Limiter l?artificialisation du territoire pour préserver la biodiversité suppose de freiner la croissance des zones urbaines et des infrastructures. La LPO prépare un guide pour les élus communaux.
La croissance des zones urbaines et des infrastructures mais aussi l’extension des zones agricoles participent à l’artificialisation, qui elle-même condamne la biodiversité. On ne compte plus le nombre de rapports faisant état de la disparition d’un grand nombre d’espèces animales et végétales sur terre. Toutes les régions du monde sont concernées, puisque 50 % de la population vit dans des zones urbaines (dont 80 % en Europe et en Amérique du Nord).
En France, la LPO (Ligne de protection des oiseaux), ONG impliquée dans la conservation de la biodiversité et des espaces naturels, relève qu’avec près de 10 % du territoire artificialisé, la France se situe à un niveau supérieur à la moyenne européenne. Elle a publié une note avant l’annonce du Plan de Relance, espérant que « le BTP soit l’outil de ville écologique de demain ».
La sensibilité « écologique » des électeurs (constatée en France avec le « verdissement » des équipes municipales renouvelées en juin dernier) pèsera sans nul doute sur les prochains débats et décisions engagées en termes de construction au niveau local. Avec cette contradiction forte : les Français rêvent plus que jamais d’espace (suite au confinement imposé) voire d’un habitat individuel, souvent consommateur d’espace naturel.
Cependant, l’objectif de Zéro artificialisation nette (Zan) remet en cause le modèle de lotissements pavillonnaires, processus majeur d’artificialisation, selon l’ONG. Les constructeurs de maisons individuelles et les promoteurs devront prendre en compte ces données qui impactent d’ores et déjà leurs activités. Globalement, l’ensemble des bâtisseurs et constructeurs (y compris dans les infrastructures) est concerné par le sujet.
Artificialisation : les activités du BTP prioritairement concernées
Pour mieux cerner le sujet, la définition de l’artificialisation, retenue au niveau national, est rappelée dans la note complète de LPO. Ainsi, est considéré comme artificialisation, tout ce qui est soustrait de son état naturel, agricole ou forestier.
Sont donc visés comme milieux artificialisés les sols bâtis, (habitat, bureaux, usines, entrepôts…), les sols revêtus ou stabilisés (routes, ronds point, voies ferrées, parking) et d’autres espaces modelés par les activités humaines (carrières, chantiers, équipements sportifs et même les espaces verts urbains…).
Bref, toutes les activités de la Construction et des travaux publics sont concernées par le sujet. Selon la note, la priorité demeure de ralentir l’extension des villes et des infrastructures aux dépends des espaces ruraux. Et au sein des espaces urbanisés, il faut réduire les surfaces imperméabilisées actuelles, tout en augmentant la densité du bâti et en renforçant les espaces de nature en ville.
Les hirondelles font partie des espèces d’oiseaux protégés car de plus en plus rares et donc menacées d’extinction. Un fléau dû au changement climatique mais aussi à la disparition de leur habitat naturel dans les espaces ruraux. © LPO
Plusieurs lois pour affirmer des objectifs de biodiversité
Depuis les années 2000, les pouvoirs publics ont pris des engagements pour stopper cette évolution à travers plusieurs lois (SRU en 2000, Grenelle II en 2010 et ALUR en 2014).
Le plan Biodiversité publié en juillet 2018 fixe même un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). Et la création d’un observatoire de l’artificialisation des sols a été mentionnée dans l’instruction du gouvernement du 29 juillet 2019.
C’est donc aujourd’hui un sujet au cœur des préoccupations des aménageurs, constructeurs, responsables territoriaux et élus locaux. En vue de cet objectif, et au moment de l’annonce du plan de relance du gouvernement, la LPO a rappelé dans sa note certaines recommandations.
Réformer la fiscalité pour limiter l’urbanisation
L’ONG relève que la situation agricole et la fiscalité actuelle favorisent l’urbanisation : la différence de prix entre le foncier agricole et celui des terrains à bâtir incitera un agriculteur (dont les revenus s’effritent) à céder ses terres. Et il sera toujours moins coûteux pour un promoteur de s’installer sur un foncier vierge que sur un foncier déjà bâti à requalifier, souligne la LPO.
L’ONG préconise ainsi de supprimer les exonérations de taxe facilitant l’artificialisation des terres. En clair, il s’agit pour elle de conditionner les exonérations et abattement de la taxe d’aménagement à une absence totale de nouvelle imperméabilisation des sols.
Par ailleurs, elle propose également d’exclure de l’éligibilité au prêt à taux zéro (ainsi qu’au dispositif Pinel) les constructions sur des terres non artificialisées, donc les terrains vierges et encore naturels. Une disposition qui concerne principalement le marché des Constructeurs de maisons individuelles : ceux-ci visent majoritairement une clientèle de primo-accédants soutenus par différentes aides publiques, dont le PTZ.
A contrario, l’ONG souhaite redimensionner certains outils fiscaux pour encourager les projets qui ne changent pas l’emprise au sol du bâti (surélévation, rénovation, reconstruction). Autres mesures préconisées : augmenter les taxes sur les ventes de foncier non bâti à destination bâti et augmenter la taxe d’habitation sur les logements vacants en la systématisant aux communes exclues de la liste actuelle.
On peut également noter cette proposition : supprimer la taxe sur le foncier non-bâti pour rendre moins avantageux toute construction.
Documents d’urbanisme : un levier pour éviter l’expansion des zones pavillonnaires
Pour protéger les milieux naturels et agricoles, la politique actuelle de zones commerciales « verrues sur le patrimoine architectural de la France rurale » doit être revue, estime l’ONG. Notamment, en dressant un inventaire de réserves de locaux commerciaux vacants, et en établissant un moratoire sur toute nouvelle construction ZAC tant que le solde n’est pas nul.
A cet égard, les documents d’urbanisme sont des outils essentiels pour mettre en œuvre le ZAN. Ces documents revus doivent permettre de limiter l’expansion des zones pavillonnaires responsables majoritairement en France de l’artificialisation, relève le rapport.
Il propose de structurer les SCOT (Schéma de cohérence territoriale) et PLUI (Plan local d’urbanisme intercommunal) autour de la lutte contre l’artificialisation sans oublier les plans locaux de l’habitat.
Ce qui suppose d’inclure dans ces documents des données issues d’inventaires et de cartographies tels que recensement de logements vacants, analyse de tissus urbains et de friches agricoles (…) et diagnostic foncier intégrant des critères de biodiversité.
La révision des PLU issue d’une large concertation locale permet aujourd’hui de fournir des éléments détaillés sur les espaces à protéger. Les récents PLU se fixent des objectifs de production de logements au sein d’enveloppes foncières définies. Avec notamment pour axes stratégiques, la densification urbaine maitrisée, la limitation de l’étalement urbain vers les espaces naturels et agricoles, l’encadrement de l’évolution du bâti diffus sur l’ensemble du territoire et la reconversion des bâtiments désaffectés (ici, PLU en révision de l’intercommunalité du Mesnil en Ouche, dans l’Eure)
De nouveaux PLU plus précis sur les zones à protéger
A noter qu’en milieu rural, certains PLU révisés ou en cours de révision mentionnent d’ailleurs d’ores et déjà outre les terres agricoles, des haies et alignements boisés, mais aussi les vergers, les mares, arbres isolés à protéger, ainsi que les espaces boisés classés… Des données qui limiteront de fait l’expansion parfois anarchique des communes via la construction de nouvelles maisons individuelles.
La LPO insiste sur la nécessité de fixer à l’échelle de chaque PLU, PLUI, SCOT un seuil maximal d’urbanisation issu d’une large concertation locale, basé tant sur les prévisions démographiques que sur la quantité de zones commerciales et de logements vacants.
Il faudrait aussi limiter le dispositif prévu par la loi Alur de 2014, ajoute l’ONG. Celui-ci permet aux collectivités de construire en zone non constructible sur simple déclaration à projet et enquête publique, emportant de facto modification du PLU ou du SCOT.
