Les pionniers de l?agencement éco-responsable poussent leur démarche vers le circuit court et l?approvisionnement auprès de forêts gérées durablement, sans futaie régulière et sans coupes rases.
Le site de Bio Création Bois, à mi-chemin entre les agglomérations de Nantes et de Rennes, emploie 35 personnes.© Bio Création Bois
A première vue, l’entreprise Bio Création Bois(1) installée dans un faubourg de Redon juste de l’autre côté de la frontière départementale avec La Loire Atlantique donne l’impression d’être l’une des très nombreuses entreprises à tendance bio au goût du jour.
Certes, les ateliers font 4000 m2, les effectifs atteignent 35 personnes et les initiés savent que Bio Création Bois fait partie de l’écosystème Ulterïa qui intègre son homologue Mobil Wood dans l’Yonne et Azelan, à Bergerac, spécialisé dans le réemploi et la charpente.
Voilà où a mené l’idée lancée en 1989 de produire des agencements en bois massif, sans panneaux de process, et le plus possible en utilisant du bois local.
Des tensions sur l’approvisionnement du bois
1989, ce sont trente ans d’avance dans le sens où BCB anticipait les problèmes de qualité de l’air, la déforestation importée, les possibilités de réemploi. Et ce dans un endroit où la couverture forestière n’est pas importante, mais où, surtout en 1989, le marché du bois était largement alimenté par les importations de Nantes.
L’entreprise, dont l’envie de travailler avec les scieries du coin est donc ancienne, tout comme celle d’utiliser les essences locales, ne devrait donc pas être concernée par les tensions actuelles sur la matière première en bois.
Et pourtant, BCB s’est saisi de cette situation pour communiquer sur une idée qui tient à cœur notamment au directeur général Anthony Meignen et Benjamin Saint-Mard, le directeur commercial. « Les délais de livraison sont passés de cinq semaines à six mois », rapporte Anthony Meignen qui se réfère cependant à l’épicéa trois plis acheté en Autriche faute de fournisseurs locaux.
Un espace Snack livré par Bio Création Bois en 2015 ou comment faire un arbre avec du bois massif.©Bio Création Bois
Des forêts gérées durablement
Selon eux, face à un marché du bois qui se globalise, il serait important que les transformateurs de bois s’assurent non seulement que le bois qu’ils utilisent provienne de circuit court garant de faible empreinte carbone, mais aussi que les forêts d’où il provient soient gérées durablement.
Gérée durablement ? Pourtant, la France entière est couverte de forêts labellisées PEFC ! « Au départ, la certification PEFC voulait instituer une traçabilité des bois, mais dans la pratique, nous n’avons jamais pu retrouver à partir d’un lot labellisé la provenance précise », explique Benjamin Saint-Mard.
Le directeur commercial du développement voudrait pouvoir rassurer ses collègues, mais aussi ses clients de plus en plus sceptiques en matière de bois, que la matière provient de forêts bien gérées. Comme quoi, la confiance entre les labels de certification PEFC et FSC semble bien rompue. Pour préciser ce que BCB entend par une forêt durablement gérée, il s’agit surtout d’éviter le repoussoir national du Morvan et de ses forêts de plantation à coupes rases.
Les gestes de recyclage demandent à être accompagnés par des meubles bien pensés et qui sont parfois aussi issus du recyclage. Boutique Faguo 4 en 2021. ©Bio Création Bois
Le bois face à une crise de défiance
Il ne s’agit pas de remettre en cause les outils d’abattage, et de préconiser le débardage à cheval, d’éradiquer le robinier invasif depuis qu’il a été importé de Virginie au début du 16e siècle, ou le Douglas depuis 150 ans.
Les menuisiers de BCB ne sont pas des ayatollahs de la nature, ils savent capter le vent qui annonce très clairement un besoin de restituer la confiance quant à l’origine du bois. Un vrai serpent de mer car la même rupture de confiance avait généré le standard FSC puis PEFC en réaction.
Et il faut bien constater que les millions d’hectares certifiés de part et d’autre n’empêchent pas la déforestation, que les fraudes à la certification existent et que les standards ne sont pas parvenus à endiguer la perte de confiance.
Par rapport à la situation précédente, d’il y a 20 ans, le marché français est confronté peu ou prou à une interrogation qui ne porte plus tant sur les bois exotiques que sur les essences françaises et européennes.
En général, les acheteurs de produits finis, urbains, sont tellement loin du monde économique de la forêt que sa perception peut être influencée par les médias de tout type. La vague de défiance est telle que même BCB, bien implanté dans son marché et prouvant depuis des décennies une approche locale et vertueuse, se doit de chercher des moyens d’apaiser cette défiance actuelle envers le bois.
Même et surtout dans les magasins d’alimentation bio, le recours à un agencement tout bois s’accompagne d’une recherche de design. Un Biocoop Scarabée en 2019.© Bio Création Bois
Des panneaux de bois scrutés sous toutes leurs coutures
C’est quand même un comble que cette défiance affecte une entreprise au-dessus de tout soupçon comme BCB ! Pour leurs clients, ils développent avec Algo des vernis biosourcés à base d’algues. Même les plus vertueux panneaux de process sont scrutés sous toutes leurs coutures pour être toujours rejetés à cause de substances qui ne semblent pas saines.
Les bois sont assemblés souvent en bois-bois de façon à en faciliter le ré-usage, et le ré-usage est pratiqué facilement à l’aide de quelques coups de ponçage. Se focaliser ainsi sur les vertus du bois massif a permis à l’entreprise de devancer la vague verte et de l’accompagner tranquillement. Maintenant, il faut que le bois sorte du bon massif.
« Même ici en Bretagne, il y a assez de bois et assez d’essences diverses locales que nous pouvons utiliser pour tous nos travaux d’agencement ». Le business model de BCB n’est pas menacé par un manque de matière, ni aujourd’hui, ni sans doute demain. Mais dans le cadre de leur démarche RSE, prise très au sérieux, la recherche d’une certification B Corp conduit BCB à tenter de réduire son impact carbone et à agir pour réduire également celui de ses fournisseurs.
Pour l’heure, le carburant de l’abatteuse, la source d’énergie du scieur ou celle de l’atelier n’ont pas encore été passés au crible. L’envie commerciale est de calculer le coût carbone des meubles qui quittent l’usine. Et cela n’est pas facile à évaluer.
Prototype d’alcôve développé en 2020.© Bio Création Bois
Une démarche Carbone avec la certification B Corp
Ainsi, la mise en discussion d’une sorte de pacte avec les fournisseurs et forestiers s’accompagne d’une démarche carbone qui nourrit la certification B Corp. Et l’on bute toujours sur le même problème qui est de calculer le bilan carbone d’un produit donné.
Les fiches FDES groupées ? « Nous ne les appliquons guère car il y a toujours des paramètres qui ne sont pas les nôtres », estime Benjamin Saint-Mard. Le circuit court est aussi peu valorisé que la logistique verte, et ne parlons pas de l’intégration dans l’équation du facteur de substitution.
C’est-à-dire qu’un élément d’agencement stocke du carbone, en dépense lors de l’abattage et de la transformation, mais peut, s’il est bien conçu et bien récupéré, prolonger presque indéfiniment son stockage de carbone. Rappelons qu'il n'y a pas de prise
Il est fort possible qu’au réel, son bilan carbone soit positif. Il le devient en tout cas dès lors que l’on prend en compte la substitution. Mais au lieu d’essayer de chiffrer ces bénéfices, et de les vendre, le marché français du bois se braque sur les coupes rases.
Si elles échappent aux paramètres de la RE2020 applicables dès janvier 2022 à la construction neuve, notamment en terme d'émission carbone, les entreprises d'agencement comme BCB* demeurent confrontées aux mêmes enjeux : limiter le bilan carbone de la transformation ou prendre en compte le biogénique grâce à une longue durée d'usage et au recyclage, ...
Le problème de la traçabilité
L’entreprise BCB, bien implantée, n’a pas choisi de faire le gros dos. Quand on a forgé sa réputation en développant une offre française d’agencement pour le vrac des magasins bio, et en plus, en en bannissant le plastique, la volonté de redonner une nouvelle crédibilité au bois est tangible. Et elle débouche en fait vers la vieille demande de traçabilité du bois, jamais réalisée parce qu’il s’agit avant tout d’un problème technique.
L’une des principales scierie françaises, Siat en Alsace, a échoué dans sa tentative de tracer les grumes. Pourtant, de gros moyens ont été mis en jeu. Même s’ils avaient réussi, le traçage n’aurait pas pu se poursuivre jusqu’à la planche. Et le traçage se perd complètement dans les bois reconstitués.
Ce qui fait qu’en matière d’épicéa, les bois d’ingénierie se réfèrent à de l’épicéa d’Europe, un peu comme, dans le domaine de l’acier, la provenance de la matière n’est plus identifiable. Par contre, un acteur comme BCB peut fort bien documenter ses provenances, se concentrer sur des fournisseurs locaux autant que possible, comprendre et participer à la gestion forestière et sécuriser ainsi ses clients, d’autant plus que l’approche, sans panneaux de process, et à base de bois massif simplifie largement une telle démarche.
* et comme toutes les entreprises face à l'échéance 2030 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven