Les pouvoirs publics et la filière thermodynamique ont bouclé les discussions sur l?usage des HFC faiblement inflammables dans les ERP 1 à 4. Un texte est attendu mi-juillet.
Légende photo ©Toshiba : De nombreux industriels japonais ont fait la promotion des équipements fonctionnant au R-32. Ces matériels seront-ils prochainement admis dans les ERP de catégories 1 à 4.
Alors qu’au niveau européen le « phase down » applicable aux fluides HFC semble donner satisfaction, au niveau français, les discussions sur l’utilisation des nouveaux fluides frigorigènes à faible GWP – ou potentiel de réchauffement de la planète – progressent de manière chaotique.
Petit retour en arrière. Depuis 2015, un règlement européen, la F-Gas (n° 517/2014), impose trois mesures : réduire de 79 % des usages de fluides frigorigènes HFC d’ici 2030 ; bannir certains gaz fluorés dans les équipements de réfrigération et de climatisation, et prévenir des fuites. En raison de l’augmentation du nombre des systèmes thermodynamiques, l’objectif est de maîtriser ces fluides à effet de serre reconnus.
Pour remplir ces objectifs, deux stratégies seraient possibles. La première est l’exploitation des fluides dits « naturels », tels de le CO2 et l’ammoniac. L’autre repose sur la recherche de nouveaux fluides chimiques à bas GWP. Au lieu de calmer les ardeurs des partisans de ces solutions, la directive européenne semble au contraire les avoir amplifiées.
La bataille des chimistes contre les naturalistes
Désormais, les enjeux portent sur l’adaptation des fluides aux enjeux à la fois environnementaux, techniques et de sécurité. Depuis des années, les tenants des systèmes thermodynamiques à détente directe développent des fluides permettant de répondre à la directive F-Gas en termes de « poids carbone » et de performance. I
ls ont mis au point et lancé la production de fluides HFO et HFC qui affichent des niveaux GWP d’une dizaine d’équivalent CO2 pour les premiers, voire moins de 750 eq-CO2 pour les seconds. Seuls soucis : ces fluides affichent généralement un classement A2L, c’est-à-dire, légèrement inflammable. À noter que nombre de fluides précédents (R-134a, R-404A, R-410A, R-407C…) affichaient un classement A1, pour « non inflammable ».
Pour leur part, dès les années 2000 et essentiellement depuis la rédaction de la première directive F-Gas parue en 2006, les tenants des fluides dits naturels ont argumenté leurs propositions. CO2 et ammoniac sont connus des industriels et des grands installateurs depuis des dizaines d’années, les équipements existent et sont maîtrisés… La tentation est donc très forte de les présenter comme universels et parfaitement substituables pour toutes les solutions.
Des enjeux industriels conséquents
Schématiquement, ces prises de position s’expriment à travers deux groupes de pression. Les partisans des fluides « naturels » sont portés par le cabinet de conseil international Shecco. Cette dernière a soutenu la première conférence Atmo France qui s’est tenu à Paris, le 5 juillet (http://www.shecco.com/news/).
Le parlementaire Matthieu Orphelin est venu y défendre l’idée d’une taxe sur les fluides fluorés parallèlement au « phase down » – initiative qui avait achoppé à l’automne 2017 –, cette fiscalité devant permettre d’accélérer la transition vers les fluides « naturels » dans les nouvelles installations.
Les partisans de fluides chimiques sont rassemblés derrière plusieurs structures d’influence européennes, principalement EPEE, European Partnership for Energy & the Environment. Cette association a même mis au point un outil de mesure de l’efficacité de l’application du « phase-down », le « Gapometer », autrement dit, le mesureur d’objectif ; elle met ses résultats de réduction des consommations de HFC en Europe à disposition des industriels, installateurs et autorités européennes pour apprécier l’efficacité des mesures.
C’est « limite » juge et partie, mais l’initiative a été acceptée par Bruxelles. Elle souligne que la filière a pris conscience que, d’une part, le maintien de l’usage des fluides frigorigènes chimiques tient au sérieux de l’application de la directive F-Gas ; et d’autre part, que les nouveaux fluides, globalement tous légèrement inflammables (A2L) ou inflammables (A2), exploitables à des pressions élevées (de 15 à 40 bar), ne seront acceptés par les pouvoirs publics que sur la base de pratiques irréprochables de la filière thermodynamique.
Participer à la transition technique
Pour trouver leur place dans ce nouveau panorama, les tenants des systèmes utilisant les fluides chimiques ont, depuis la fin de l’année 2017, engagé des discussions avec le ministère de l’Intérieur – chargé des textes sur la sécurité incendie – et le ministère de la Transition écologique.
L’objectif des débats est de régler l’épineuse question de l’utilisation de fluides inflammables dans les grands établissements recevant du public, ERP dit de catégories 1 à 4. Il s’agit de réviser l’article CH 35 de l’arrêté du 25 juin 1980 sur la production et le transport de froid dans les ERP.
Les fournisseurs de systèmes de climatisation à détente directe arguaient de l’expérience des fournisseurs japonais sur leur marché et de l’adoption, par les pays nordiques européens, des solutions avec des fluides faiblement inflammables.
Alors que les discussions entre l’administration et les parties prenantes avaient aussi semblé évoluer dans ce même jusqu’au mois de mai, les industriels ont compris récemment qu’ils n’avaient pas été suivis. La diffusion, début juillet d'un tableau par le ministère de la Transition écologique est venue doucher les plus farouches négociateurs.
Les fluides classés dans 3 colonnes
Dans ce document de la DGPR, les fluides sont rassemblés sous trois colonnes : fluides inflammables, ammoniac et CO2. Sous son aspect très factuel, ce récapitulatif a de quoi réjouir les militants de solutions naturelles, et faire bondir les autres pour deux raisons.
La première est que le couple ammoniac et CO2 sont autorisés pour tous les usages. Cela, alors que la mise sous très haute pression de certaines parties des systèmes au CO2 fait courir un risque connu – même s’il ne provoque pas l’incendie - ; et que l’ammoniac est connu pour sa toxicité (de la gêne pulmonaire à la détresse respiratoire, brûlures cutanées, irritations oculaires…), même s’il est habituel de placer les équipements hermétiques, en locaux techniques séparés et ventilés, norme NF EN 378 oblige. Par ailleurs, la simple lecture de l’actuel article CH 35 souligne combien l’autorisation en question est soumise à de très fortes précautions.
La seconde remarque porte sur le classement des fluides inflammables : tous sont rassemblés sous un seul item alors que les professionnels avaient, durant de nombreuses réunions, redoublé de pédagogie pour distinguer les A2L, faiblement inflammables, des A2, inflammables…
Seule satisfaction avancée par certains constructeurs : ce document indique clairement que les fluides inflammables ou légèrement inflammables sont exploitables dans les ERP de catégorie 5, c’est-à-dire, les commerces de centre-ville essentiellement. Un petit pas pour l’administration, un grand pas pour les industriels et les installateurs…
Les professionnels s’attendent à la douche froide
De fait, dans ce tableau désormais en diffusion public, les solutions thermodynamiques avec fluide chimique en ERP de catégories 1 à 4 apparaissent marquées « interdits », avec une mention de révision de l’article CH 35 qui, elle, paraît bien en panne depuis quelques mois.
Par ailleurs, cette démarche du ministère de la Transition écologique va continuer à troubler les installateurs pour qui les annonces des fournisseurs favorables aux matériels fonctionnant avec de nouveaux fluides (tel le R-32) vont relever de la « méthode Coué ».
Pour les industriels, cette prise de position semble plutôt idéologique de la part du ministère de la Transition écologique. Le premier jet du nouvel article CH 35 est attendu pour ce vendredi 13 juillet.
Le CO2, substitut aux systèmes de froid et de pompe à chaleur… Vite dit !
Est-il si simple de passer d’un fluide à l’autre comme l’avancent les promoteurs des fluides CO2 ou ammoniac ? Le principe de réalité s’impose face à la pensée magique. On en veut pour preuve l’échec d’une des solutions de chauffage et de production d’eau chaude par pompe à chaleur au CO2 développées par le japonnais Sanden en France. Relativement chère malgré son rendement et la température de sortie d’eau chaude, sa fabrication pour une vente sous sa marque est abandonnée pour cause de faible demande.
Ce fabricant se recentre sur les systèmes au CO2 pour l’automobile, le commerce et l’industrie. Il poursuit cependant la production de pompes à chaleur au CO2 et de pièces détachées pour ses partenaires commerciaux, notamment Aldes, ainsi que pour l’intégration de ce module aux systèmes multi-énergies, uniquement fourni en OEM.
Même chose en transport. Carrier avait tablé sur le développement de systèmes au CO2 pour remplacer les groupes frigorifiques au R-404 des semi-remorques. Sur le papier, le bénéfice paraissait évident. L’enthousiasme est retombé avec les premiers retours d’expériences. L’impact des vibrations des poids lourds sur les équipements chargés au CO2 à très haute pression (pratiquement 100 bar) rend la solution beaucoup trop fragile.
Source : batirama.com / Bernard Reinteau