L’agence d'architecture Graam et son trublion Mathias Romvos livrent en périphérie de Dijon l’iconique siège social de la Caisse d’épargne Bourgogne Franche-Comté jouxté par un parking-silo en bois.
On parle de ce projet depuis 2017, d’autant que son ambition de monter à 22 mètres a fait oublier que l’agence Graam avait été lauréat pour les 6 niveaux de bureaux de l’écoquartier Heudelet, l’un des 24 sites lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt ADIVbois pour les immeubles bois de grande hauteur, jamais construit.
Mathias Romvos devant son parking silo en bois, avec des solutions développées et proposées comme génériques.
Cette conjonction de projets à Dijon avait conduit Mathias Romvos, un architecte qui vient du chantier, à créer une entreprise générale dédiée au bois, ou une sorte de promoteur, Forestarius. Finalement, le travail exceptionnel de construction bois de la caisse d’épargne a été réalisé par Simonin, et si le chantier n’a pu être livré qu’avec deux ans de retard, c’est aussi parce que deux conducteurs de travaux consécutifs de Simonin, coup sur coup, ont failli mourir du Covid sur le chantier pendant la pandémie.
L’art de ne pas tourner en rond
En 2017, Mathias Romvos n’est pas un inconnu. Il a créé l’agence Graam à Montreuil en 2002, avec Stéphane Cozier, et fait partie du groupe d’architectes qui lance la construction bois à l’occasion de la mandature de Dominique Voynet. Cela commence avec le Diwan en 2008, puis le Marceau en 2011, le Blacksun en 2013, La fonderie en 2015 et Wolokura en 2016. Sur le Marceau, Graam met au point une solution de planchers acoustiques bois à base de BMA aboutés, dédoublés, de même que l’agence va mettre affiner et diffuser, pour le parking silo de Dijon, une solution générique pour encaisser l’énergie des voitures qui freinent pour se garer ou circuler.
Les grandes croix contreventent l'édifice mais ne supportent pas la façade vitrée.
Dans le petit monde émergent de la construction bois, les compétences spécifiques de l’architecte Romvos en font un interlocuteur demandé, mais justement, ce dernier ne se prive pas de commenter et même d’illustrer les piètres mesures de sécurité des charpentiers qui travaillent sur ses chantiers, à l'époque. Il est grillé. Il faudra attendre la fin de la décennie pour que Bouygues avec WeWood vienne taquiner les charpentiers sur ce terrain en réinventant les procédures. Même, si, depuis dix ans, des progrès ont été accomplis sur les sites, notamment autour du maniement des panneaux CLT.
Un bâtiment qui a le mérite d’exister
Mathias, sa casquette, son bagout. En fait on s’aperçoit tout de suite que c’est un être plus tendre que dur. Et surtout entièrement passionné. La Caisse d’épargne et son silo, c’est désormais toute la signature de l’agence, dont la première prouesse a été de faire accepter par des banquiers un projet aussi dérangeant. Passe encore que la fusion des deux régions incite à construire sur un mode durable, de dresser un fanal dans ce nouveau quartier un peu surélevé de Valmy, tout proche du périphérique de Dijon, où le bâtiment s’inscrit pour l’instant avec aisance dans un environnement architectural assez provincial.
Patio ouvert.
Que ce bâtiment existe avec son silo, c’est un peu un miracle quand on imagine la confrontation du caractère sanguin de l’architecte avec la maîtrise d’ouvrage par définition feutrée et conventionnelle des milieux de la banque. Mais il n’est pas seul, il y a au sein d’une agence de 10 personnes notamment l’architecte associée Alice Mucchielli, et aussi en amont Jean-Marc Weill du BE C&E et Wolfgang Winter, professeur à l’université de Vienne, qui va insuffler une façon un peu autrichienne de manier le bois et le béton dans une approche industrialisée.
Les implications des choix techniques initiaux
Cette équipe va imposer un modèle de construction qualifié par Romvos de "banal" par les assemblages et la rationalité de l’usage des matériaux, en précisant d’emblée que "la maîtrise des proportions et du système structurel a été réfléchie dans le sens de l’ouvrage avec une trame standard de 270", qui n’est pas banale. Dès 2017, Wolfgang Winter inscrit une interview sur Youtube qui montre à quel point le projet reste fidèle depuis à ses choix techniques, même s’il s’en détache pour les considérations politiques. Car il était question d’utiliser du bois local et de faire travailler des petits charpentiers locaux, et ce n’est pas précisément ce qu’on constate à la fin du parcours.
Vue de l'intérieur des bureaux non encore équipés : la trame utile des poutre BLC pour le cloisonnement, les variations des baies, un travail de structure cohérent et nickel, dommage que l'on ne voit pas le travail d'assemblage bois/bois réalisé par Simonin chaque fois sur deux étages.
Par contre, comme le définit Winter, on garde l’idée de la séparation d’un socle en béton et d’une élévation en bois sans noyau béton, tout à fait inhabituelle en 2017 en France si on exclut le bâtiment Max Weber de Pascal Gontier à Nanterre. Le béton est néanmoins utilisé en plancher pour l’acoustique avec des éléments préfabriqués typiquement germaniques, pas du tout utilisés en France sur ossature en BLC jusqu’au bâtiment 007 d’Anne Carcelen à Paris.
Si le béton est préfa et non coulé en place, dit Wolfgang Winter, il ne joue pas son rôle de contreventement. Il faut donc contreventer en bois, par les cages d’ascenseur en CLT et par ces grandes croix de Saint-André qui courent en façade sur deux étages et font la marque visuelle du projet. Enfin, la protection de cette structure par une paroi en verre renforce la performance thermique de l’édifice.
Leçons
Pour la faire courte, il y a beaucoup de leçons à tirer de ce projet. La principale est le choix strict de la trame, qui se dérive en 3 x 90 cm et permet d’orchestrer une façade de baies en meurtrières moins assommante. Il y a aussi le recours raisonné au CLT notamment pour fixer la tripaille au-dessus des circulations et faire le contreventement ; la révélation de l’exostructure bois diagonale comme opportunité architecturale, comme on la voit désormais aussi au nouveau siège de l’ONF à Maisons-Alfort. L’usage intelligent et bien mené du BLC à la fois structurel et point d’orgue de l’aménagement ; enfin le recours intelligent aux panneaux 3-plis qui affichent le bois en façade protégée.
On aurait envie de dire, maintenant que le projet avant-gardiste de 2017 a pris le retard habituel dans un monde qui bouge à toute allure, qu’il faudrait se passer de la façade en verre qui certes améliore basiquement la performance thermique, mais grève le bilan carbone. Les balcons nécessaires tous les deux étages auraient ainsi permis une végétalisation. Il aurait fallu protéger l’exostructure par des débords importants et au global ce ne serait pas le même projet, qui séduit par une rigueur imposante seyant bien à la destination bancaire du lieu....
Source : batirama.com/Jonas Tophoven © Nicolas Waltefaugle