardèche ont mutualisé leurs efforts, avec succès.
Fin novembre, c’est un groupe de 45 personnes qui est parti à la chasse de ce nouvel or blanc. La veille, les assises régionales de la forêt et du bois, à Lyon, ont permis à la région d’annoncer notamment sa volonté d’accompagner
la recherche et développement et l’innovation en priorité pour les gros bois, ainsi que le sapin et les feuillus.
Premier R+3 administratif tout en bois, la Maison des paysans de Fribourg affiche le sapin en façade et dans l’aménagement intérieur.
Village gaulois outre-Rhin
Face à l’épicéa, le sapin dispose de certains atouts écologiques. L’absence de résine en fait un bois utilisable en aménagement intérieur. Mais les charpentiers ont toujours subi son poids un peu supérieur. Surtout, l’épicéa sèche plus facilement.
Comme il faut du bois sec pour fabriquer des produits collés comme le Bois Massif Abouté ou les poutres Duo et Trio, sans compter les panneaux massifs CLT, l’épicéa s’impose à l’échelle internationale dans le domaine des bois d’ingénierie. Partout ? Non ! Une poignée d’irréductibles paysans forestiers résiste.
Le plus grand bâtiment d’Europe en sapin structurel a été inauguré il y a un peu plus d’un an à Baden-Baden.
En Forêt Noire, depuis 300 ans, le droit de succession interdit le morcellement de la forêt. Les paysans disposent en moyenne de parcelles boisées de 20 à 50 hectares, et ils les cultivent régulièrement, de sorte qu’ils en tirent des revenus couramment.
Sauf que les scieries ont commencé à faire la fine bouche devant ces sapins locaux qui sèchent moins bien, imposant des rabais. Les paysans se sont regroupés et ont cherché une issue.
Ils l’ont trouvée notamment dans la particularité qu’ont les grands sapins de fort diamètre de constituer près de leur circonférence des zones assez allongées exemptes de nœuds. Bien trié, ce bois permet de surclasser le bois clair en épicéa, dès lors que l’on recherche ce type d’aspect.
Vue intérieure du bâtiment, où sont commercialisés des produits du terroir.
Le chic du sans nœuds
Regroupés autour de l’association « Forum Weisstanne », les paysans forestiers de Forêt Noire ont mis à la mode l’aspect clair sans nœuds. Depuis dix ans, un transformateur local, Lignotrend, marque des points à l’international sur le segment tellement bataillé du plafond acoustique, grâce à des plafonds en sapin rainurés sans nœuds.
Un fabricant local de fenêtre bois-alu comme Schillinger marie avec bonheur l’aluminium côté extérieur et le sapin côté intérieur. Le scieur Echtle est allé trouver pour le sans nœuds des débouchés jusqu’au Japon.
Fabrication de caisson de plancher à absorption acoustique et sous-face en sapin sans nœuds (Lignotrend)
Le problème, c’est que le sans nœud représente au mieux 10 à 15% du bois d’un beau gros sapin. Que faire du reste ? Très vite, on descend vers un usage en emballage, peu rémunérateur, voire le bois énergie.
Une rentabilité très médiocre
Et puis, les gros diamètres, cela ne se scie pas avec la même efficacité que les diamètres moyens, qui passent à toute vitesse dans les lignes ultra-modernes, les canters.
En Forêt Noire comme en France, le sapin sans nœuds, la qualité menuiserie, s’écoule d’ailleurs apparemment sans trop de peine. La rentabilité très médiocre du reste de la grume dissuade les propriétaires de récolter et les sapins continuent de pousser comme des baobabs.
Les articles qui vont suivre présenteront plus précisément les démarches du scieur Echtle, du fabricant de fenêtres Schillinger, du charpentier Weingärtner et de l’industriel Lignotrend. Ils comptent, chacun sur leur créneau, parmi les transformateurs les plus en pointe de la filière sapin pectiné en Forêt Noire, et sans doute en Europe.
Une partie de la variété des produits en sapin proposés par le négociant Hirsch à Rheinstetten, à un jet de pierre de l’Alsace.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven