Certains industriels dont Schöck dénoncent un permis de déroger qui peut devenir une porte ouverte aux dérives, en termes d?isolation, avec l?avènement de bâtiments ?passoires énergétiques »
Photo@F.Leroy
La loi ESSOC (État au service d’une société de confiance) promulguée par le Président de la République le 10 août dernier inclut deux ordonnances dont la première était en concertation jusqu’au 11 octobre pour une validation définitive prévue le 10 novembre prochain.
Celle-ci crée un “permis de déroger” autorisant les maîtres d’ouvrage à s’affranchir de certaines normes de la construction, à la condition de « démontrer qu’ils en atteignent les objectifs de résultats sous-jacents. »
La seconde ordonnance (qui devrait être publiée d’ici février 2020) sera, quant à elle, censée réécrire le Code de la construction et de l’habitation « en s’appuyant sur le retour d’expérience des maîtres d’ouvrage ayant recouru au permis de déroger. »
« Irrégularité légale et technique » de l’ordonnance
La société Schöck, experte en traitement des ponts thermiques, lance une alerte pour que la validation de cette première ordonnance ESSOC ne revienne pas à ouvrir la boîte de Pandore du BTP. Elle en dénonce donc aujourd’hui “l’irrégularité”, d’une part légale et d’autre part technique.
En effet, se demande l’industriel, sous couvert (louable) de simplifier l’acte de construire et laisser carte blanche à l’innovation, peut-on réellement tout “expérimenter” lorsque l’enjeu est à la fois de bien loger et de réduire l’impact environnemental (le secteur du Bâtiment se révélant fort émetteur de gaz à effet de serre, point repris par le rapport du GIEC sur le réchauffement climatique publié le 8 octobre dernier) ?
Jusqu’à présent, la RT2012 impose des obligations de moyens (un psi moyen de 0,6 W/(ml.K) pour l’enveloppe d’un bâtiment notamment) et de résultats (coefficients Bbio, Cep et Tic).
La réforme envisagée par la DHUP (Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages) entend retenir exclusivement les exigences de résultats, supprimant l’obligation de moyens qui pourraient freiner l’innovation.
Une permissivité avec de nombreux risques
Plus d’obligation de psi en l’occurrence mais la validation de “solution d’effet équivalent”. Pour faire simple, peu importe le chemin emprunté, du moment qu’on arrive à destination.
Conséquence selon Schöck et ses partenaires : une permissivité qui serait une porte ouverte à toutes les dérives, entre autres en termes d’isolation, avec l’avènement de bâtiments qui seraient de véritables “passoires énergétiques” (sans compter l’inconfort acoustique ou sanitaire...), ces mêmes “passoires thermiques” que le Ministre de la Transition Écologique et Solidaire, François de Rugy, veut “interdire à la location”.
Pour Raphaël Kieffer, Directeur Général Schöck France, il semblerait que « Le processus de concertation ne se soit pas déroulé de façon transparente. En effet, les réunions menées au sein du Groupe de travail performance énergétique et environnementale n’ont pas donné lieu à un compte rendu systématique avec diffusion à tous les membres.
Aucune concertation avec le groupe de travail
Les conclusions de ce Groupe de travail, indiquant que la réglementation thermique actuelle répondait déjà à l’objectif performanciel voulu par la loi ESSOC, ont été balayées suite à la réunion de synthèse des chefs de file.
Les articles L 111-9 et L 111-10 ont été introduits dans le champ d’application de l’ordonnance, sans aucune concertation avec le Groupe de travail. Ce non-respect de concertation contradictoire est clairement en opposition avec la volonté du Gouvernement de travailler en collaboration avec les acteurs de la filière. »
Le fait que l’ordonnance ESSOC 1 se base exclusivement sur une obligation de résultats s’avère des plus risqué. En effet, les coefficients Cep et Bbio de la réglementation thermique actuelle ne peuvent garantir à eux seuls la qualité de l’enveloppe thermique d’un bâtiment.
Des enjeux sociétaux multiples
Pourtant, comme le souligne Raphaël Kieffer, les enjeux sociétaux sont multiples :
- environnementaux : « Les bâtiments étant responsables à hauteur de 26 % de la consommation d’énergie totale en France d’après l’édition 2015 des “chiffres clés” de l’Ademe, et représentant donc un fort potentiel d’économies d’énergie, une enveloppe thermique homogène et performante se révèle la seule solution pour atteindre ces objectifs. »
- sanitaires : « La qualité de l’enveloppe d’un bâtiment a une influence directe sur la qualité de l’air de l’habitat. Des zones à fortes déperditions thermiques comme les ponts thermiques non traités sont sources de risques de condensation avec pour conséquence la dégradation du bâti, l’apparition de moisissures et donc le risque d’allergies et de maladies. »
« L’Observatoire de la qualité de l’air intérieur a établi que chaque année, plus de 28.000 nouveaux cas de pathologies graves sont répertoriés. La mauvaise qualité de l’air intérieur coûte quelque 19 milliards d’euros par an à la collectivité (source : Anses/CSTB). »
- économiques : Le 1er enjeu économique concerne les coûts de construction : ils représentent 28 % du coût total d’un bâtiment, quand le coût d’utilisation et de maintenance en représente 46 % d’où l’intérêt de bien construire aujourd’hui pour diminuer les charges aux ocupants des logements de demain.
Ainsi selon Schöck , « On ne peut déroger à des règles de construction libellées en objectifs de résultats alors que le permis d’innover est censé les garantir. » Si l’ordonnance 1 devait entrer en application en l’état, « L’objectif de réduction des gaz à effet de serre n’aurait aucune chance d’aboutir, le risque de retour des passoires thermiques ferait supporter à la France des coûts environnementaux, sanitaires et économiques.
Enfin la dégradation évidente de la qualité de l’isolation induirait d’annexer des charges supplémentaires aux occupants des logements et poserait la question de la réduction du pouvoir d’achat des ménages en difficulté, principales victimes collatérales de cette ordonnance. »
Source : batirama.com