A l'occasion du 8 mars, Batirama est allé à la rencontre de Samantha Lemoine, Fanny Prevost et Mélanie Rouvière, trois femmes qui ont fait leur place dans le secteur du bâtiment.
Tandis que la présence des femmes s’impose de plus en plus naturellement dans le monde du travail en France, il reste certains secteurs où ces dernières sont encore en minorité : le bâtiment en fait partie. Lorsqu’on regarde le palmarès des secteurs d’activités des femmes qui ont créé leur entreprise en 2021, publié le 7 mars 2022 par Ofices (Observatoire Français de l’Industrie, du Commerce et des services) et basé sur les dernières données de l’Insee, le secteur de la construction est en bas de la liste avec seulement 6% de création d'entreprises par des femmes, (chiffre stable par rapport à l’an dernier).
Source : communiqué d'Ofices (Observatoire Français de l’Industrie, du Commerce et des services) 7 mars 2022
Cependant, ces chiffres montrent aussi que la présence des femmes ne flaiblit pas. D'année en année, elle progresse. Mais souvent, ces dernières doivent faire leurs preuves davantage que leurs collègues masculins afin de se faire respecter de leurs pairs et de leurs clients.
En l’honneur de la journée des droits de la femme en ce 8 mars 2022, voici trois portraits de femmes qui pratiquent leur métier fièrement dans le secteur du bâtiment : Samantha Lemoine, peintre décoratrice et rénovation intérieur à son compte, Fanny Prévost, experte rénovation pour l'entrerpise Renovation Man, et Mélanie Rouvière, directrice commerciale de l'entreprise Rouvière.
Samantha Lemoine, peintre décoratrice et rénovation intérieur
Samantha Lemoine n’a pas encore 30 ans, mais elle est cheffe de son entreprise artisanale, où elle réalise de la peinture décorative, de la pose de revêtements muraux, des enduits décoratifs et autres réalisations à Bugue, au cœur du Périgord noir (Dordogne).
Depuis l’âge de 16 ans où elle avait intégré une grande entreprise au cœur de Grenoble, Rénov Rhône Alpe, puis avait créé aux côtés de ses parents l’entreprise « Lemoine père et fille », elle se passionne pour l’artisanat, et en particulier, l’enduit décoratif. « Mon père était un ancien compagnon du devoir ainsi qu’un ancien légionnaire. Via l’entreprise familiale j’ai eu la chance de travailler sur de très beaux chantiers à Grenoble, Mégère et en périphérie. Et puis il y a 8 ans je suis partie en Dordogne, et j’ai monté ma propre entreprise : Samantha Lemoine, l'artisanat au féminin. » Son travail est devenu une passion « Je viens de finir un gros chantier pour le bar de l’Union, un bar brasserie au Bugue. C’était un véritable challenge, pour la première fois au cœur de mon village j’ai pû laisser une empreinte, procurer des émotions et m’éclater en décoration avec la matière… notamment un enduit déco or et blanc nacré, aspect marbré similaire à la base d’un stuc. Sur de prochaines réalisations j’appliquerai des revêtements décoratifs de type argile, chaux. C’est une fierté pour moi de réaliser de belles choses. »
La place de la femme dans le bâtiment, Samantha peut en parler et elle milite depuis des années pour faire évoluer les mentalités. « Je suis élue territoriale et relais à la Chambre des métiers et de l’Artisanat en Dordogne, j’ai aussi intégré le groupe « femmes » à la fédération française du bâtiment. On m’a récemment proposé d’intervenir dans des collèges pour parler de mon métier. Je suis dans la transmission et le partage, alors si ça peut faire avancer les choses, j’y vais. »
Pour elle, la place des femmes est en hausse actuellement dans le bâtiment, mais le combat est « douloureusement intense ». « Il faut se lancer, être patiente mais nous sommes très complémentaires avec les hommes. Le bâtiment est mixte, les esprits s’ouvrent de plus en plus, c’est un beau combat mais je ne suis pas féministe pour autant, » précise-t-elle en riant.
Lorsqu’on lui demande des anecdotes de chantier, elle raconte : «Quand une femme arrive sur un chantier, tout le monde s’arrête et regarde. Parfois c’est plutôt drôle. Un jour je travaillais sur un carrelage avec une autre collègue femme, et on a réalisé que deux maçons nous regardaient travailler depuis un quart d’heure sans rien dire. Ils nous ont dit ensuite : « mais c’est tellement beau, on n’avait jamais vu ça !» Mais en règles général, mis à part deux ou trois individus, on est assez protégées sur le chantier. Le regard est plutôt bienveillant. »
Samantha revendique cependant son côté féminin : « J’adore m’habiller en rose, dans ma boîte à outils on trouve des bonbons et du rouge à lèvre. Ça fait rigoler sur les chantiers. »
Quels conseils aimerait-elle donner aux jeunes filles qui souhaiteraient faire ce métier ? « Il ne faut pas avoir peur. Quand j’ai lancé mon entreprise en Dordogne je n’y connaissais personne, je n’avais pas d’argent. Tout est possible quand son envie est débordante. Par contre, j’ai changé par rapport à mes débuts. J’étais timide. Je me suis blindée. Mais il faut oser, tout en restant réaliste, même si ce n’est pas facile. Les femmes ont leur place dans ce milieu. J’ai envie de leur dire, travaille, ose et n’abandonne jamais. »
Fanny Prévost, experte en rénovation
Fanny Prévost, 26 ans, diplômée d’un master en école de commerce, est experte travaux sur le secteur de la Seine-et-Marne pour l’entreprise Renovation Man, une entreprise d’accompagnement et conseils pour les travaux de rénovations de logements individuels. Avant d’être à ce poste, elle a travaillé pour les entreprises Castorama et Velux.
Attirée par le monde du bâtiment depuis l’adolescence, Fanny raconte « Je me vois encore mettre les vis sur le placo avec mon père lors de la rénovation des combles de notre logement ». Une expérience gratifiante. Si travailler en tant qu’experte rénovation n’était pas forcément un rêve de petite fille, c’est en tout cas un poste qui lui plaît et lui correspond pleinement.
« Ma mission est d’accompagner les particuliers dans leurs projets de rénovation. Dans un premier temps je leur fais une estimation très rapide et détaillée à travers notre outil de chiffrage. Je choisis ensuite pour eux le meilleur artisan parmi nos partenaires, puis je suis l'avancement des travaux à travers une conversation whatsapp et des visites régulières sur le chantier. Mon rôle est de rester à leurs côtés jusqu’à la fin pour m’assurer que les travaux se passent bien, qualité, prix et délais. Je suis leur tiers de confiance. J’apprécie énormément l’aspect itinérant, organiser mon planning. Aucune journée ne ressemble à une autre. »
Au sein de son entreprise, si on ne peut pas parler de parité – sur une trentaine d’experts et de conseillers en rénovation, cinq sont des femmes – mais il y a en tout cas une égalité de traitement entre tous. Par contre, sur le terrain, les discriminations se font parfois sentir que ce soit de la part des clients ou des artisans.
« J’ai souvent le sentiment de devoir constamment assouvir ma légitimité en démontrant mon savoir-faire. Ça arrive fréquemment qu’on me prenne pour la secrétaire de l’artisan ou pour une architecte d’intérieur. Il y a seulement quelques semaines, alors que je prenais contact avec un nouvel artisan, ce dernier m’a dit : c’est bien que tu viennes avec moi sur le terrain comme ça je pourrais t’expliquer comment on pose des menuiseries extérieures. Lorsque je lui ai dis que je n’avais pas besoin d’explications, que je connaissais très bien cet aspect du travail, il ne voulait pas me croire. Il a fallu que je lui cite les différents types de poses de fenêtres pour qu’il entende. »
Si Fanny parle de cette anecdote avec humour, elle souhaiterait cependant voir les mentalités évoluer plus rapidement. « Plus il y aura de femmes dans ce milieu, plus les mentalités évolueront, espère-t-elle. On est sur la bonne voie. »
Mais il y a aussi des avantages parfois à être une femme : « Lorsqu’on est face à une cliente seule notamment, elle aura parfois plus de facilité à se confier et à faire confiance avec quelqu’un comme moi. Être une femme, ça peut être une belle force. »
Fanny se voit elle changer de secteur dans le futur ? « Non je ne voudrais pas changer. Le bâtiment, c’est un milieu très compliqué, mais tellement passionnant. » Elle encourage les jeunes femmes qui hésiteraient à se lancer à ne pas avoir peur et ne pas avoir de préjugés par rapport à ce métier.
