Un maire en guerre avec l’ABF sur le projet de rénovation d’une gendarmerie 

Le maire de Tramayes (71) en appelle au Président de la République : l?édile est en guerre avec l?architecte des Bâtiments de France sur le projet de réhabilitation d?une gendarmerie.

C’est une affaire peu simple qui secoue tout un territoire et agite deux ministères : celui de la Culture avec ses fonctionnaires (les architectes des Bâtiments de France) « campés » sur leurs positions, et celui de la ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, Ségolène Royal. Au cœur du conflit, l’application stricte du décret Travaux embarqués.

 

Ségolène Royal est même intervenue, sans résultat, dans cette guerre ouverte opposant localement les architectes des Bâtiments de France à la Commune de Tramayes (71), porteuse d'un projet de réhabilitation dans le cadre d'une convention TEPCV (Territoire à énergie positive pour la croissance verte).

 

Rappelons les faits. La commune de Tramayes souhaite réhabiliter thermiquement une ancienne gendarmerie, environ 740 m2 en trois niveaux, vidée de ses derniers occupants, pour y créer des logements à loyer modéré. Elle avait, à l'origine, deux stratégies possibles :

 

- soit démolir pour reconstruire 10 logements thermiquement " positifs " sans contrôle de l'aspect futur, avec éventuelle cession du foncier. C’est une solution facilement adoptée aujourd’hui car les solutions financières existent toujours : il suffit, par exemple, de faire appel à un promoteur privé pour gérer le projet.

 

- soit réhabiliter la gendarmerie dans le cadre d’un projet de rénovation énergétique du Bâtiment étudié en partenariat avec le maître d’ouvrage, la commune, et la maîtrise d’œuvre, les Architectes des Bâtiments de France étant partie prenante aux abords du château classé MH.

 

 

L'ancienne gendarmerie de Tramayes, vidée de ses occupants, fait l'objet d'un projet de réhabilitation afin de créer des logements à loyer modéré.

 

Un appel à projet TEPCV

 

Après avoir préféré la solution de la réhabilitation, la commune de Tramayes opte pour un appel à projet TEPCV qui lui ouvre une troisième voie, avec un apport financier conventionné de 100 000 euros.

 

La solution préconisée par l’agence d’architectes-ingénieurs AMD-AI à Torcy* (71) consiste en une Isolation thermique par l'extérieur (ITE)  de 20 cm d'isolant biosourcé, par exemple laine de bois (ou tout autre), issue du développement de la filière de pins Douglas dans la région.

 

Avantage : le chantier offre un site d'expérimentation en vraie grandeur, cohérent dans le cadre TEPCV. Le choix final resterait à déterminer à l'appel d'offres du chantier. L'enveloppe prévisionnelle estimée à 1,441 M € HT se justifie pour une consommation globale d'énergie évaluée à moins de 50 % de la BBC rénovation (96 kW/m2/an).

 

Une ITE et un investissement réduit pour la commune

 

La stratégie choisie allie le confort garanti par l'ITE, été comme hiver, au maintien de l'unité architecturale du bourg. Il applique la règle inflexible des monuments historiques : la réversibilité des transformations.

 

L'isolant biosourcé étant directement appliqué sur l'enduit existant, la façade retrouverait son état original si cette expérimentation devait être reprise d'ici quelques années. Et enfin, l’apport financier conventionné réduit l’investissement de la commune.

 

Mais cette solution ne remporte pas l’adhésion des ABF. Ces derniers préconisent de conserver, en le « momifiant », l'aspect l'extérieur du Bâtiment au prix d'un enduit extérieur classique (à refaire), et de poser un isolant en doublage intérieur.

 

 

Le cabinet d'architecture sollicité par la commune préconise l'application d'une Isolation thermique par l'extérieur avec 20 cm d'isolant biosourcé

 

L’ABF refuse le projet

 

L'ABF invoque dans ses motifs de refus :

 

- la création d'un dispositif d'isolation extérieure appliqué à la façade urbaine d'un bâtiment du 19e siècle, en surépaisseur par rapport au bâti à l'alignement encadrant la place du Champ de Foire,

 

- la rupture de continuité urbaine historique avec le très bel immeuble voisin, daté également du 19e siècle, aux modénatures remarquables,

 

- la perte de matérialité de l'immeuble en pierre (disparition de l'irrégularité de la maçonnerie, modénatures de la porte d'entrée, modification des appuis de fenêtre) induite par la pose du complexe isolant, etc [...]

 

Or, cette solution est peu efficace, selon le maire Michel Maya, qui pointe du doigt des risques de condensation, et l’inconvénient d'une surface locative réduite, et donc de loyers inférieurs aux prévisions. C’est par ailleurs une solution plus coûteuse à l'usage, inabordable pour Tramayes qui ne peut financer seule cette réhabilitation.

 

Mise en application du décret Travaux embarqués

 

" À mes yeux, le projet de réhabilitation est emblématique de la mise en application du décret travaux embarqués et de la recherche nécessaire d’un compromis entre les objectifs de la transition énergétique et la préservation du patrimoine. Les deux objets ont des buts louables mais il faut aussi savoir raison garder en défendant l’un ou l’autre de ces buts. […] explique le maire de Tramayes.

 

« C’est en fait ce que reproche l’ensemble du conseil municipal à l’ABF dans sa décision, que nous ne pouvons comprendre et admettre. Nous considérons que notre ancienne gendarmerie, avec sa façade recouverte d’enduit jusqu’au rebord des fenêtres, peut tout à fait être recouverte d’une isolation extérieure sans que cela nuise à son environnement et au château voisin. »

 

« C’est ce que j’ai essayé de démontrer à la commission régionale du patrimoine et des sites. Tout comme j’ai essayé de montrer qu’en cas de refus cela pouvait conduire à une annulation du projet [...] très tendu au niveau financier », conclut Michel Maya.

 

 

Le projet de réhabilitation prévoit la mise en oeuvre d'une ITE suivant l'application stricte du décret Travaux embarqués, préconisée par la Loi de Transition énergétique. Derrière ce conflit, s'opposent deux vues différentes (irréconciliables ?), celui du ministère de la Culture (dont dépend l'Architecture) et celui du ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie....

 

Quand Ségolène Royal s’en mêle…

 

Ségolène Royal a assuré dans son courrier (2/09/16) au maire de Tramayes avoir demandé à ses services de trouver une solution avec l'ABF, conformément à l'obligation d'isolation des façades et des toitures (loi relative à la transition énergétique). Elle rappelait la création des TEPCV " pour mobiliser des collectivités locales pionnières capables de mettre en œuvre rapidement les différents axes de la loi " dont Tramayes a précisément signé la Convention.

 

Mais la Préfète de Région Bourgogne Franche Comté a suivi l'avis conforme de l'ABF et de la Commission régionale du patrimoine et des sites, contre le maire de Tramayes et le soutien de la convention TEPCV évoqué ci-dessus. Le permis de construire peut donc logiquement être refusé, sauf si un arbitrage suprême d'ici le mois d'Avril permettait de dénouer la situation entre temps…

 

C’est ce qu’espère la commune qui fait appel par lettre ouverte au Président de la République, et au premier ministre, accompagnée d'un clip-vidéo inspiré de la supplique de Boris Vian :

 

 

 

 

 

*Marine Fabre Aubrespy, Amélie Rieux-Faraut et Benoit Contet sont tous trois architectes DPLG et ingénieurs INSA ou ENTPE.

 

 

 


En savoir plus sur l’ABF

 

L’Architecte des Bâtiments de France (ABF) a pour mission d’entretenir et conserver les monuments historiques, protégés ou non, et de veiller au respect de la qualité de l’habitat (constructions neuves et réhabilitations) aux abords des monuments historiques et dans les autres espaces protégés. Il exerce dans chaque département au sein du Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine (STAP).

 

Dans le cadre du contrôle des espaces protégés, l’ABF émet un avis sur toute demande d’autorisation de travaux. Son avis s’impose à l’autorité compétente (le plus souvent le maire) qui délivre ou non l’autorisation. Selon la protection de l’espace et le type de travaux, il s’agit d’un avis “conforme”, ou d’un avis “simple”.

 

Avis simple

: l’autorité qui prend la décision n’est pas liée par l’avis de l’ABF.

 

Avis conforme

: l’autorité (maire ou préfet) qui délivre l’autorisation est liée par l’avis de l’ABF ; elle ne peut s’y opposer qu’en engageant une procédure de recours auprès du préfet de région. Ce dernier tranchera après consultation de la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS).

 


Source : batirama.com /Jean-Pierre Cousin

 


 

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