Le 10e Forum International Bois Construction a dû créer un auditorium, en bois, pour les sessions plénières, et il est confronté comme tous les ouvrages éphémères à la question de sa réutilisation.
14 juillet 2021 à 10h33, l’Auditorium Ephémère du 10e Forum International Bois Construction est terminé dans les temps à un jour du démarrage des manifestations. Photos©JT
A la rentrée 2019, Nicole Valkyser Bergmann, organisatrice du Forum International Bois Construction, cherchait un point de chute à Paris pour accueillir un congrès de 2000 personnes. Paris a beau être la première ville de l’événementiel au monde, rien ne convenait.
On lui a conseillé de tenter le Grand Palais à cause de l’intérêt que la construction bois suscite chez le grand public parisien et elle a obtenu gain de cause à condition d’accepter des visites de son exposition par le grand public.
Toutefois, la grande verrière du Grand Palais n’est flanquée que de deux amphithéâtres exigus que Nicole Valkyser connaît pour y avoir enseigné il y a trente ans. Il fallait concevoir un auditorium éphémère pour les séances plénières et les ateliers A plus orientés vers l’architecture. Et compte tenu de l’environnement minéral, vitré et métallique, cet auditorium se devait d’être en bois.
Les panneaux de CLT usinés chez LTS en Wallonnie pour leur enlever de la matière.
Un pari avec la création d’un auditorium agile en bois
Comme il n’existe pas d’auditorium agile en bois sur le marché, il a fallu le créer. Tout le monde a déconseillé à l’organisatrice du salon d’en être le maître d’ouvrage, mais malgré ses demandes répétées, personne n’a su la tirer d’affaire.
Un premier projet n’ayant pas abouti, Nicole Valkyser s’est tournée vers Steven Ware de l’agence ArtBuild qui a recouru à sa conception de CLT cintrés par enlèvement de matière. Jusque-là, Steven Ware avait décliné son approche sur le mode d’une commode d’accueil de son immeuble Opalia, puis pour un pavillon de la foire de Libramont en 2019, appelé Nautile.
Le concept de cintrage par enlèvement de matière était bien bordé, mais la solidarisation de coques cintrées de plus de 5 mètres de haut par des pièces métalliques l’était moins, surtout dans le contexte d’une utilisation agile.
Nicole Valkyser, organisatrice du Forum International Bois Construction, chez LTS en Wallonnie, le 3 juin, et face à une grave prise de risque.
Nicole Valkyser a acheté la matière première en douglas avec une aide partielle de France Bois Forêt, pour une transformation en panneaux CLT par Piveteau. Ensuite, les panneaux ont rejoint l’entreprise wallonne LTS pour l’enlèvement de matière.
Pour Philippe Courtois de LTS, déjà impliqué dans la fabrication du Nautile sylvestre de la foire de Libramont en 2019, c’était simple : l’enlèvement de matière suit, pour chaque panneau de CLT brut, la même démarche. Il suffisait de programmer son portail de taille à commande numérique et de le faire travailler en fin de journée.
Notons que Philippe Courtois est le patron de Laminated Timber Solutions (LTS) à Marche-en-Famenne, Wallonie. LTS est issu depuis 2018 de la fusion de Korlam, Lamcol et BuildinX, des lamellistes belges. LTS fait partie du groupe belge CFE, actif dans les domaines de l’ingénierie marine, de la construction et de la promotion immobilière.
Mais pour LTS, il fallait tout de même tailler 64 panneaux de CLT, soit 2 par soirée, 31 jours ouvrables. Un premier accord prévoyait que LTS se charge du cintrage des panneaux, dans le cadre d’une opération franco-belge.
Mais la pandémie a frappé et tout a été arrêté. Le report de la date du Forum au 15-17 juillet 2021 a laissé les Belges dubitatifs, car juillet est pour eux notre mois d’août. Réserve confirmée quand la date du 15 au 17 juillet 2021 a été arrêtée.
L’accueil de l’équipe de préfabrication Lifteam par Arthur Cordelier, directeur de Wall’Up Prefa à Aulnoy en Seine-et-Marne, a été providentielle. Sans sa générosité, pas de 10e Forum.
En avril, au plus fort de la troisième vague de la pandémie, les organisateurs du salon décident de tout relancer car la date du 15 au 17 juillet 2021 approche… Entre temps, le Grand Palais a fermé ses portes pour rénovation, et a été remplacé par le Grand Palais Ephémère.
Le problème de la salle plénière reste posé. Il faut relancer la fabrication de l’Auditorium face à l’équipe wallonne sceptique, sur un marché survolté qui incite LTS à se débarrasser au plus vite de ses piles de CLT de Douglas, et lancer une solution de montage final encore jamais pratiquée, qui bute sur les problèmes d’approvisionnement de la filière du Bâtiment en termes de quincaillerie.
Menée par une équipe d’une dizaine de personnes sous la responsabilité d’Aurélien Deschamps de Lifteam, la préfabrication à Aulnoy s’est déroulée du 30 juin jusqu’au 9 juillet 2021.
Solidarité exemplaire dans la filière bois autour de l’auditorium
Dans ce contexte apparaît le chevalier blanc Jean-Luc Sandoz, patron de CBS-Lifteam, qui décide de « prendre le lead » de l’aventure pour la mener à son terme.
Avec son conducteur de travaux Aurélien Deschamps, qui aurait préféré gérer les chantiers en cours confrontés à la folie des retards de livraison et des prix, Jean-Luc Sandoz rend visite à LTS, rencontre l’équipe ArtBuild et les ingénieurs de Ney and Partners.
Lifteam évalue les actions à mener et proscrit un prémontage au Grand Palais Ephémère, tandis que les solutions de jonction métallique entre les coques cintrées en CLT sont précisées et constamment remaniées sur la base des possibilités de livraison des partenaires fournisseurs.
Il faut trouver un lieu de prémontage et mobiliser des monteurs dans un contexte impossible. L’école de Libramont est pressentie mais ces décisions à la dernière minute tombent mal partout.
Les panneaux préfabriqués sont expédiés au Grand Palais Ephémère par paquets de huit sur quatre camions. ©JT
Nicole Valkyser a alors un éclair et contacte Arthur Cordelier, directeur de la société Wall-Up qui vient d’inaugurer sa nouvelle usine de panneaux préfabriqués à Aulnoy près de Coulommiers en Seine-et-Marne. Coup de chance, une partie de l’usine est vide jusqu’au 12 juillet et le responsable de la nouvelle usine accepte de recevoir l’équipe de préfabrication.
S’en suit une période magique, du 30 juin au 10 juillet, avec une équipe plus ou moins stable de 10 personnes qui cintrent les 64 panneaux sous la direction bienveillante du seul véritable charpentier de l’opération, Aurélien Deschamps, bloqué à Aulnoy pour manier notamment le pont roulant et veiller à ce que personne ne se blesse.
Parmi les bénévoles et stagiaires, Thibault Piffeteau, Adeline Berriaud, Jules Guitton, Mustapha Marchal, Vincenzo de Cunzo, Paul-Elmar Tophoven, Timothée Musset. Kevin Guidoux et l’équipe parisienne d’ArtBuild viennent prêter main-forte et suivent cette opération de très près.
Comme cela arrive quand on travaille sur prototype, les paquets de panneaux, insuffisamment sanglés, arrivent tout de même au GPE le dimanche 11 juillet.
Prémontage et montage d’un ouvrage unique
Les cadences s’intensifient de jour en jour grâce à l’intelligence du charpentier et les quatre camions lestés de deux rames de 8 panneaux superposés quittent Aulnoy le 9 juillet pour un démarrage du montage le dimanche 11 à 7 heures du matin.
Une partie de la même équipe suit, renforcée par des pros de l’ENSTIB et autres charpentiers bénévoles. Certains paquets de panneaux cintrés ont mal vécu le voyage, apparemment insuffisamment sanglés. Pour autant, les panneaux peuvent être réparés et l’œil ne remarque pas d’altération lors de la mise en scène finale.
Heureusement, le transport n’a pas endommagé les panneaux au point de retarder le montage qui est une course contre la montre. ©JT
Il faut imaginer que ce montage d’un prototype jamais dressé même en partie se fait au milieu de la surface d’exposition du Grand Palais Ephémère, lui-même, en plein montage. Situation périlleuse, compliquée et urgence en sus, d’autant que le chantier est bloqué le lundi de 17h30 à 21h par l’arrivée du couple présidentiel au GPE.
En fin de compte, le montage s’achève le mardi 13 juillet pour les panneaux et le mercredi vers midi pour les accès et la sortie. Aurélien Deschamps ne verra rien du Forum, il va récupérer pour reprendre le samedi 17 juillet à 18h avec la partie la plus risquée, qui est le démontage du l’Auditorium en une seule journée.
Pour le montage final, un gros travail partiellement réalisé à Aulnoy se poursuit sur les quincailleries et leur fixation aux panneaux. Les étriers métalliques doivent être vissés, puis redévissés au démontage, afin de reconstituer les paquets de huit panneaux empilés.
Equilibre parfait entre l’acoustique et les effets visuels
Entretemps, l’Auditorium fait merveille. Contrairement à ce que laissaient penser les images de synthèse, il ne se dresse pas comme un mur, la texture du bois vient contrebalancer la rigueur de la forme.
On retrouve cet équilibre parfait pour l’acoustique et les effets visuels : ce qui se passe à l’intérieur de l’auditorium se perçoit à l’extérieur, et l’inverse, mais l’extérieur et l’intérieur ne se gênent pas. La salle est inaugurée par la tenue de la session préliminaire Woodcircus avec une large part d’auditeurs en distanciel, parfaitement connectés et qui reçoivent l’effet de l’Auditorium aux quatre coins de l’Europe.
Le lendemain, la séance inaugurale met l’Auditorium en configuration de salle comble et accueille notamment les nouvelles annonces d’AMI de Mme Wargon, ministre du Logement, et le discours enflammé de Julien Denormandie parfaitement à l’aise dans cet écrin. Suivent six ateliers A en deux jours plus un débat citoyen sur le recyclage, et un groove collectif et libérateur, éclairé en mode discothèque, pour signifier ludiquement la césure entre le Forum et son démontage.
Pour ArtBuild, les fixations métalliques ressemblent à l’intérieur des os d’une aile d’oiseau.
Acoustique, effets visuels, intégration à l’exposition : l’Auditorium a rempli tous ses objectifs.
Un démontage périlleux
Les équipes de Lifteam, gonflées d’une douzaine de professionnels à titre préventif, opèrent dès 18h le samedi. Malheureusement, les manuscopic commandés n’arrivent que le lendemain. Compte tenu de l’exigence des délais, les compagnons oeuvrent toute la nuit à l’aide d’un transpalette bricolée.
Les panneaux sont poussés du pied sur une poutre dressée en travers des fourches et petit à petit en reculant, le transpalette amène le panneau de 350 kg à l’horizontale. Il faut alors enlever les étriers métalliques lourds qui empêchent le stockage, et réempiler les panneaux cintrés par groupes de huit.
L’arrivée des engins dimanche accélère la cadence mais les équipes sont épuisées par la nuit blanche. On frôle la catastrophe au moment où la dernière palette de huit panneaux est acheminée par Manuscopic pour être déposée sur le dernier camion, suite à une mauvaise manoeuvre du conducteur. Au moins, cette expérience va jouer sur les montages et démontages futurs.
Aléas des chantiers, le démontage a démarré sans les outils requis, mais avec un surcroît d’ingéniosité. A l’œuvre, Thibault Piffeteau (Lifteam) et le charpentier-artiste Timothée Musset, dont l’étonnante exposition de meubles faisait face à celle des compagnons sur la charpente de Notre-Dame.
Le point de départ d’une nouvelle architecture
L’Auditorium est reparti pour la Wallonnie, à Libramont, avec la perspective d’un remontage pour une manifestation relative au bois. Pour autant, il apparaît que ce prototype n’a pas vocation à être régulièrement monté et démonté.
Selon ArtBuild, l’une des idées de départ était d’offrir une seconde vie à des panneaux CLT intégrés à un bâtiment déconstruit. A termes, plus il y aura de tels bâtiments, plus l’éventualité d’une déconstruction se précisera.
Mais en fait, les architectes n’ont pas compris qu’ils ont créé un nouveau type d’architecture, celle qui intègre pleinement la possibilité d’un déplacement ou d’une réutilisation. Car il fallait voir et percevoir l’effet réel de l’Auditorium pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage éphémère, mais d’architecture au sens propre.
Ces 64 panneaux dont quatre un peu particuliers pour ménager les ouvertures, peuvent s’agencer de très nombreuses manières : en théâtre, en chapelle, en cimaises… Le principal problème restant de trouver un point de chute dans un univers de la construction qui ne réserve pas de place à l’agilité.
Aurélien Deschamps, conducteur de travaux chez Lifteam, a mené ce chantier expérimental de bout en bout dans les délais, sans blessures, et avec une grande ingéniosité.
Vers le centre de congrès frugal
Va-t-on continuer à bâtir des centres de congrès voire biosourcés comme celui de Kengo Kuma à Strasbourg attendus pour 2025 ? Ou bien le changement climatique va-t-il nous conduire à réinvestir des lieux existants comme Patrick Bouchain l’a fait il y a vingt ans avec le Lieu Unique de Nantes ?
Les villes moyennes sans centre de congrès ne vont-elles pas pouvoir développer ainsi des possibilités nouvelles de manifestations ? Le monde des congrès ne concerne-t-il que les chirurgiens ?
De la même manière que les idées de Steven Ware attendaient l’audace de Nicole Valkyser, l’Auditorium du 10e Forum attend un espace où il pourra se déployer selon toutes ses facettes. Une fabrique transformée en centre de congrès qui devient aussi hall d’exposition, lieu de représentation etc. Ou bien un lieu à usage défini, mais qui intègre la possibilité future d’un changement d’usage.
24 heures après la fin du 10e Forum, l’Auditorium entièrement démonté prend le chemin de la Wallonnie pour un stockage à Libramont.
De nombreux ouvrages en bois cherchent preneurs !
Nicole Valkyser Bergmann organise le Forum depuis 2013. Afin de marquer pour 2020 le démarrage d’une décennie décisive pour la massification de la construction bois, elle a voulu porter ce message du biosourcée en plein Paris, proche des décideurs politiques.
Pour y parvenir, elle a dû prendre des risques, dont la prise en charge de la construction d’un auditorium en bois en prototype. Tous les objectifs ont été atteints et l’Auditorium dépasse même les attentes en termes architecturaux.
Faut-il laisser cet ouvrage démontable se perdre dans les lieux de stockage du Pavillon France de l’Expo de Milan, de la salle de la COP21, ou l’exposer aux mésaventures actuelles du Théâtre Ephémère à Genève ?
L’ouvrage est beau, utile, flexible, bas carbone, que demander de plus ? Il faut lui trouver un point de chute. Le match entre la France et la Belgique est lancé. Pour Nicole Valkyser, il s’agit de tourner la page pour se concentrer sur la prochaine édition du Forum, début avril 2022 a Epinal et Nancy.
Les stands Belleville ont été cédés à GL Events. Par contre, Nicole Valkyser (nicole@nvbcom.fr) dispose encore, en plus de l’Auditorium, de centaines de tables de récupération du concept « Ceci n’est pas une porte ». A bon entendeur, salut ! |
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven