C?est un défi de taille qui attend l?industrie cimentière : elle s?engage à réduire 80 % de ses émissions de CO2 d?ici à 2050 en jouant sur plusieurs leviers.
L’industrie cimentière n’a plus vraiment le choix. Face à l’urgence du changement climatique, l’acteur industriel responsable de 5 % des émissions de C02 dans le monde (1), doit changer tous ses braquets.
Forte de 40 sites industriels en France (2 milliards d’€ de CA) qui produisent 18 millions de tonnes de ciment (280 kg/habitant), l’industrie du ciment rappelle, par la voix de Bénédicte de Bonnechose, présidente du SFIC (2) qu’elle n’est pas restée les bras croisés.
L’industrie cimentière a en effet déjà réduit de 40 % ses émissions de CO2 en 30 ans, via différents leviers dont la substitution de combustibles utilisés pour concasser, cuire et broyer le ciment. En 2017, le taux de substitution des combustibles fossiles (coke de pétrole, charbon, ou fioul lourd) atteint 44%, selon le SFIC.
Substitution de combustibles fossiles
Les combustibles classiques ont été remplacés par des sous-produits issus d’autres industries tels que les résidus de sidérurgie, production d’aluminium ou cendres volantes à hauteur de 2,5 millions de tonnes en 2017. Le taux de substitution devra d’ailleurs atteindre 50 % d’ici à 2025, indique la présidente du SFIC, selon laquelle des partenariats avec les acteurs du déchet seront mis en place.
Mais l’urgence de la situation provoquée par le réchauffement climatique combiné à l’accroissement de la population, induisant la création de nouvelles infrastructures et logements, impose d’accélérer le mouvement.
« Le besoin en matériaux de construction va doubler d’ici 2060 pour accompagner l’accroissement de la population et ses besoins en logements » complète Bénédicte de Bonnechose. Qui dit infrastructures et logements, dit donc béton et granulats, « sachant que 1 m3 de béton consomme 300 kg de ciment » rappelle la présidente du SFIC.
Car même si d’autres alternatives au béton existent (comme les matériaux biosourcés), l’inorganisation actuelle de ces filières (dont le bois) freine aujourd’hui considérablement leurs développements.
Laurent Izoret (ATIHL) et Bénédicte de Bonnechose (SFIC) ont détaillé le plan très bas carbone de l'industrie cimentière
130 kg de CO2/ tonne à atteindre contre 850 kg aujourd’hui
D’où la construction par le syndicat d’un plan ambitieux intitulé « 2050 : objectif très bas carbone d’ici à 2050 » destiné à réduire de 80 % ses émissions de CO2 à l’horizon 2050 par rapport à 2016. Aujourd’hui évalués à 850 Kg de CO2/ tonne, ces émissions ne devront pas dépasser 130 kg selon la feuille de route du SFIC.
Quels sont les leviers du SFIC ? La recherche et la normalisation constituent les principaux axes d’action de l’industrie du ciment. Et la recherche des industriels se concentre notamment sur la réduction du clinker, le constituant principal hydraulique du ciment résultant de la cuisson à 1450 °C d’un mélange de calcaire (80 %) et d’argile (20%).
« La teneur en clinker dans un ciment va déterminer sa teneur en carbone » résume Laurent Izoret, directeur délégué produits et applications de l‘association technique de l’industrie des liants hydrauliques (ATIHL).
Le clinker, qui joue le rôle de principe actif, en assurant les résistances mécaniques du matériau, contribue en effet à alourdir l’empreinte environnementale des ciments Portland. Comment le remplacer ? En alliant le clinker avec d’autres composés cimentaires, tels que le calcaire, le laitier, les cendres volantes, les pouzzolanes ou encore les argiles calcinées.
