Quand l’Europe s’empare du système constructif bois-paille

Alors que la construction neutre en carbone devient impérative, la construction en bois-paille, déjà implantée en Europe, devient une solution de plus en plus expérimentée.

Légende : Maison particulière de deux étages en bois-paille pas très loin de Düsseldorf. La grue suffit.©JT

 

Le Centre National de la Construction Paille, établi à Montargis dans la plus vieille maison en paille du continent, a été la cheville ouvrière d’un programme européen de développement de la construction paille démarré en 2017 et qui joue actuellement les prolongations suite à la pandémie.

 

Pour le CNCP, cette initiative était une façon de faire financer par l’Europe jusqu’à 60% de son programme de Création du Centre Européen de la Construction Paille sur le site de la maison Feuillette.

 

Il n’y a d’ailleurs pas de quoi rougir, si l’on compare les aides recueillies par ce type de construction au regard des autres. Il est vrai que la maison de l’ingénieur, toujours fringante avec sa paille remontant aux temps de l’autre pandémie, n’est pas particulièrement spacieuse. Le CNCP a pu convaincre d’autres partenaires européens, d’autant plus que l’organisation européenne de la construction paille, l’ESBA, s’est structurée dans la foulée.

 

 

 

La maison ancienne mitoyenne montre les magnifiques tavaillons en ardoise qui vont également orner la maison en bois-paille, sachant que comme en France, les gisements d’ardoise se font rares.

 

Un programme européen pour aider à réaliser plusieurs projets

 

Pour l’Interreg qui finance ce programme à hauteur de 3,8 millions d’euros, c’est tout juste un brin de paille. Mais pour le monde de la paille, ce premier projet européen est d’une grande importance, et il signifie aussi que les projets doivent être en partie financés par les acteurs, soit 2,5 millions d’euros.

 

On aurait pu imaginer que ce programme permette de développer un configurateur carbone ou de financer un test décisif, mais en fait, il s’est surtout agi d’aider à la réalisation de plusieurs projets, en plus du nouveau CNCP.

 

Parmi ces projets, on peut citer : le Centre d’accueil de la Réserve naturelle, construit en paille porteuse, à Hastings ; une Salle de sports rénovée et isolée en paille (Pays-Bas) ; la Construction des nouveaux locaux du Cluster EcoConstruction en paille (Belgique) ; la Construction d'un nouveau bâtiment sur le site de l'abbaye Bénédictine (Allemagne).

 

Les Néerlandais en pointe

 

Les Néerlandais sont en pointe, ils ont terminé leur isolation périphérique d’un bâtiment réaménagé en salle de sport : la paille a été employée en remplissage de structure en bois, un peu comme de la ouate de cellulose.

 

Les Bavarois ont terminé l’imposant gros-œuvre de leur bâtiment de deux étages avec 30 chambres, l’enduisage est prévu sous peu. A Hastings, les travaux étaient déjà très avancés il y a plus d’un an, mais la dernière vidéo fait état d’un chantier pillé.

 

Quant à l’autre projet britannique, la construction d’une école pour apprendre à construire en paille, difficile de savoir où ça en est. Le Cluster belge n’est pas encore construit. Bref, ce n’est pas à ce régime que le bâtiment européen parviendra à perdre de son embonpoint émissif. Il faudrait un programme qui table sur une multiplication par deux chaque année pendant au moins 20 ans.

 

 

La région regorge d’épicéas, d’ailleurs très souvent rongés par les scolytes en ce moment, mais le bois utilisé par les charpentiers allemands est de l’épicéa européen collé en bois d’ingénierie et raboté. Le charpentier Jörn Wieland de Holz-Werk GmbH apprécie le grand confort de manutention.

 

L'Allemagne, un territoire de conquête

 

En complément, ce mouvement européen s’accompagne d’un MOOC dont la seconde partie vient d’être lancée, d’un développement du Réseau Français de la Construction Paille en Belgique, et d’un étonnant plan permettant de visualiser les bâtiments en paille construits en Europe.

 

On y voit bien que la construction paille est très largement répartie, mais aussi que certaines régions sont plus en pointe que d’autres, par exemple la France et l’Autriche. Le Sud de l’Europe est peu concerné sauf l’Espagne, de même, l’Europe Orientale semble peu intéressée pour l’instant.

 

L’Allemagne reste un territoire de conquête : les règles de construction sont disponibles depuis 2006 et on y a déjà construit des bâtiments R+5 à titre de démonstrateur. Pour autant, les résultats sont décevants, notamment parce que ce mode constructif ne dispose pas d’industriels de poids capables de mieux se faire entendre.

 

La structure est en bois, mais le bois n’a jamais eu vraiment cure de la paille. La paille est un sous-produit de l’agriculture, les enduits en argile, très prisés en Allemagne, tiennent bien sur la paille mais peuvent aussi s’appliquer ailleurs.

 

Quant au marché des botteleuses, il reste limité : l’Autrichien Sonnenklee vient de mettre au point un outil de bottelage qui voyage. Il a été employé dans le cadre de la fabrication des 2000 bottes pour les 30 chambres de l’Abbaye de Plankstetten.

 

La paille rebotellée voyage beaucoup

 

Comme cela était encore le cas en France il y a cinq ans, la paille rebottelée parcourt de nombreux kilomètres. Dans le cas d’une maison de deux étages en cours de construction à Solingen pas loin de Düsseldorf, la paille rebottelée viendra de Hambourg.

 

D’ailleurs, l’architecte Pontus Falk vient de Berlin, tout comme le bureau d'étude spécialisé dans la paille, Britta Imhoff. On ne peut pas dire que la paille soit inexistante dans la région de Solingen, la carte de l’Esba montre deux autres réalisations dans un entourage de 50 km.

 

Mais si l’on tient compte du fait que la région de Solingen est en bordure sud de la plus grande mégalopole d’Europe, avec des millions de maisons, cette technique constructive demeure totalement confidentielle.

 

 

Voilà comment les bois d’ingénierie rabotés et pré-taillés sont livrés sur le chantier.

 

La paille a un avenir en Allemagne

 

De l’autre côté du Rhin, les maisons bois préfabriquées semblent en verve. Chaque année, la fédération BDF publie de nouveaux chiffres records. Certes, toutes les maisons préfabriquées ne sont pas en bois, mais il s’agit bien du matériau le plus employé dans la région. On est dans un pays qui a gardé ses traditions de compagnonnage, et où le charpentier est quelqu’un de respecté.

 

Toutefois, la percée des maisons préfabriquées pousse les entreprises dans leurs retranchements. La plupart tentent de copier les géants du secteur, c’est-à-dire de produire en atelier. Mais la maison toute prête, c’est encore bien autre chose. On peut dire que c’est l’idéal absolu de la maison en bois, mais aussi son contraire.

 

Nulle part comme en Allemagne et en Suisse, sous l’égide de Schwörer et de Weber, la construction de maisons en bois n’a été poussée aussi loin vers la perfection. D’un autre côté, partout en Allemagne, n’importe qui peut aller se choisir une maison dans l’une des villages mutualisés par les fabricants de ces maisons toutes prêtes, et le résultat, c’est que partout en Allemagne, sans aucune considération pour le terroir, ces maisons de catalogue se dressent.

 

Elles ont parfois leur style comme les maisons en poteau-poutre et largement vitrée de Huf ou de KD-Haus à Ratingen, également pas loin de Düsseldorf. Ce sont des maisons en général particulièrement bien conçus en termes d’installations et de consommation d’énergie. Mais que reste-il aux charpentiers du coin ? Certains, comme l’entreprise Grünspecht, à Fribourg, ont flairé l’affaire il y a seulement trois ans :  ils alignent déjà une dizaine de bâtiments qu’ils filment en long et en large, pour communiquer tous azimuts.

 

 

Pour empêcher la remontée d’eau capillaire, les grands moyens : deux rangées de briques dont la plus haute presque totalement isolante, et un feutre en plus.

 

La paille version grand confort 

 

On peut faire confiance aux Allemands pour industrialiser tout ce qu’ils touchent. Dans le cas de Grünspecht (petit clin d’œil aux piverts qui adorent creuser de leur bec les ITE en polystyrène), la paille est livrée à la bonne dimension. Elle est ensuite répartie dans les murs en poteaux-poutres et ils ont même la possibilité de fermer le mur côté extérieur avec un panneau en fibre de bois, puis de l’enduire avec une première couche d’enduit à la chaux.

 

Avec les enduits intérieurs à base d’argile, cela ne fonctionne pas bien en atelier, il faudrait ventiler davantage. Bref, la maison est en partie préfabriquée, il faut bien sûr que le montage protège la paille. Mais justement, pour le faire, les charpentiers allemands réalisent en atelier d’immenses toits quasiment finis, il ne reste qu'à poser les tuiles.

 

Ensuite, commence quelque chose qui, sans doute, dissuade les charpentiers allemands de verser dans la paille. Car le mode habituel allemand est d’associer à la paille un enduisage intérieur à base d’argile, parfois en intercalant des nappes chauffantes qui permettent également de réduire les délais entre les passes. Enduire, c’est un métier, et ce n’est pas du tout celui du charpentier.

 

Sur le plan du confort ressenti, cette conjonction de la paille et de l’enduit est sans doute ce qu’il y a de mieux en termes de confort. Par contre, sur le plan technique, l’absence de contreventement oblige à rajouter des croix en acier.

 

En France, l’approche est plus sèche en général. La paille est calée contre des coffres en bois et il faut absolument empêcher par des films étanches que l’humidité de la maison passe dans la paille et ne parvienne pas dehors à cause du coffre qui d’ailleurs sert aussi à protéger la paille contre les nuisibles.

 

 

Au centre de la maison, deux croix de Saint-André font office de contreventement, mais d’autres se surajoutent du côté des parois.

 

Etude de cas à Solingen

 

La maison en construction à Solingen a été calculé par Britta Imhoff avec l’appui de l’architecte et contre la position du charpentier (Jörn Wieland de Holz-Werk GmbH) qui aurait préféré manipuler les éléments plus petits, y compris en termes de logistique chantier.

 

Il n’empêche qu’elle a vraiment une belle allure de maison de charpentier. C’est la première maison en paille de l’architecte et du charpentier. Le contexte est le suivant : Solingen est une ville cernée par un profonde vallée, la Wupper. Le vent y souffle fort. On n’est pas loin du tout de la Westphalie et de ses épicéas.

 

La culture brique du plat pays du nord n’est pas tout à fait endémique. Par contre, ce qu’on trouve encore, ce sont des maisons en bois couvertes de tavaillons en ardoise. Dans ce sens, la maison de Solingen est une sorte de nouvelle version de l’approche ancienne. Elle sera couverte de tavaillons, sa structure est en bois selon une approche poteau-poutre si ce n’est qu’aujourd’hui, en Allemagne, tout est en lamellé ou BMA.

 

Le bois provient d’Europe. Les éléments sont tous rabotés et on aurait envie d’habiter ainsi, si ce n’est que les croix de Saint-André viennent gâcher la fête. En Allemagne comme partout, les sciages d’épicéas grimpent en flèche, plus 20% ces derniers mois. Mais le charpentier se fait livrer des poteaux et poutres déjà taillés pour la plupart, avec toutes sortes de sections. Le charpentier va sous-traiter l’enduisage.

 

Auparavant, il va fermer la maison, d’une part avec le toit, de l’autre en plaçant des panneaux Pavatex. Le planning a été établie pour que la mise en place de la paille se déroule à un moment pas trop froid et pluvieux. D’un autre côté, avril, ce n’est pas vraiment le meilleur moment pour acheter de la paille.

 

 

 

Qui sait si une maison construite comme ici avec des bois d’ingénierie de grande section aurait eu besoin, en France aussi, de toutes ces croix de Saint-André en acier ?

 

L’Europe de la paille

 

La façon dont chacun construit avec la paille dépend des réglementations nationales (l’Allemande est l’une des plus pointues), mais aussi de l’intérêt des acteurs ou des maîtres d’ouvrage. Et on se rend bien compte que malgré les règles officielles, la vraie façon de mettre en œuvre le bois-paille reste encore à trouver.

 

C’est bien ce qui est dangereux avec les règles nationales que l’on se doit bien de faire respecter, mais qui brident la créativité. A ce titre, la comparaison des approches au sein de l’Esba pourrait permettre de se reposer la question de la meilleure façon de procéder, surtout dans la perspective d’une construction neutre en carbone.

 

 

Les charpentiers de Holz-Werk GmbH viennent de Cologne et sont en fait six sur ce chantier.

 


Source : batirama.com/ Jonas Tophoven

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