Réalisé par l'OPPBTP, le CCCA-BTP et Impulse Partners, l'observatoire des tendances détaille plus de 40 champs d'innovation ainsi que leurs impacts sur les métiers, la sécurité, la prévention et la formation.
Backacia est une marketplace pour le réemploi des matériaux de chantiers issus de la démolition ou de surplus de commande. © Backacia
Les organismes CCCA-BTP et OPPBTP(1) se sont associés à Impulse Partners pour décrypter les tendances d'innovation dans le secteur du BTP, en cartographiant un large écosystème de startups de leur réseau. Le résultat est détaillé dans un premier Guide publié en Octobre 2021 et présenté le 21 Octobre dernier dans les locaux parisiens de CAP SMA.
Les activités de plus de 200 startups de toutes origines géographiques sont regroupées dans le Guide et organisées en 41 principaux champs d'innovation qui sont évalués par les experts des grandes entreprises du bâtiment. La productivité des entreprises, la qualité de l'ouvrage et la sécurité sur chantiers ressortent comme les trois grands moteurs stimulant l'innovation.
Productivité : sécuriser la marge des entreprises
Le constat est que la productivité n'a pas augmentée depuis 20 ans dans le secteur du BTP. Afin de sécuriser la marge des entreprises, un enjeu est d'arriver à réduire les coûts avec une meilleure organisation des projets en amont et en aval. Les trois champs d'innovation les plus dynamiques sur ce secteur sont les outils de partage de jumeau numérique, les outils digitaux de suivi et de gestion de chantier et plus en aval, les outils de gestion des équipements.
Thiébault Clément, directeur R&D chez Bouygues Construction, a souligné le travail d'inventaire passionnant effectué dans le guide. Un exemple particulièrement riche est le jumeau numérique qui joue un rôle un peu similaire à un cockpit de chantier, permettant de remonter les informations du chantier et de publier automatiquement les plans d'avancement.
Mais réussir l'usage de ces nouveaux outils demande de soigner deux points : les prérequis et les éléments de corrélation. « Pour utiliser un nouvel outil, il faut en général résoudre au préalable un certain nombre de sujets. Par exemple pour faire fonctionner un robot, il faut disposer d'une maquette numérique à jour du chantier. Par ailleurs il n'y a pas de valeur ajoutée si chaque information demeure isolée. La corrélation des informations permet de lever les doutes et les biais », témoigne Thiébault Clément.
Robots, exosquelettes : pas de rôle majeur à jouer à court ou moyen terme
La gestion fiabilisée et collaborative de la donnée est primordiale. Un exemple est donné par l'éditeur Saqara qui propose un logiciel sur serveur (en mode SaaS) visant à simplifier la gestion, le suivi et l’analyse des appels d’offres. Son président Alexandre Brochot, explique que « l'objectif de notre société est de faire parler la data, de la rassembler au bon endroit, de la synthétiser afin de capitaliser l'expérience d'un chantier sur un autre. Nous avons développé plusieurs briques logicielles collaboratives user friendly avec l'idée que tous les utilisateurs doivent pouvoir l'utiliser. Par exemple l'outil achat est utilisé par la direction mais les agences présentes sur le territoire national doivent participer à fournir des data ».
Du côté des équipements innovants, se retrouvent des solutions à très fort potentiel comme ceux pour la construction hors site et préfabriquées avec par exemple pour le bois, les startups Corner et Blokiwood. Pour l'impression 3D de grande dimension il existe des acteurs connus comme CyBe, XtreeE, Batiprint3D ou MX3D mais un frein important réside dans les lourds investissements demandés.
Une autre famille regroupe les exosquelettes, les robots et cobots sur chantier à l'exemple de Paintup pour le nettoyage ou la peinture de façades d'immeuble ou Q-Bot pour la projection de mousse isolante. Ces matériels d'automatisation et de robotisation constituent une tendance de fond mais ne sont pas destinés à jouer un rôle majeur à court ou moyen terme.
Paintup a développé une solution robotisée autonome pour nettoyer, décaper, peindre ou percer sur des façades d’immeubles © Paintup
Une démarche globale pour la Qualité
Les avancées les plus dynamiques en Qualité viennent des outils de suivi d’avancement et de contrôle de conformité mais aussi des solutions pour la qualité de l'air (et le confort acoustique) et très important, des solutions pour l'usage de nouvelles énergies sur le chantier, en particulier l'électrification des outils. Par ailleurs, l'innovation vient aussi des solutions de nouveaux matériaux biosourcés ou bas carbone, de solutions constructives modulaires et évolutives, de celles intégrant l'économie circulaire et d'autres plus prospectives comme l'hydrogène énergie...