L’Ademe a retenu 6 lauréats dont le site de la Macérienne à Charleville-Mézières (08) pour la 10e édition de son appel à projets pour dépolluer des friches en vue de leur reconversion. Ces projets concernent des collectivités de taille variée et des superficies allant de 0,3 à 4 ha. Ils représentent un budget total de près de 11 M€ de travaux de dépollution éligibles et une aide totale de l’Ademe de 3,3 M€. Ces projets peuvent répondre à un besoin de logements, recréer une centralité en cœur de ville ou encore créer un parc urbain.
Infrastructures de transport : un rôle négatif sur la biodiversité
Un point du rapport est enfin consacré aux infrastructures de transport, dont « la création est envisagée de manière trop systématique » pour l’ONG.
Elle rappelle que le rôle négatif des infrastructures sur la biodiversité est particulièrement élevé avec la minéralisation des sols (dénaturalisation des sols augmentée avec l’excavation et le stockage des délais), les cloisonnements, le bruit et les collisions. Chaque année par exemple, 60 000 chouettes effraies meurent percutées en France.
Ce n’est pas tout, les infrastructures énergétiques sont consommatrices d’espaces. Outre la restriction des zones de chasse pour les oiseaux et chauve-souris avec les éoliennes, le problème est plus important en ce qui concerne les champs de panneaux photovoltaïques.
Le problème des champs de panneaux photovoltaïques
Leurs réalisations se multiplient en zone naturelle, soutenues par l’Etat via ces appels à projet en particulier ceux de la Commission de Régulation de l’Energie. La course à la rentabilité favorise leur implantation en milieu naturel, y compris ceux des terrains militaires riches en biodiversité, mais sur des plans d’eau occasionnant une artificialisation, relève la LPO.
Les solutions à objectif écologique, telles que les énergies renouvelables, occasionnent une artificialisation qui sont le résultat d’injonctions contradictoires qu’il importe de résoudre, estime l’ONG.
L’idéal serait de soutenir financièrement et massivement, l’installation de panneaux PV sur de petits espaces (toits et parking en priorités, anciennes décharges et friches industrielles au cas par cas). Et là encore, il faudrait idéalement conditionner les appels à projets en matière d’énergie renouvelable à l’absence d’artificialisation des sols.
La création de parcs photovoltaïques installés en milieu naturel souvent riches en biodiversité devrait être limitée et concerner les zones déjà urbanisées (toits et parking en priorité), selon la LPO.
Favoriser la densification dans les villes et villages
Investir et réhabiliter les centres-villes, qui souvent se désertifient, demeure primordial pour l’ONG, notamment pour lutter contre le modèle de lotissement pavillonnaire. Une récente étude de l’Ademe montre par ailleurs qu’une réhabilitation nécessite 80 fois moins de matériaux que la construction neuve.
Ceci suppose d’encourager les réalisations de petit habitat collectif à forte plus- value écologique. Un écueil demeure toutefois : le risque de perte en espace « verts » et en visibilité du ciel. L’extension des espaces verts en ville constitue également un des moyens d’adaptation des villes au changement climatique, précise la note de l’ONG.
Chaque commune ou RPCI doit donc faire son bilan d’espace de pleine terre existants et fixer un pourcentage minimal à respecter, en sachant que le seuil plancher, est de 10 m2 d’espace verts par habitant.
Parmi les mesures préconisées, la LPO propose de prévoir dans les concours d’architectures et appels à projet des conditionnalités visant à limiter l’étalement et proposer des appels à projets visant des innovations en termes d’habitat et d’espaces communs plus partagés, des bâtiments réversibles, des continuités terre-toits pour les nouveaux quartiers…
Il faut activer le levier de la séquence ERC (Eviter, Réduire, Compenser) afin qu’il remplisse le rôle initialement souhaité, conclut la LPO. Plusieurs études révèlent qu’un aménagement causant de l’artificialisation et de l’imperméabilisation n’est pas compensé en « désartificialisant » ailleurs, mais en tentant d’améliorer des espaces déjà à caractère naturel…. ©E. Caudron
Source : batirama.com/ Fabienne Leroy