Mélanie Rouvière, directrice commerciale et marketing au sein de l’entreprise Rouvière
Pour Mélanie Rouvière, 44 ans, diplômée d’une école de l’EM Strasbourg Business School (anciennement IECS), travailler dans le secteur du bâtiment n’était pas une évidence dans un premier temps, malgré l’existence de l’entreprise de maçonnerie familiale : Rouvière Construction, entreprise générale de bâtiment tous corps d’état.
« Mon père et mon oncle sont les gérants de l’entreprise, qui existait déjà à l’époque de mon grand-père et même de mon arrière-grand-père », raconte-t-elle. « Mais j’avoue que le monde du bâtiment, de la maçonnerie, me semblait exclusivement masculin. J’ai d’abord travaillé pour d’autres entreprises. Et puis au début des années 2000, l’entreprise familiale a développé une nouvelle activité, la fabrication de carrelage, dallages, margelles de piscine, béton ciré et la distribution de briques de verre. Cela nécessitait un nouveau poste commercial et une nouvelle approche. J’ai compris que j’avais quelque chose à apporter à l’entreprise, que j’y avais ma place, notamment pour développer la communication. »
Aujourd’hui, Mélanie Rouvière se sent épanouie dans son entreprise bien qu’il n’y ait que trois femmes sur 15 employés (une secrétaire comptable et une secrétaire commerciale étant les deux autres). « La place de la femme est encore faible dans le bâtiment, le gros œuvre, la maçonnerie. Mais il y a tout de même des femmes qui s’y intéressent. Par exemple pour nos produits en béton ciré, on commence à former des artisanes : elles apportent souvent une touche plus créative, elles travaillent avec beaucoup de finesse. Nous faisons d’ailleurs appel en sous-traitance à une femme pour recouvrir l’un de nos produits, des margelles de béton ciré : elle a vraiment sa touche personnelle, elle est très méticuleuse. »
Mélanie indique également que malgré l’aspect physique de certains travaux du bâtiment, notamment dans l’atelier de fabrication où à l’heure actuelle quatre hommes sont employés, les nouveaux outils qui existent aujourd’hui, comme l’exosquelette, permettent de rendre le travail moins pénible et accessibles à des femmes si elles le souhaitent.
Quand on l’interroge sur son expérience personnelle en tant que femme dans la profession, Mélanie Rouvière indique : « Certains artisans ou chefs d’entreprises appartenant aux anciennes générations, surtout à mes débuts, m’ont parfois fait ressentir un peu de condescendance. On doit sans cesse démontrer qu’on est à la hauteur. Cela étant, ce n’est pas forcément méchant, c’est souvent de l’humour mais ce n’est pas toujours simple à assumer. Heureusement quand on a l’appui de sa direction, ça facilite les choses. »
Pour Mélanie, la nouvelle génération a moins de préjugés sur les femmes et le secteur est en train de s’ouvrir à elles. « En tant que femme, on a une approche différente, on est plus dans le dialogue, moins dans la confrontation. On peut faire passer les choses plus en douceur. Cela aussi est une chance pour le milieu du bâtiment. J’ai envie de dire aux jeunes filles de ne pas se bloquer parce que le milieu est plus masculin que féminin, et de prendre leur place. »
Source : batirama.com / Emilie Wood / Image de une © Maëlle Jaffry