Un an d?expérimentation sur des travaux courants dans le parc social a permis de valider des modes opératoires de retrait d'amiante garantissant la sécurité de tous !
De l’amiante, on en trouve partout dans le parc ancien d’avant 1997. Dans les dalles de sol, la colle, les joints, les cloisons, les enduits… On estime qu’en Ile-de France, près d’un million de logements sociaux seraient concernés (en France, plus de 15 millions de logements, privés comme sociaux).
C’est dire si le sujet est sérieux et pris à bras le corps par les bailleurs sociaux qui entendent prendre les précautions. Quelque 300 000 salariés seraient potentiellement exposés à l’inhalation de fibres d’amiante en Ile-de-France.
Expérimenter les modes d’intervention pour les travaux d’entretien
Ce n’est donc pas un hasard, si l’Association des organismes HLM de la Région Ile-de-France (Aorif) et dix bailleurs sociaux franciliens (groupement de bailleurs Elogie-Siemp, Rivp, Batigère, ICF la Sablière, Emmaüs Habitat, La maison du Cil, Logivam, OPH Montreuillois et Adoma) se sont prêtés à la campagne de chantiers tests lancée il y a un an.
Objectif : expérimenter les modes opératoires innovants en sous-section 4, c’est-à-dire pour les travaux d’entretien et de maintenance ponctuels susceptibles de provoquer l’émission de fibres d’amiante ; interventions par définition courtes et non programmées, réalisées en logement occupé qui sont nombreuses sur un parc social et mal encadrées, contrairement aux travaux de désamiantage relevant de la sous-section 3.
Obligations réglementaires
Mais c’est aussi pour les bailleurs sociaux de répondre à leurs obligations en tant que donneurs d’ordres, lors d'interventions relevant de la sous-section 4 du décret n°2012-639 du 4 mai 2012.
Depuis cette date, une entreprise du BTP ou une régie de travaux intervenant en sous-section 4 doit établir des modes opératoires pour chaque type d’intervention sur matériaux susceptibles de contenir de l’amiante (nature de l’intervention ; matériaux concernés ; modalités de contrôle du niveau d’empoussièrement du processus mis en oeuvre et du respect de la valeur limite d’exposition professionnelle ; descriptif des méthodes de travail et moyens techniques mis en œuvre…).
Le personnel de l’entreprise (ouvriers et encadrants) doit également avoir été formé, conformément à l’arrêté « formation » du 23 février 2012. Il est de la responsabilité du donneur d’ordre de s’assurer que l’entreprise a respecté les exigences réglementaires applicables.
Or, il est observé que les entreprises rencontrent des difficultés pour rédiger des modes opératoires pour leurs interventions. Ce constat a donc aussi incité les bailleurs sociaux à se mobiliser pour cette expérimentation.
Démarche partenariale
Deux conventions ont été signées le 19 janvier 2016 : d’une part avec l’OPPBTP pour s’inscrire dans le projet Carto Amiante, d’autre part avec la Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif) pour bénéficier de son expertise dans le cadre de la campagne de chantiers tests.
Lancé en 2014 par l’OPPBTP avec la DGT (Direction générale du travail) et l’INRS, le projet Carto Amiante a pour objectif d’aider les entreprises du bâtiment à évaluer le risque amiante à partir de niveaux d’empoussièrement de référence.
Basé sur une quarantaine de travaux courants, il récolte une vingtaine de mesures par situation de travail. De quoi promouvoir en toute fiabilité des standards opérationnels adaptés.
60 chantiers tests pour un coût de 238 000 euros
Ces deux conventions se sont concrétisées en 2016 par le déploiement de 60 chantiers tests. L’expérimentation a duré un an pour un coût de 238 000 euros, financé à 50 % par les 10 bailleurs et à 50 % par un financement du Fonds de Soutien à l’Innovation (FSI).
Elle s’appuyait sur un cahier des charges précis : les interventions devaient être réalisables par une seule personne ; avec des protections individuelles réduites mais suffisantes et adaptées au niveau d'émission réel ; nécessitant des matériels transportables facilement ; s’adaptant aux pratiques actuelles des compagnons afin de permettre l’acceptation du changement ; et reproductible et peu coûteuse.
8 modes opératoires passés au crible
Huit modes opératoires ont été testés : percement dalles de sol et/ou colle amiantée ; percement enduit amianté (mur et plafond) ; percement conduit fibrociment : vissage et dévissage sur mur amianté ; préparation de mur avec de l'enduit ou peinture amiantés - entoilage ; préparation de mur avec de l'enduit ou peinture amiantés – décapage ; dépose de revêtement de sol en pose libre sur un sol existant en dalles amiantées et pose de revêtement sur dalles de sol amiantées.
Pour chacun des chantiers, trois types de mesures ont été mises en oeuvre : la mesure sur opérateurs, permettant de qualifier le niveau d'empoussièrement du processus et de vérifier le niveau d'exposition des salariés (VLEP) ; la mesure environnementale réalisée avant la restitution du logement et la mesure d’ambiance, réalisée sur 4 heures de travaux, qui permet de s’assurer de l’absence de dispersion de fibres à proximité immédiate de l’opérateur.
Bilan très positif
Outre une forte mobilisation, des bailleurs sociaux mais aussi des entreprises de bâtiment (27) et des deux régies de travaux d’organismes de logement social, et plus largement des 140 participants, le bilan des chantiers tests est très positif au regard des trois facteurs de réussite fixés au début de projet.
86 % des chantiers tests ont obtenu un niveau d’empoussièrement (tant sur opérateur qu’en zone de travail) inférieur au code de santé publique (< 5 f/L). Seul un mode opératoire sur un matériau spécifique (fibrociment amianté) n’a pas permis la répétitivité de ces résultats.
Par ailleurs, la reconnaissance de la démarche par les organismes de prévention est en cours. Enfin, la forte mobilisation d’entreprises ayant participé à la démarche montre la prise de conscience du risque amiante lors de ce type d’intervention.
Montée en compétences des acteurs
Cette expérimentation a également permis une montée en compétences des participants. Mieux, elle a créé une dynamique. Alban Charrier, directeur du patrimoine chez le bailleur social Elogie-Siemp, initiateur de ces chantiers tests, voit de nombreux avantages dans cette expérimentation.
« On sait maintenant qu’il existe des solutions simples pour protéger les salariés et les occupants, encore un peu chères certes, mais leur prix devrait baisser », insiste-t-il, tout en indiquant que cette démarche, grâce au travail partenarial, a permis de « dédramatiser les relations entre les organismes de contrôle et les bailleurs ».
Le percement avec gel pourrait devenir une règle de l’art
Une des solutions mises en lumière pour le percement est l’utilisation du gel, plutôt que celle des lourds aspirateurs à très haute efficacité : « quand il y a deux trous à faire en urgence, il est plus simple pour l’intervenant, souvent un artisan, d’avoir une poche de gel que l’aspirateur dont il faut vider le sac, un risque supplémentaire.
On peut tout à fait imaginer que cette pratique sera intégrée dans le Plan Recherche et Développement Amiante présidée par Alain Maugard et validée par la commission d’évaluation des innovations techniques dans le domaine de la détection et du traitement de l’amiante, nouvellement créée (http://www.batirama.com/article/14051-une-commission-amiante-pour-accelerer-la-renovation-des-batiments.html), pour devenir une règle de l’art ».
La poche de gel, source de sécurité et plus efficace à utiliser par les artisans sur les chantiers ©Lapro
Reste que ce type d’expérimentation a ouvert la voie à d’autres thématiques. «Une démarche similaire, inter-bailleurs, devrait être prochainement engagée sur les peintures au plomb dont le risque est moins pris en compte que celui de l’amiante », conclut Alban Charrier, qui précise toutefois que l’heure est à la diffusion de ces bonnes pratiques pour une généralisation des nouvelles techniques d’intervention testées.
Source : batirama.com / Frédérique Vergne