Le R32 est un fluide de transition. Il faut se dépêcher de trouver des solutions pérennes, car le Règlement F-Gaz n?a pas tenu compte de l?expansion du marché.
François Heyndrickx, Délégué Général de l’AFCE, l’Alliance Froid Climatisation Environnement, est connu dans le petit monde de la climatisation et du froid pour ne pas mâcher ses mots. A tout prendre, c’est bien utile, sinon rafraîchissant.
Lors de la J5PAC, la cinquième journée de la pompe à chaleur, organisée le 10 mars à Paris – c’était l’une des toutes dernières manifestations avant l’extinction des feux provoquée par le COVID-19 -, puis à la faveur d’une interview – téléphonique – le 18 mars, François Heyndrickx a rappelé quelques vérités de bon sens, qui ont tendance à être oubliées.
Les industriels poussent de nouveaux fluides à PRP réduit, dont le R32 et le R513A. Dans la 20e édition de son Réfrigerant Report, Bitzer, le fabricant de compresseurs, identifie jusqu’à 55 fluides frigorigènes différents. ©PP
Une nouvelle version du réglement Européen F-Gaz
Appliqué depuis le 1er janvier 2015, la nouvelle version du Règlement Européen (UE) N°517/2014 F-Gaz, rappelons-le, se focalise sur la réduction de l'emploi des gaz fluorés à fort GWP (Global Warming Power, ou PRP pour Potentiel de Réchauffement Planétaire).
Elle introduit pour cela un nouveau mécanisme de quotas, dit « Phase Down », jusqu’en 2030, renforcé par des interdictions de mise sur le marché et par des restrictions d'utilisation. Le règlement exprime désormais les quantités de fluides en tonnes de CO2 équivalent.
Il renforce par ailleurs les obligations antérieures d'amélioration du confinement des installations (lutte contre les fuites), de récupération et de retraitement des fluides et des systèmes en fin de vie. Le règlement impose également que les opérateurs chargés de l'installation et de la maintenance des systèmes de froid commercial et de climatisation soient qualifiés.
Il faut accélérer par rapport au calendrier
Le calendrier des quotas dans le Règlement F-Gaz impose des limites aux quantités de HFC mises sur le marché européen, avec un gel des volumes en 2015, puis une réduction progressive de 2016 à 2030. Exprimés en tonne de CO2 équivalent, ces volumes sont calculés sur la base d'un volume de référence, correspondant à la moyenne annuelle des quantités totales produites et importées dans l'Union Européenne au cours de la période allant de 2008 à 2011.
A l'issue de cette période de référence, la valeur initiale du quota de HFC à répartir au 1er Janvier 2015 a été fixée à 182,5 Millions tCO2eq. Les quantités totales pouvant être mises sur le marché en 2016 et 2017 ne devront pas dépasser 93 % du volume de référence et descendront à 21 % de celui-ci en 2030, soit une réduction de 79 % en fin de période.
Premièrement, rappelle François Heyndrickx, le mécanisme F-Gaz n’a pas prévu d’élargissement des quotas pour tenir compte de l’expansion du marché des systèmes thermodynamiques utilisant des fluides frigorigènes. Le marché des pompes à chaleur explose en France. Celui de la climatisation se porte extrêmement bien, tant en domestique qu’en tertiaire. Ces développements du marché représentent chaque année des centaines de milliers de systèmes en plus qui vont devoir se tasser dans le volume fixé et contraint des quotas de réfrigérant.
Skadec propose des groupes froids seuls et réversibles au R-290 jusqu’à plusieurs MW, pour l’industrie, pour le tertiaire, pour les réseaux de chauffage urbain, etc. Il estime que le R-290 (propane) est le fluide dont les qualités thermodynamiques sont les meilleures pour toutes sortes d’emplois, notamment pour des systèmes capables de produire de l’eau à 70°C sans appoint électrique, même par des températures extérieures de -15°C. ©PP
L’expression en tonnes de CO2 équivalent
De plus, une étude commandée par l’Ademe, l’AFCE et Uniclima en 2014, prévoyait qu’à partir de 2018-2019, au moins 50% des quotas autorisés seraient absorbés par la maintenance du parc des systèmes de froid et de climatisation existants.
Donc, explique François Heyndrickx, il va falloir accélérer les adaptations pour faire face aux demandes du règlement F-Gaz et adopter plus vite que prévu des solutions faisant appel à des fluides frigorigènes à faible PRP. En effet, puisque le Règlement F-Gaz a adopté une expression en tonnes de CO2 équivalent, plus le PRP est faible, plus l’expression en tonnes de CO2 équivalent est réduite.
Deuxièmement, par conséquent, selon François Heyndrickx, les fluides dont le PRP est supérieur à 400, peut-être même à 150 à terme, sont utiles maintenant, puisque par comparaisons avec les fluides utilisés classiquement, leur PRP est nettement plus faible. Par exemple, le R-404A utilisé universellement en froid a un PRP de 3900. Le R-410A, utilisé en climatisation et en froid, affiche un PRP de 2100. Tandis que le R-134a atteint 1970. Le R32, dont le PRP atteint 716, est donc nettement mieux placé.
Mais, et c’est la troisième remarque de François Heyndrickx, le R-32 possède un PRP encore nettement trop élevé pour qu’il puisse être durablement généralisé, en tenant compte à la fois des quotas du Règlement F-Gaz et de l’expansion du marché. Au rythme actuel du développement du marché de la climatisation en Europe, le R-32 est utile jusqu’en 2025, mais sûrement pas jusqu’en 2030. C’est un fluide de transition et on ne doit pas perdre cette réalité de vue.
La gamme GH-Series de groupes équipés de compresseurs à vis de Mayekawa Mycom utilise le propane et l’ammoniac, deux fluides naturels. ©PP
Il faut hâter le développement de solutions pérennes
Quatrième remarque de François Heyndrickx, le nouveau F-Gaz est paru en 2014. Les constructeurs ont décidé d’adapter leurs offres au R-32 et il leur aura fallu six ans pour y parvenir. Ce n’est qu’en 2020 que les mono-splits, les multisplits et certains chillers sont largement disponibles au R-32. De même, on voit apparaître des systèmes au R-513A (PRP = 613) en remplacement de système au R-134a.
Sachant que ce ne seront que des fluides de transition, dit François Heyndrickx, il ne faut pas perdre de temps et l’ensemble du monde de la clim et du froid doit consacrer des ressources importantes au développement de solutions pérennes. C’est-à-dire utilisant des fluides à très faible PRP.
Certains constructeurs européens l’ont fait. Vaillant-Saunier Duval, Amzair, un petit français, Auer, Nibe et d’autres marques allemandes ont pour la totalité ou seulement une partie de leurs gammes de pompes à chaleur, décidé de sauter l’étape du R-32 (PRP 716) et de développer tout de suite des machines au R-290 (PRP 5).
Les industriels inventent de nouvelles machines et installations
L’industriel italien enerblue a élargi sa gamme de pompes à chaleur air/eau Purple HP fonctionnant au R-290 et devait présenter à la Mostra Convegno en mars, 4 nouveaux modèles de 32,1, 35,1, 40,1 et 50,1 kW. Grâce aux excellente caractéristiques thermodynamiques du R-290, ce sont des machines haute température, capables de produire de l’eau à 70°C par -10°C extérieurs.
Mais cela impose de nouvelles conceptions de machines et de nouveaux types d’installation et il n’y a pas de raison que ce soit plus rapide qu’avec le R-32. Le R-290, par exemple, c’est du propane : facilement inflammable et susceptible d’exploser dans certaines conditions, classé A3. Pour des pompes à chaleur domestiques, cela signifie appareils monoblocs extérieurs, avec le fluide confiné dans la machine à l’extérieur, une liaison en eau ou en eau glycolée vers l’intérieur de la maison.
Pour les plus grands systèmes, des chillers apparaissent utilisant du R-290 ou des HFO : HFO-1234yf (PRP de 4), HFO-1234ze (6) ou HFO-1234zd -6). Ces systèmes sont annoncés depuis trois ans, montrés dans des salons, mais pas franchement disponibles de manière courante sur le marché aujourd’hui encore.
En froid commercial, des acteurs comme Panasonic développent une importante offre de solutions à base de R-744 (CO2, PRP = 1), pour toutes sortes de commerces, depuis les hypermarchés jusqu’aux boucheries de quartier. La plupart des acteurs du froid commercial se tournent vers le CO2 pour leurs petits systèmes.
Daikin choisit le R32 pour ses pompes à chaleur, ses mono- et multisplits, mais aussi pour ses nouveaux groupes de production d’eau glacée air/eau équipés de compresseurs Scroll. ©PP
Méfions-nous des solutions trop simples
Enfin, François Heyndrickx rappelle que l’on assiste à une multiplication d’offres trop belles pour être vraies. Notamment, explique-t-il, il ne faut absolument pas compléter un circuit utilisant un fluide précis – R-410A, R-407C, … - par un autre fluide, sauf avec l’accord du fabricant du matériel en cause.
D’une manière générale, dit-il, il vaut mieux renoncer aux mélanges et utiliser des fluides purs. Les mélanges, premièrement, présentent un glissement de température – un glide, comme disent les frigoristes- qui complique la conception des matériel et leur exploitation.
Deuxièmement, lorsqu’il se produit une fuite sur un circuit utilisant un mélange, on ne sait pas quel composant du mélange a fuit davantage que les autres. Pour conserver les caractéristiques du fluide, il faut donc vider entièrement le circuit avant de le recharger avec un fluide vérifié. Surtout, ne pas compléter une charge par d’autres fluides.
Bref, c’est un peu comme la lutte contre le COVID-19 : en matière de fluides frigorigènes, il faut respecter les consignes (des fabricants de matériels) et les bons gestes.
Il n’existe pas encore de solution universellement acceptée pour remplacer les DRV (Débit de Réfrigérant Variable) en grand tertiaire. En France, les règles de sécurité en ERP (Etablissements Recevant du Public) relèvent de l’Arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) et plus précisément de son fameux article CH35. Il a été modifié en 2019, pour tenir compte des fluides A2L (légèrement inflammables) comme le R32. Mais les contraintes d’emploi dans les ERP sont très dissuasives. ©PP
Pour respecter le Règlement F-Gaz et les contraintes d’installation des fluides A2L dans les établissements recevant du public, plus ou moins sévères à travers l’Union Européenne, Mitsubishi Electric a développé le VRF Hybrid Y chargé en R32, mais utilisant de courts réseaux en R-32, puis des réseaux d’eau dans le bâtiment. Son contrôleur de fluide est une unité complexe : échangeur à plaques fluide/eau, régulation et pompe à vitesse variable sur le circuit d’eau. ©PP
Source : batirama.com / Pascal Poggi