L?épidémie en cours fait craindre que l?Europe puisse manquer de lits dans les hôpitaux. Les spécialistes de la préfabrication pourraient-ils répondre à l?urgence ?
Photo : montage du groupe scolaire Nelson Mandela à Juvignac. ©Selvea
Pourrait-on réitérer l’exploit des hôpitaux de Wuhan, construits en dix jours, avec les moyens de la préfabrication européenne ? La construction des deux hôpitaux chinois en janvier dernier, a étonné le monde, qui ne pensait pas alors pouvoir être amené si vite à se poser la question d’une forme de déduplication.
Comment font-ils ? L’une des clés de leur succès semble être que la Chine, pays immense, est en mesure de mobiliser simultanément des capacités de production colossales, avec une coordination sans faille.
L’Europe dispose de capacités de production impressionnantes, si on met bout à bout les centres de taille à commande numérique, les plateaux multifonction et surtout la possibilité de transmettre par internet des plans de fabrication en principe directement applicables.
En Autriche, ces capacités ont été mobilisées il y a une dizaine d’année pour répondre aux besoins des zones italiennes sinistrées. Depuis, en Allemagne, la filière a fait feu de tout bois pour répondre à l’afflux des réfugiés, et cela a eu quelques prolongements en France.
Sans oublier les extraordinaires et efficaces initiatives de constructions éphémères rapides autour de la « jungle » de Calais, notamment sous l’égide de Lionel Vacca appuyé par Médecins sans frontières où le charpentier, ancien conseiller municipal de Montreuil sous la mandature Voynet, mène toujours des missions un peu partout dans le monde.
Cabanons réalisés sous l’égide de MSF pour le camp de Grande Synthe ©MSF/Lionel Vacca
Les besoins colossaux futurs en lits d’hôpital
Selon le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, 5.000 lits de réanimation sont disponibles en France, avec 7.364 lits supplémentaires dans les unités de soins intensifs. Il est délicat d’extrapoler quant aux besoins futurs mais l’on évoque une fourchette de 30 000 à 100 000 lits de soins intensifs au pic de l’épidémie en France (sous réserve).
Les capacités des hôpitaux risquent donc d’être débordées. Créer ad hoc des capacités de réanimation et de soins intensifs supplémentaires n’est pas une mince affaire et pris sous cet angle, le défi de l’hôpital en huit jours est de loin le plus compliqué.
Mais les besoins ne s’arrêtent pas là. En ce qui concerne les personnes sans abri, 157 000 sont actuellement hébergées en France, un chiffre auquel s’ajoute celui des personnes non hébergées et notamment des campements.
Le cas des personnes sans-abri
Dans tous les cas, cette population ne peut respecter comme d’autres les consignes de confinement « chez soi », risquent d’être contaminées, et risquent aussi de transmettre le virus plus facilement à d’autres personnes souvent fragilisées.
Il est donc actuellement question de créer, pour toutes les personnes de cette catégorie qui seraient contaminées, des « centres de desserrement » offrant un confinement et un suivi suffisant, notamment en recourant aux capacités désormais vacantes des hôtels.
Le ministère est également en contact avec certains promoteurs comme Nexity, mais insiste sur la nécessité de disposer d’unités qui ne soient pas trop disséminées et atomisées afin de pouvoir gérer le suivi. L’option de recourir à des équipements provisoires est envisagée dans le sens où le ministère se dit ouvert à l’exploration de toutes les pistes. Cependant, pour l’heure, les hôtels présentent l’avantage d’une possibilité de mise en service beaucoup plus rapide.
La préfabrication mutualisée : l’exemple de préfabricationbois.com
Avec sa plateforme prefabricationbois.com, William Delaby met en relation, par exemple, des charpentiers souhaitant mettre en œuvre une maison en bois et des préfabricateurs susceptibles de fournir les éléments à ossature bois, selon des données de départ plus ou moins précises : « La plateforme accueille un certain nombre d’acteurs spécialisés dans l’étude et qui peuvent faire office d’interface, même si, souvent, les préfabricateurs préfèrent s’en remettre à leur propre bureau d’études, ce qui implique souvent un délai ».
Mise en ligne il y a un an, la plateforme est particulièrement encourageante pour l’Ile-de-France et le quart Nord-Ouest (Normandie, Bretagne, Pays de Loire…) : « En région parisienne, la demande est forte, mais l’équipement productif insuffisant ». En cas de mobilisation de la filière bois, sa plateforme est idéale pour mettre en relation les ingénieurs et les préfabricateurs, par exemple en mettant à disposition des plans d’exécution.