De nouveaux ciments mis sur le marché dans 18 mois
De nouveaux ciments tels que les CEM II/C-M (M pour mélange) et les CEM VI en cours de normalisation devraient voir le jour d’ici 18 mois. Leur teneur en clincker varie de 50 à 65 % pour les premiers et de 35 à 50 % pour les seconds. Avantage : une réduction de l’empreinte environnementale de 35 à 65 % par rapport au CEM I, le ciment utilisé pour les ouvrages d’art.
Autre recherche en cours : celle relative aux LC3 (limestone calcined clay cement). Composés de clinker, calcaire et métakaolin, ils ont une résistance physique supérieure à celle des ciments actuels et une empreinte environnementale réduite de 35 à 40 % par rapport au CEM 1. Ces ciments seront inclus dans la norme européenne EN 197-1 mais il faudra de 2 à 3 ans pour les voir arriver sur le marché français.
Enfin, d’autres recherches concernant les ciments alternatifs sont au cours. Objectif : mettre au point des ciments à base de clinker sulfo-aluminate de calcium dont le bilan carbone est favorable puisque le temps de cuisson est réduit de 30 %.
Une cimenterie de rupture pour le futur
Le projet de la cimenterie du futur sur laquelle réfléchit la profession a pour objectif de capter les émissions de CO2 mais aussi de produire ses matériaux à partir de déchets. En puisant moins de ressources naturelles primaires, l’industrie pourrait ainsi produire du ciment à partir de déchets et de matières de substitution, telles que des terres polluées comme cela se fait déjà.
A noter deux projets français, Recybéton, finalisé, et Fastcarb, en démarrage qui participent à la réduction des émissions de CO2 de l’industrie cimentière. Ainsi, le premier projet lancé en 2012 doit permettre de réutiliser les matériaux issus des bétons de déconstruction comme matière première dans la production de liants hydrauliques.
Le second projet FastCarb, ou comment stocker du CO2 avec les granulats de béton recyclé, a été lancé en début d’année 2018. Son postulat est simple : le béton est un puits naturel de carbone. Quelque 17 millions de tonnes par an de granulats de béton recyclé pourraient être transportés vers un centre de recarbonatation. Ainsi, et selon les évaluations, il serait possible de neutraliser 10 à 15 % des émissions liées à la production de clinker, grâce à ce procédé.
Trois technologies de rupture pour capter le CO2
Capter le CO2 dans le process pour le réutiliser est l’une des autres pistes explorées par l’industrie du ciment. « Il va falloir capter et stocker le CO2, le transformer et le réutiliser, on n’en est qu’au début du sujet » commente Laurent Izoret.
De tels projets, tels que Oxyfuel (concentrer le CO2 en utilisant une combustion à l’oxygène), Leilac (séparer le CO2 dans l’étape de précalcination) ou le projet Calcium Looping Cleanker (avec utilisation de la chaux pour piéger et transporter le CO2) nécessiteront des investissements très importants (30 à 50 millions d’euros par usine, estime le responsable de l’ATIHL). « Nous comptons également sur les financements publics pour soutenir ces recherches » rappelle Laurent Izoret.
« Notre vision de réduction des émissions de CO2 est réaliste et il n’est pas interdit de penser que nous irons peut-être plus vite", termine Bénédicte de Bonnechose. « Nos industries sont challengées par le problème climatique et le béton doit être capable de répondre aux enjeux du label E+C- … ».
À propos du SFIC
Le SFIC est l’organisation professionnelle regroupant la quasi-totalité des fabricants de liants hydrauliques : ciments, chaux hydrauliques et liants routiers. Présentes en France au travers de 40 sites industriels, les entreprises regroupées au sein du SFIC emploient près de 5000 personnes et génèrent un chiffre d’affaires
(1) L’industrie du ciment se positionne en 9e position en tant qu’émetteur de CO2 derrière le secteur des transports (combustion d’énergie fossile), le secteur agricole (élevage, utilisation d’engrais), le secteur résidentiel/tertiaire et l’industriel manufacturière sans oublier l’industrie de l’énergie et du traitement des déchets.
Source : batirama.com / Fabienne Leroy