Au c?ur de l?actualité architecturale cette année, La Seine Musicale a été mise en service à Boulogne, sur l?île Seguin auparavant occupée par les usines Renault. Cap sur l?auditorium?
Photo : La Seine Musicale évoque un navire mais l’auditorium renforce la dimension festive d’une croisière. © Air Images /Philippe Guinard
L'histoire de l'ouvrage commence après la démolition des usines Renault de Boulogne, après leur fermeture en 1992. L’architecte Jean Nouvel, qui avait dénoncé l’effacement de ce patrimoine industriel en 1997, est chargé dix ans plus tard d’un plan urbain qui lui permet de faire un peu revenir les usines par une exigence contraignante en termes de gabarit.
Et tandis qu’il s’attèle de son côté à la conception de sa philharmonie à La Villette, les Hauts-de-Seine y trouvent justement un argument pour doter l’ouest parisien d’un équipement musical de haute tenue sur la point aval de l’île Seguin, un site long comme la tour Eiffel et large d’une centaine de mètres.
Une opération de partenariat public-privé est lancée par le département en 2011. Les plus grands noms de l’architecture et les grands majors y concourent avec l’appui de gestionnaires, car il s’agit de livrer à prix fixe et non révisable un ouvrage dont le groupement constructeur aura également la gestion pour une durée de 20 ans.
Icône de la construction durable
Pour Bouygues, à proximité de TF1, les synergies sont évidentes. Chaque groupement en compétition propose deux architectes. L’équipe de Bouygues comprend l’architecte Bernard Tschumi, l’architecte du Parc de la Villette.
Et le tandem Shigeru Ban/Jean de Gastines qui vient de livrer avec fracas le Centre Pompidou de Metz, un ovni de l’architecture de musée européenne, sinon mondial. Shigeru Ban y a inauguré sa collaboration étroite avec l’ingénieur suisse Hermann Blumer, notamment en termes de conception de structures porteuses en bois.
L’auditorium surélevé se démarque clairement comme l’élément saillant du complexe. ©Laurent Blossier
La procédure prévoit que le choix se fait d’abord sur un groupement, et dans un second temps sur l’un des deux projets architecturaux. Shigeru Ban adapte le principe de charpente bois en tressage pour entourer l’auditorium de musique non amplifiée d’une forme ovoïde marquante.
Le plan-cadre de Nouvel prévoyait une approche environnementale : au lieu de couvrir la parcelle de panneaux photovoltaïques, le tandem imagine une voile sur rail qui intercepte les rayons du soleil, et libère le toit du complexe musical pour aménager un jardin.
45 000 m2 de béton coulés sur 800 pieux
Avec sa voile et sa charpente ovoïde, l’auditorium est clairement l’élément saillant du complexe. On en oublie presque que cette salle d’un peu plus de 1000 places n’est qu’un appendice d’un ensemble axé sur les spectacles de musique amplifiée et les événements.
D’ailleurs, la voile photovoltaïque est censée alimenter en électricité l’immense écran, grand comme un terrain de handball, qui accueille les visiteurs tout comme une immense porte monumentale vitrée.
Pas moins de 45 000 m3 de béton ont été coulés sur 800 pieux. L’accès le plus direct est ménagé à une salle de 4000 à 6000 places où l’accent a été mis sur la flexibilité, plusieurs spectacles différents pouvant se succéder dans un délai très court.
Souvenirs des anciennes usines
Les architectes ont tiré partie de l’obligation d’évoquer les anciennes usines en construisant à une certaine hauteur pour doubler quasiment la jauge de la salle en zone de stockage de décors. Et face à cette obligation de bâtir, l’idée d’aménager le toit en jardin s’imposait naturellement.
Cette promenade permet de longer l’auditorium dont la structure se reflète dans un plan d’eau à ses pieds, et d’observer le déplacement régulier du « spi » photovoltaïque de 45 m de haut sur son rail.
Les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines autour de la cheffe d’orchestre Laurence Equilbey. © Julien Benhamou
Une charpente spectaculaire
L’accès proprement dit se fait cependant par une coursive qui dessert tous les services. L’escalator débouche par le bas dans ce que la charpente ovoïde fait passer pour une sphère.
Le visiteur déambule entre cette charpente spectaculaire, qui offre une vue dégagée à 360° et à plusieurs niveaux sur la vallée de la Seine, et la face extérieure de la « boîte » en béton qui abrite l’auditorium proprement dit. En phase avec les courbures de la charpente, les arrondis dominent, notamment par l’effet de doublages convexes tapis de mosaïque.
A l’intérieur de l’auditorium, les angles bétonnés sont également dotés de doublages qui servent également de supports d’éléments de traitement acoustique. Une gigantesque coque en staff est suspendue à la charpente métallique qui couronne l’auditorium, mais sa grâce est largement occultée par un plafond ajouré constitué d’hexagones en carton ignifugé.
Coursive © Laurent Blossier
170 millions d’euros de travaux
Le complexe, baptisé La Seine Musicale, a été livré à peu près dans les temps, dans l’enveloppe prévue de 170 millions d’euros pour les travaux. Une performance, quand on songe aux polémiques qui ont entouré la finalisation de la Philharmonie de Paris, et surtout la nouvelle philharmonie de Hambourg, dont le budget initial a été finalement décuplé.
L’inauguration, coïncidant avec le premier tour des élections présidentielles, est passée un peu inaperçue. La couverture médiatique de cet ouvrage est demeurée très généraliste, occultant un peu l’excellence des corps d’état qui ont participé au projet sous l’égide de Bouygues Ile-de-France.
En fait, si un tiers des coûts de conception et de réalisation sont contractuellement réservés à des PME implantées dans les Hauts-de-Seine, il s’agit d’une « dream team » européenne : L’Allemand Hess Timber pour la charpente, le Français Baudin Châteauneuf pour la voile, l’entreprise WereyStenger pour le staff, Antunes pour le doublage extérieur couvert de mosaïque, le Catalan Frapont pour l’aménagement intérieur de l’auditorium.
Même si Paris a été gâté ces derniers temps par la livraison de plusieurs auditoriums de haute facture, les interventions de ces entreprises restent tout à fait exceptionnelles et méritent un éclairage particulier.
D’autant que l’auditorium n’est pour l’instant utilisé que de façon intermittente, et dans un cadre scénographique qui ne met pas en relief tous les composants de l’ouvrage. De même, la charpente tressée semble tout simple, sans aucune vis apparente, alors que son degré de complexité n’est comparable qu’aux bâtiments un peu délirants que le même Shigeru Ban est en train de livrer pour Swatch à Bienne.
Concert d’inauguration de l’auditorium le 23 avril dernier. ©Julien Benhamou
Source : batirama.com /Jonas Tophoven