Mais aussi en affinant la collaboration par le biais des outils interactifs comme le Forum. William Delaby : « S’il s’agit de répondre en urgence, on peut ne pas se soucier de l’essence ou de l’origine géographique du bois. Les projets pourraient tabler sur le recours à des micropieux. Enfin, il est important de prévoir la possibilité de réemploi des composants pour des usages ultérieurs, qu’il s’agisse de murs, de menuiseries, de portes etc. A cette fin, il existe d’ores et déjà des solutions de montage vissées et non clouées, qui anticipe le démontage ».
Ce souci du réemploi est d’autant plus justifié quand on considère que les 16 hôpitaux de fortune mis en place début février dans le Hubei ont tous pu fermer un mois plus tard.
Montage d’un hôpital de jour à Dijon ©Tekhne Architectes
Un défi lancé aux spécialistes des modules préfabriqués
Le 18 mars, Emmanuel François, qui préside SBA, la Smart Buildings Alliance for smart cities, lance sur Linkedin : « Pour faire suite à l'annonce du président Emmanuel Macron d'ouvrir un hôpital de campagne en Alsace en mettant à disposition un hôpital militaire de quelques dizaines de lits, je propose que les acteurs de la construction se monopolisent et aillent au-delà de cet appel en proposant la construction en quelques semaines d'un hôpital ou plusieurs hôpitaux pour héberger l'afflux de patients.
Nous avons en effet en France quelques acteurs qui maîtrisent parfaitement la préfabrication et le hors site. Belle opportunité de montrer que la France n'est pas en reste sur cette technologie et peut se montrer aussi réactive que ne l'a été la Chine ».
Son post donne lieu à de nombreux commentaires mais il se trouve qu’au même moment, des préfabricateurs de modules comme Ossabois, Cougnaud ou Arbonis suspendent leur activité comme un peu tout le monde. Pas facile de relever le défi concrètement dans ces conditions, même si rien n’empêche de lancer tout de suite les études en télétravail, dans une situation de blocage des projets et commandes courantes.
Caserne en modules préfabriqués d’Ossabois. ©Ossabois
Chez Ossabois, Michel Veillon veille au grain. En principe, avec une usine dont la production est suspendue, et qui travaille sans stock, il semble bien difficile de répondre à une éventuelle demande. Mais Michel Veillon relève qu’il dispose d’un certain nombre de modules en instance de livraison pour une caserne.
Dès lors, sous réserve de la demande ou de l’accord de l’entreprise générale cliente, il sera donc possible de livrer immédiatement, en mobilisant les effectifs nécessaires, ces modules équipés pour constituer des chambres, des vestiaires et des salles de bains. Certes, ce ne sont pas des modules d’un hôpital en bonne et due forme. Mais ils peuvent s’avérer utiles comme compléments.
Le siège de Cougnaud en Vendée. ©Cougnaud
Des livraisons urgentes toujours possibles chez Cougnaud
Chez le leader vendéen de la construction modulaire, le site de production a été fermé mardi au profit du télétravail, mais en maintenant la possibilité d’effectuer des livraisons urgentes, comme elle demandées actuellement par des hôpitaux pour adapter leurs capacités d’accueil.
Christophe Cougnaud rappelle qu’il y a deux ans, suite au cyclone qui avait dévasté St Martin, l’agence marseillaise de Cougnaud avait su relever le défi de livrer 40 modules en 48 heures au port de Toulon : « Nous sommes en mesure, s’il le faut, de livrer 150 modules en une semaine, et même plus en travaillant avec 3 équipes.
Bien sûr, s’il s’agit de les équiper de façon particulière, cela doit se préparer en amont. Les courants forts et faibles, nous pouvons les intégrer. Les fluides, c’est plus compliqué ». Ironie du sort, Cougnaud comptait lancer justement, le 10 mars, son concours #accélérons !, déprogrammé au dernier moment.
Il s’agissait il est vrai, non pas d’accélérer la mise à disposition d’équipements à usage sanitaire, mais « la transition énergétique de la construction ». Il est vrai que c’était bien le sujet dominant attendu pour l’année 2020, occulté par l’actualité qui relève par ailleurs une baisse sensible des émissions à effet de serre, directement liée à la baisse d’activité.
Source : batirama.com /Jonas Tophoven