Un projet de construction provisoire tropical mêle réemploi de matériaux et autoconstruction

A Mayotte, la construction du Lycée des métiers du bâtiment a été précédée par la construction d?un bâtiment provisoire qui crée un lien fort entre les acteurs et les bénéficiaires du projet.

L’agence parisienne Encore Heureux surprend toujours. C’est elle qui a réalisé, pour la COP25 de Paris, un « bâtiment circulaire » construit à partir de matériaux de récupération, pour le parvis de l’hôtel de ville.

 

Le pavillon a longuement survécu à la COP25 et il a constitué le grand point de départ de la prise en compte du réemploi dans le Bâtiment. Ensuite, parmi d’autres réalisations, Encore Heureux a créé les Ateliers Médicis dans le point aveugle de la région parisienne, à Clichy-sous-Bois, en 2018.

 

 Déjà, il s’agissait de bâtir un espace éphémère sans attendre infiniment les budgets pour créer dans cette localité déshéritée la Villa Médicis imaginé en complément de celle de Rome. En fin de compte, l’agence a opté pour le confort d’utilisation d’une structure non pensée pour la réutilisation, et les Ateliers Médicis semblent bien devenir pérennes.

 

Enfin, on peut citer le travail accompli en Normandie pour réhabiliter la Grande Halle de Colombelles, aménagée avec du bois de récupération. Ce travail fait partie des 14 projets remarqués par le OFF du DD, un festival multisite biennal qui démarre le 8 novembre à Marseille. Projet « remarqué », car le Faré a été sélectionné comme l’un des 14 projets « lauréats » et sera mis à l’affiche avec une vidéo dédiée, une présentation par Encore Heureux et des discussions.

 

Pour que construire à Mayotte ait un sens

 

Le Faré est l’un des deux projets tropicaux lauréat de cette édition du OFF du DD, avec le Bamboo Fluch à Hong-Khe au Viêt Nam (sanitaires en phyto-épuration pour une école). Le premier intérêt du Faré, c’est que les architectes d’Encore Heureux et et l’agence réunionnaise Co-Architectes ont concouru pour le Lycée des métiers du Bâtiment de Longoni à Mayotte en 2017.

 

Ce bâtiment qui doit accueillir 2000 élèves se crée sur un terrain et dans un contexte difficile et sa livraison est prévue pour 2023. Outre les problèmes sismiques, cycloniques, et la nature du terrain, le tandem d’architecte repère deux difficultés majeures.

 

Premièrement, il sera difficile d’assurer une présence continue de la maîtrise d’œuvre sur place. Par ailleurs, la complexité et les dates reculées de livraison du projet risquent d’en prolonger encore la réalisation. C’est pourquoi ils proposent de bâtir sur le site du Lycée un bâtiment provisoire qui aura le double objectif de servir de lieu d’échange avec la population environnante, et de fixer sur place un représentant permanent de la maîtrise d’œuvre, en l’occurrence l’architecte Lola Paprocki.

 

 

Chantier école avec les maçons : le bâtiment provisoire aura le double objectif de servir de lieu d’échange avec la population environnante, et de fixer sur place un représentant permanent de la maîtrise d’œuvre.

 

Fabriquer une histoire

 

A l’instar de Patrick Bouchain, l’inspirateur de l’agence parisienne, Encore Heureux nous raconte une histoire. Il s’agit donc de construire un Lycée du Bâtiment afin de former des enfants au métier du Bâtiment. Donc de fabriquer un Lycée pour des enfants qui n’auront pas encore la possibilité d’y contribuer.

 

Le Lycée sera bien fait, en principe, alors que les habitants vivent le plus souvent dans la précarité totale. Accueillir 2000 élèves, c’est bien, mais jusqu’en 2023, que vont faire les enfants du quartier qui ne sont scolarisés que la moitié de la journée ?

 

Comment gérer le contraste entre la construction de ce bâtiment et la vie du quartier ? Comment faire l’interface entre une structure de qualification professionnelle et une réalité de la construction marquée par l’autoconstruction sauvage ?

