Le 2 juin 2021, l?administration a publié les projets de textes sur la révision des tarifs d?achats d?électricité photovoltaïque. Les syndicats ? Enerplan et le SER en tête ? le prennent très mal.
Ce feuilleton dure depuis l’automne 2020. Le Gouvernement avait suscité un amendement durant la discussion de la Loi de Finances 2021 dans le but de réduire – rétroactivement – les tarifs d’achats de l’électricité photovoltaïque pour les contrats, pris en application des arrêtés tarifaires du 10 juillet 2006 (« S06 »), du 12 janvier 2010 (« S10 ») et du 31 août 2010 (« S10B »).
Il s’agit de contrats portant sur des installations de plus de 250 kWc, conclus entre 2006 et 2010. La date de 2010 est celle du moratoire sur le photovoltaïque appliqué très brutalement par un décret du 9 décembre. Après quelques mois de flottement et la faillite de plusieurs centaines ou milliers – on ne sait pas trop – d’entreprises d’installations PV, le cours des choses avait repris, tant bien que mal, avec des tarifs d’achat nettement réduits.
L’amendement introduit par le gouvernement en décembre 2020 est devenu l’article 225 de la Loi de Finances 2021. Les syndicats, dont le SER et Enerplan, ont beaucoup crié, en vain. Le fameux ou plutôt l’infâmeux article 225 a été soumis au Conseil Constitutionnel. Qui, en janvier 2021, l’a entièrement approuvé, expliquant en quelque sorte que l’Etat a le droit de revenir sur sa parole – un contrat conclu pour 20 ans – tant qu’il « poursuit un objectif d’intérêt général », en l’occurrence le bon emploi des deniers publics.
De plus, insistait le Conseil Constitutionnel, l’article 225 prévoit que la réduction des tarifs d’achat doit « aboutir à ce que le prix d’achat corresponde à une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés ». Enfin, ajoutait le Conseil Constitutionnel, « si les nouveaux tarifs résultant de l'application des dispositions contestées sont de nature à compromettre la viabilité économique du producteur, il est prévu que, sur demande motivée du producteur et sous certaines conditions, les ministres chargés de l'énergie et du budget fixent au cas par cas, sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie, un niveau de tarif ou une date de prise d'effet de ce tarif différents ou allongent la durée du contrat d'achat. »
La CRE a développé une méthode pour calculer le « raisonnable »
En janvier 2021, nous en étions restés là. Attendant la définition du caractère raisonnable de la rémunération des capitaux immobilisés. Le caractère raisonnable est bien le problème. Au cours d’un point presse mercredi 2 juin, le ministère de la Transition Ecologique a répété que ses analyses en 2020 montraient que certains des contrats visés atteignaient des taux de rendement interne de 20%.
Il faut dire que les contrats incriminés prévoyaient, depuis 2006, une rémunération de 300 €/MWh pour les installations non-intégrées au bâti et de 550 €/MWh en cas d’intégration au bâti, contre 138€/MWh auparavant depuis 2002. Comme ces tarifs étaient indexés sur l’inflation, ils ont atteint 600 €/MWh en 2009. Ce qui se traduit pour l’Etat par une charge d’environ 2 Md€/an sur l’ensemble de la durée de vie de ces contrats – les derniers arrivent à échéance fin 2030 -, et de 39 Md€ au total, dont 25 Md€ restent à payer. ©PP
Et, apparemment, c’est trop. Le Ministère et Bercy ont donc chargé la CRE (Commission de Régulation de l’Energie), dont tout le monde connaît par ailleurs la bienveillance envers le photovoltaïque, de développer une méthode pour calculer le raisonnable pour chaque installation, sachant que l’objectif du gouvernement est de redescendre le taux de rendement interne entre 8 et 14%.
Ce qui devrait leur permettre d’économiser environ 4 milliards d’Euros au cours des dix années qui viennent. Ou peut-être plus, ont soufflé en duo le MET et Bercy, peut-être jusqu’à 1 ou 2 milliards de plus, soit tout de même 50% de mieux. Mais on ne sait pas vraiment, il faut attendre que la CRE applique sa méthode à chaque installation. Ce qui va naturellement rassurer tous les acteurs concernés.
La complexité de la procédure masque son infâmie
Le MET et Bercy ont donc diffusé aujourd’hui une note de synthèse, un projet de décret et un projet d’arrêté, soit 45 pages au total. Le calendrier est désormais le suivant : un délai de concertation de 15 jours commence aujourd’hui. Ensuite, après éventuelle modification des textes à l’issue de la concertation, ils seront soumis au Conseil d’Etat pour avis. Si tout se passe bien, les textes seront publiés au JO en juillet, pour une entrée en vigueur au 1er octobre 2021 pour les dix années qui restent à courir sur ces contrats.
Les projets de texte précisent la « rémunération raisonnable », expliquent la méthode de la CRE et les paramètres retenus, opération par opération, pour calculer la réduction tarifaire qui sera appliquée. 50% en moyenne, a dit le gouvernement. Mais les textes institueront aussi un tarif minimal : aucune installation ne sera privée de tarif d’achat.
Ensuite, lorsque la réduction du tarif d’achat est notifiée à un producteur – selon une procédure décrite par le menu -, celui-ci disposera d’un délai pour saisir la CRE et demander le réexamen de son cas. Ce recours est suspensif. La CRE délivre un accusé de réception et le producteur dispose alors d’un délai de 8 mois pour fournir toutes les informations que la CRE lui demandera. Si, à l'issue des 8 mois, la CRE demande des renseignements complémentaires : deux mois pour les fournir, mais la CRE peut prolonger ce délai jusqu'à 6 mois.
Enfin, ayant en mains toutes les pièces qu’elle souhaite, la CRE dispose de 12 mois pour rendre sa décision. Cette décision est notifiée au producteur par les ministres concernés, sans doute toujours MET et Bercy, dans un délai de 16 mois au maximum à compter de la première notification de la réduction tarifaire.
Ce qui interrompt la suspension de la réduction de tarif initiale. L’éventuelle différence entre les sommes perçues par le producteur durant la suspension de la réduction et les sommes qu’il aurait dû percevoir si la décision qui les notifiée par les ministres s’était appliquée dès le début, doit être remboursée dans un délai de trois mois.
Quant au calcul des révisions, il peut être modifié et nous les présenterons lorsque les textes seront définitivement publiés, en juillet prochain.
Le producteur peut toujours résilier le contrat d’achat, sans payer d’indemnités, pour peu qu’il poursuive l’exploitation de son installation jusqu’à la date prévue par le contrat. ©PP
Les syndicats crient au meurtre
Sans attendre, dans un communiqué commun publié dans l’après-midi du 2 juin, le SER, Enerplan et Solidarités Renouvelables dénoncent « une méthodologie erronée » - celle développée par la CRE – qui, appliquée en l’état, « mettrait en danger les producteurs concernés et aurait des impacts majeurs à la fois sur la solidité de nombreuses PME, l’emploi et l’atteinte des objectifs climatiques du pays ».
En effet, continuent les syndicats, « le barème de révision tarifaire proposé par les pouvoirs publics s’appuie sur des données théoriques très éloignées de la réalité économique démontrée par les documents comptables des sociétés de projet concernées. Ce barème, en sous-estimant de manière manifeste les coûts d’investissement et d’exploitation des centrales concernées, surévalue mécaniquement les taux de rentabilité et conduit donc à une baisse violente et injustifiée (jusqu’à -90% !) du tarif d’achat pour un grand nombre de centrales. La baisse moyenne pour l’ensemble des centrales serait quant à elle de 55%, soit un niveau totalement insoutenable pour faire face aux engagements contractuels de ces producteurs (remboursement des emprunts bancaires, loyers, paiement des fournisseurs, etc.) ».
Pour être juste, au cours de la réunion de presse du 2 juin, les représentants du gouvernement avaient l'air de vouloir utiliser la période de concertation de 15 jours pour vérifier que la méthode proposée par la CRE était bien correcte. Dans le cas contraire, ils ont semblé ne pas écarter sa révision.
Les syndicats poursuivent : « la clause de sauvegarde prévue par les textes est présentée à tort comme une bouée de sauvetage pour toutes les sociétés qui seraient en risque de faillite. Elle n’apporte en réalité aucune sécurité ni garantie aux producteurs ; au contraire, elle ouvre une période d’incertitude de plus d’un an, correspondant à la période d’instruction par le régulateur de l’énergie et dont l’issue sera incertaine compte tenu du caractère totalement discrétionnaire de la clause. Cette clause va également avoir un effet de contagion sur les sous-traitants (maintenance, gestion d’actif) et les bailleurs, dont beaucoup sont issus du monde agricole ».
Le cas particulier des toitures agricoles
Agricole est un mot clef : une bonne partie des 850 contrats concernés sont en effet conclus pour des installations sur des toitures agricoles. Dans deux semaines, à la fin de la concertation, c’est le premier tour des élections régionales, mais le MET et Bercy n’ont pas eu peur, du tout ! De nombreuses explitations agricoles parce qu’on leur avait présenté l’idée comme juridiquement avisée, ont créé des sociétés à part, filiale de leur société agricole, pour construire, exploiter leur installation PV et conclure un contrat sur 20 ans avec l’état.
De nombreux exploitants en tirent un revenu complémentaire qui les maintient à flot. Pas de panique, se sont écriés Bercy et le Met : dans ce cas, la CRE tiendra compte de l’effet de la réduction tarifaire sur la ferme et pas seulement sur sa filiale exploitant l’installation PV. La CRE, qui n’est pas connue pour la rapidité de ces décisions, va peut-être devoir examiner la situation de centaines d’exploitations agricole dans les douze prochains mois. Sans compter les autres contestations hors du secteur agricole, peut être plusieurs autres centaines. Est-elle équipée pour cela ?
Les syndicats concluent en appelant le Gouvernement « à mettre à profit la période de consultation publique qui s’ouvre pour se fonder sur les vrais chiffres comptables des producteurs concernés et non des chiffres théoriques et contestables afin de prendre une décision éclairée et cohérente avec le texte de loi ». Ce qui revient à un audit comptable de 850 entreprises.
La suite du feuilleton dans quinze jours – trois semaines
Source : batirama.com / Pascal Poggi