Chez Eiffage, le chef de projet innovations durables, François Dapilly, a mis en avant le projet phare de l'entreprise, l'éco-quartier LaVallée à Châtenay-Malabry sur l'ancien site de l'Ecole Centrale de Paris, où un important travail a été effectué sur l'économie circulaire, avec la production sur site de granulats recyclés, de meilleure qualité que ceux venant de la carrière grâce en particulier au béton très homogène et d'excellente qualité du grand bâtiment d'enseignement, ainsi que sur d'autres avancées comme la recarbonation du béton et la déconstruction sélective.
« Un autre exemple est donné avec la nature en ville et son apport pour les îlots de fraîcheur. Nous avons travaillé avec des chercheurs sur ce sujet et le résultat est que le bien-être vient d'une nature peu domestiquée. C'est ce que nous essayons de promouvoir, avec un entretien raisonné de la végétation et une démarche frugale en évitant de multiplier les capteurs qui consomment. Il faut faire simple avec de la terre battue et un peu d'eau », décrit François Dapilly.
Eco quartier La vallée à Châtenay-Malabry©Eiffage
« Travailler sur les outils de levage en lien avec l’essor de la préfabrication »
Côté startup, TechnoCarbon fondée en 2018 développe de nouveaux matériaux composites à base de pierre et de fibre de carbone biosourcée afin de remplacer l'acier et le béton. La directrice des relations externes, Laure Monnoyer, confie : « Nous travaillons sur deux axes en termes de performances, la performance physique avec un matériau qui doit être au moins équivalent à ce que l'on remplace, et la performance environnementale.
Un nouveau produit doit être compatible avec les exigences réglementaires d'aujourd'hui (la RE 2020) et de demain. La démarche passe par un ensemble d'actions sur la consommation d'énergie à la fabrication, sur le fait de pas puiser dans les ressources, sur la longévité des ouvrages réalisés, etc ».
Si l'innovation est dynamique sur des sujets comme la qualité des ouvrages en conception avec des outils d'aide à la conception et des avancées en éco-conception, Paul Duphil, Secrétaire général de l' OPPBTP, note « que l'offre est moins riche par exemple concernant la qualité sur chantier. Un autre sujet est la déconstruction. Certes il existe de nombreuses entreprises mais il faut dépasser le stade du tout manuel et de la débrouillardise. Il faudrait aussi travailler sur les outils de levage du fait du recours de plus en plus massif aux éléments préfabriqués et modulaires ».
La sécurité des hommes sur le chantier passe par le numérique
Concernant la sécurité, les champs d'innovation à la fois les plus dynamiques et les plus transformateurs sont les EPI (équipement de protection individuelle) connectés, les dispositifs de détection des accidents et les outils digitaux pour la formation des professionnels.
« Sur ce sujet il existe de nombreuses startups venant d'autres secteurs, par exemple une startup de traduction automatique, au départ destinée aux professionnels de santé puis qui s'est diversifiée au secteur du bâtiment où le personnel travaillant sur chantier vient d'horizons variés. C'est aussi le cas pour des startups agissant sur la détection en temps réel de l'état de santé des individus ou pour prendre en charge le post-accident », reprend Paul Duphil.
Là aussi le digital change la donne aussi bien pour les aides à la sécurité en permettant de capter de nombreuses informations sur le terrain que pour intégrer la sécurité dès la conception dans une démarche dite "safe by design". Pour le volet formation, beaucoup se font avec des aides virtuelles et l'usage de modules en Réalité Virtuelle (RV) ou Augmentée (RA), favorise l'appropriation des bons gestes. Ainsi Soletanche Bachy mise sur la RV pour former son personnel aux risques majeurs sur chantier, en mettant l'apprenant en virtuel soit en situation d'accidents, soit en tant que témoin d'accident.
Légende : Marmelad App est un Organisme de formation digital pour des formations à distance pour les professionnels du travail temporaire, des travaux publics du bâtiment et de la fibre optique. Une application mobile permet de se former à distance.
Un bracelet intelligent pour détecter les coups de chaleur
Alexis Waeselynck est chargé de mission sécurité et innovation chez Léonard, la plateforme de prospective et innovation du groupe Vinci. « Concernant la sécurité, se pose la question du changement climatique et de ce qu'il faut mettre en place pour gérer cette évolution dans 10 ans sur nos chantiers.
Une start-up japonaise, Biodata Bank, a développé un bracelet qui mesure et analyse la température corporelle afin de détecter les coups de chaleur chez les ouvriers. Cette question de la santé va prendre de plus en plus d'importance. Une autre startup travaille sur un casque réducteur de bruit qui filtre les sons dangereux de l'environnement sans enlever les voix ». En même temps, cet EPI capte des informations sur le bruit du chantier, dont la collecte va aider à la prévention.
Une start-up japonaise, Biodata Bank, a développé un bracelet qui analyse la température corporelle afin de détecter les coups de chaleur chez les ouvriers ©OPPBTP
(1) Comité de concertation et de coordination de l'apprentissage du bâtiment et des travaux publics et Organisme Professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics
Source : batirama.com/ François Ploye