 

Presse pour briques

 

Le tandem d’architecte décroche le contrat avec cette option de Faré dont le budget est minime car il va recourir autant que possible à des matériaux de récupération, comme cela se fait alentour. Lola Paprocki raconte cette aventure dans un cahier de la revue Topophiles.

 

Le Faré permet une hybridation entre des entreprises professionnelles et des enfants désoeuvrés ou autre riverain en quête de techniques pour l’autoconstruction. Par exemple, un autre lycée du Bâtiment s’intéresse à la fabrication de briques compressées, mais ne dispose pas de place pour conserver la presse.

 

Une partie du Faré héberge donc cette presse qui sert pour créer les briques de remplissage, mais aussi pour initier les habitants à cette technique locale efficace en termes de protection contre les séismes et les cyclones.

 

Le Faré devient un lieu qui développe son existence propre au-delà d’une planification de la part des maîtres d’œuvre. Les habitants s’approprient le lieu et l’utilise au même titre que l’architecte. D’ailleurs, situé en zone nord du projet, du côté des installations sportives, il est désormais convenu qu’il sera intégré au projet final sous une forme ou une autre.

 

 

Laboratoire brique destinée à initier les habitants à cette technique locale efficace en termes de protection contre les séismes et les cyclones.

 

Marquage du périmètre

 

Sans le Faré, l’opération de délimitation de l’espace du Lycée n’aurait pas pu être engagée avec la même finesse. L’espace du futur lycée est inhabité en grande partie, mais comme on opère dans le temps long face à une population en souffrance, il est important de délimiter le chantier pour signifier aux riverains que cette place est réservée.

 

Mais comment faire ? Faut-il grillager ce grand périmètre, quasiment pour susciter l’effraction ? La maîtrise d’œuvre décide de marquer le périmètre par des poteaux en bambous espacés de 10 mètres, qui feront l’objet de travaux artistiques par les artistes locaux. Là aussi, le Faré joue son rôle d’agrégateur.

 

Changer le narratif

 

On comprend bien que la démarche du Faré n’est pas tant spécifique à la situation difficile de Mayotte qu’à une approche générale de la construction telle que l’articule Encore Heureux depuis des lustres : développer une histoire, réemployer des matériaux, réhabiliter des bâtiments et leur trouver des usages qui se développent eux-mêmes, penser au projet avant le projet. Soit, montrer comment une agence doit dépasser son rôle de fabricateur d’un programme.

 

Sans quoi, l’agence-phare parisienne serait rentrée dans le jeu politique suivant : Mayotte est le premier bidonville français ? Il faut mieux loger les gens. Pour cela, il faut construire des Lycées du Bâtiment pour qualifier les jeunes qui y trouveront un emploi, ce qui leur permettra aussi de mieux se loger.

 

Bref, on appliquerait au milieu de l’océan indien des recettes françaises pour mieux oublier que Mayotte est la porte d’entrée explosive vers l’Europe. Un peu comme quand les bulldozers détruisent les bidonvilles qui débordent et que les contrôles de police musclés visent à refouler des migrants qui reviendront toujours.

 

La logique qu’Encore Heureux et Co-Architectes plaquent sur l’approche métropolitaine, sans la gommer, est un peu différente : développer le sens du bâti et l’appropriation des techniques, faire en sorte que l’apport de capital lié à la construction du Lycée soit le plus directement touché par les habitants et que les développements en cours ne constituent pas une cause supplémentaire de traumatisme.

 

 

La démarche du projet consiste également à créer un lieu de rencontres et d'échanges entre les habitants.

 

Le Faré et la France

 

Fort de cette expérience, Encore Heureux risque de changer la donne de la construction métropolitaine. De la même manière que l’histoire du Faré s’inscrit dans l’histoire métropolitaine d’Encore Heureux, cette dernière va enrichir le travail futur de l’agence.

 

Quant à la façon de savoir « comment », on peut faire confiance à leur esprit créatif, ou bien poser des questions à Agathe Sicard, cheffe de projet du Lycée pour Encore Heureux dans le cadre de la présentation du Faré au Off du DD à Marseille, Paris, Nantes, Lyon.

 


Source : batirama.com/ Jonas Tophoven

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