Face au déclin de l?épicéa, le Douglas est en position de devenir l?essence résineuse dominante française. Au 21e siècle, la construction bois française sera en Douglas ou ne sera pas.
Pour la sixième fois consécutive, le Forum Bois Construction marque le lieu de son passage par un ou plusieurs totems. La filière française du Douglas avait déjà porté cette opération complexe dans le cadre du Forum d’avril 2016 à Lyon. La nouvelle capitale de la région est en effet la métropole de référence de cette essence, dont le gisement se concentre dans un rayon de 250 km, notamment au nord et à l’ouest.
Pour autant, les Douglas poussent et sont plantés un peu partout en France, parce que cette essence originaire de la côte ouest américaine s’est globalement bien acclimatée en France et qu’elle représente une machine puissante de production de bois d’œuvre.
C’est pourquoi France Douglas, l’original organisme de promotion dédié, a choisi d’accompagner une nouvelle fois l’aventure des totems du Forum, lors de l’étape 2020 à très forte visibilité nationale. Ainsi, les totems devraient s’élever non seulement à l’entrée du Grand Palais, mais aussi sur le parvis de l’Hôtel de ville.
Les étudiants de l’ESA présentent l’un des totem au Centre Ventadour d’Egletons. ©JT
Totems et fabrication collective
Depuis les débuts de cette initiative en 2014-2015, les Compagnons du Devoir sont des partenaires essentiel et récurrents de l’opération. Ils conseillent les équipes de conception quant à la faisabilité de montages et démontages rapides qu’il assurent avec rigueur, saisissant l’aubaine de réaliser en public un chantier de sensibilisation et de motivation professionnelle.
Pour la seconde fois consécutive, la conception proprement dite est assurée par les élèves de l’Ecole Spéciale d’Architecture à Paris, plus précisément dans le cadre de l’entité pratique de La Fabrique Collective animée par l’architecte Fabienne Bulle, l’une des pionnières françaises de l’architecture bois.
L’aventure des totems prend progressivement son autonomie pour devenir un moment pédagogique d’autant plus fort qu’il associe les futurs architectes aux futurs charpentiers. Pas moins d’une quarantaine de jeunes ont ainsi, à l’invitation de France Douglas, découvert pendant deux jours la sylviculture du Douglas ainsi que sa transformation.
La présence d’un groupe de jeunes ingénieurs de l’ESB préfigure un élargissement logique des projets Totems qui pourraient, à l’avenir, être également calculés par des jeunes, tâche assumée jusqu’ici par le bureau d’études BarthesBois.
Exemple d’une coupe rase sur une parcelle peuplée d’épicéas et de Douglas. ©JT
Plongée dans la France du Douglas
Cette plongée dans la réalité physique et rurale du Douglas a été également l’occasion d’une confrontation technique. Les jeunes architectes ont apporté leurs maquettes des totems et ils les ont présentées dans le cadre du programme de conférence que France Douglas a organisé pour cette occasion dans l’espace Ventadour d’Egletons.
L’an dernier, les jeunes architectes étaient essentiellement encadrés par un compagnon, en l’occurrence Timothée Musset devenu depuis créateur de mobilier. Ce brassage à plus grande échelle est d’autant plus intéressant que rien ne distingue à première vue, dans le groupe, l’étudiant en architecture de l’apprenti charpentier.
C’est que presque tous les apprentis sont en reconversion et disposent d’un baccalauréat. Le contraste majeur est le marquage urbain de ce groupe de jeunes et le monde préservé de la Corrèze. Par moments, ce déplacement a pris des allures de colonie de vacances du 9-3.
Les étudiants et les apprentis charpentiers ont replanté des Douglas ©JT
Face à la forêt de production
En bons urbains de leur génération, les jeunes sont venus à Egletons avec un certain nombre d’idées préconçues recueillies sur internet. France Douglas en avait bien conscience et a opté autant que possible sur une présentation de la réalité de l’activité sylvicole et de la transformation.
Le groupe s’est carrément rendu sur une parcelle de 8 hectares qui venait de subir une coupe rase, avec démonstration d’abatteuse en sus. Puis, sur une parcelle où des Douglas venaient d’être replantés en rangs d’oignons.
Certains jeunes avaient lu des choses sur la monoculture du Douglas, telle qu’elle se pratique par exemple sur ce plateau des Millevaches sans vaches. Difficile pour eux d’appréhender en si peu de temps les enjeux de la sylviculture. Surtout, cette nature qu’on leur présentait n’avait sans doute pas grand-chose à voir avec l’idée qu’ils de font de la campagne et des forêts.
L’extension de la scierie FargesBois sert aussi d’illustration à l’usage du Douglas en construction.©JT
La fin de l’épicéa de basse altitude
Il fallait ouvrir les yeux et les oreilles pour constater que la monoculture résineuse de ce plateau est loin d’être omniprésente. L’automne en donnait la preuve par une grande variété de couleurs, entre le mélèze en feu, les hêtres, les chênes, les bouleaux, mais évidemment aussi une abondance de parcelles sombres, véritable soulagement pour ceux qui ont vu les ravages des scolytes dans l’Est.
L’économie sylvicole locale est à la croisée des chemins. On remarque de très nombreuses parcelles qui ont fait l’objet de coupes rases, et qui avaient été reboisées avec l’aide du Fonds Forestiers National en épicéas, souvent sans le moindre entretien et avec un rendement économique médiocre.
Au moment où disparaît l’épicéa de plaine de l’Est de la France suite aux attaques du scolyte, l’épicéa des reboisements d’après-guerre disparaît lui aussi, récolté et souvent exploité davantage pour l’emballage et la palette que pour le bois d’œuvre. Comme les parcelles ont été plantées d’un coup, et pas entretenues, la coupe rase s’impose.
Dans la foulée, il est logique et nécessaire de replanter d’un coup. L’investissement représente plusieurs milliers d’euros par hectare. Cette obligation contractuelle est parfois contournée en arguant d’une régénération naturelle, une autre façon de dire que l’on ne fait rien.
Extension en cours de la scierie FargesBois. Au fond un site de seconde transformation du distributeur Chausson Matériaux, alimentés par des sciages venant de toute l’Europe© : JT
Une sylviculture volontaire et perplexe
Les jeunes urbains, charpentiers ou architectes, sont confrontés ici à la réalité de leur future activité. S’ils veulent pouvoir travailler, ils auront besoin de bois d’œuvre. On peut s’interroger sur la pertinence d’un prolongement de la monoculture, face aux risques d’appauvrissement des sols, de la biodiversité, des catastrophes sanitaires prévisibles, voire des risques majeurs d’incendie.
Les plants plantés aujourd’hui sont-ils parés à résister au climat qui sévira sur le plateau dans 30 ans ? La filière du Douglas est en train de procéder à marche forcée à la mise au point de semences mieux adaptées au changement climatique. La réalité biologique lui impose cependant une durée incompressible de 25 ans, ce qui est très long au vu de l’accélération des changements.
On peut arguer de la démarche allemande allant vers des forêts mixtes, où le Douglas, décrié comme espèce invasive, occupe au mieux une portion congrue. Seulement, la stratégie de mixité allemande a misé sur le hêtre que l’on voit massivement dépérir suite à la sécheresse. Bien malin qui saura donner les réponses à notre dilemme actuel. Et l’on ne voit pas en quoi les adeptes du laisser-faire naturel auraient raison face à un environnement climatique qui ne l’est plus.
L’option de la neutralité carbone
En attendant, le monde de la transformation se prépare à puiser dans le gisement sans cesse croissant des Douglas plantés en relais des épicéas, et qui arrivent actuellement à maturité. Au cœur du massif, PiveteauBois développe une usine intégrée « à l’allemande » où tout est valorisé au mieux.
C’est notamment d’ici que partiront demain les bois d’ingénierie qui permettront à la génération montante de bâtir dans les villes des ouvrages neutres en carbone. D’autant que les Douglas qui en fourniront la matière première auront fait leur office de fantastique pompe à carbone.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven