Après la 8e IHC à Berlin en 2019, les participants à la 9e Conférence internationale sur les bois feuillus se sont retrouvés à Lyon fin octobre sous l’égide de la Fédération Nationale du Bois.
La conférence IHC (International Hardwood Conférence, c'est à dire conférence internationale des feuillus), tout comme la conférence ISC sur les bois résineux, est co-organisée par l’Organisation européenne des scieries (EOS ou OES) et la fédération européenne des négoces de bois, ETTF. Elles fonctionnent sur le même modèle, si ce n’est que les résineux viennent de terminer leur 70e congrès, alors que IHC de Lyon n’en est qu'au 9e. L’ISC est devenu le lieu d’échanges du secteur de la scierie de résineux, avec des interlocuteurs et des informations à portés mondiales.
Il en est déjà de même pour le monde des feuillus, qui fonctionne un peu différemment de celui des résineux, même si la visite du leader de la fabrication de cercueils, OGF, le 27 octobre, a montré que les cercueils sont de plus en plus produits en résineux, car cela correspond à la grande tendance vers la crémation.
Jacques Ducerf, présient de la FNB, accueille les congressistes et estime que la crise climatique est devenue le problème majeur, selon lui, de la profession.
Les facteurs économiques du marché mondial restent les mêmes pour les deux marchés. Les participants et les orateurs de l'IHC avaient certainement en tête la conclusion de l'ISC lorsqu'ils sont arrivés à Lyon : fort ralentissement après un excellent début d'année. Le début de l'année n'a peut-être pas été aussi excellent pour les bois feuillus que pour les résineux, et il ne doit pas non plus être suivi à présent d’une chute aussi brutale.
L’essentiel est ailleurs
Jacques Ducerf, patron du premier scieur de chêne français et président de la FNB, a donné le ton de la séance en évoquant brièvement une rencontre de la fédération avec des spécialistes de la crise climatique en affirmant qu'à ses yeux, ce problème devient désormais dominant. Cette ouverture a été complétée par la conférence de clôture d'Aymeric Albert, de l’ONF, qui constate scientifiquement l'impact de la catastrophe climatique par la forte croissance des arbres endommagés. Maria Kiefer-Polz, vice-présidente de l’EOS en charge des feuillus, s’est demandé si le hêtre sera encore présent en Europe dans dix ans.
David Chavot (Margaritelli) présente les chiffres du marché français et plus précisément ceux du marché du chêne.
Interdiction d'exporter des grumes de chêne en Asie ?
Le cheval de bataille de la FNB, depuis dix ans, est d’empêcher l’export de grumes de chêne françaises vers l’Asie. C’est que la fédération a fait face à une fronde des petites scieries de feuillu qui manquaient de matière première. D’une part, dans les ventes publiques, les lots étaient raflés par des exploitants forestiers, ce qui a toujours été courant, mais de plus en plus souvent sans faire travailler les scieries et pour exporter directement vers l’Asie. D’autre part, les scieurs ne parvenaient pas à mettre en rapport des statistiques faisant état d’une progression du volume sur pied de feuillus français de 58% en 30 ans, à 1786 millions de m³ et le manque de disponibilité de grumes de chêne sur le marché.
Aymeric Albert (ONF) présentait le comptage de la progression des dépérissements des feuillus dans les forêts françaises.
Déjà, comme le rappelait Aymeric Albert de l’ONF, la baisse de la ressource de vieux chênes avait conduit l’ONF à rabaisser, vers 2000, le diamètre de la récolte, passé de 70 à 60 cm. La ténacité de la FNB a conduit l’IGN à revoir ses bases de calculs. Il en ressortait que l’IGN comptait la ressource de bois à partir d’un diamètre de 20 cm, beaucoup trop bas pour les scieurs. Par contre, comme l’a également indiqué Aymeric Albert, ces statistiques qui n’étaient pas fausses font espérer l’arrivée massive de chêne sur le marché dans les dix ans. A moins, bien sûr, qu’ils ne dépérissent à cause de la catastrophe climatique en cours.
Crise climatique
Depuis cinq ans, l’ONF compare la part de bois endommagé sur différentes parcelles et pour différentes essences. Le résultat est sans appel. Alors qu’en 2018, la part moyenne de bois endommagé était encore de 7%, celle-ci a grimpé désormais à 20% voire plus. Dit à Lyon au moment du pic de chaleur de fin octobre, ce constat était pour le moins glaçant.
Aymeric Albert ne sait pas quelles seront les conséquences de cette année 2022 beaucoup trop sèche et chaude sur les forêts françaises. Selon lui, il faudra être très vigilant au printemps prochain lors de la montée des feuilles qui pour certains chênes sera un peu comme le chant du cygne. Car les chênes, soumis à trop de chaleur, se mettent à cuire et les conséquences ne se manifestent souvent qu’avec des mois de retard. Pour les hêtres, c’est un peu différent, ils réagissent tout de suite, mais également dans les deux sens. Ainsi, selon Aymeric Albert, l’été pluvieux de 2021 a tout de suite été marqué par une belle diminution du taux de bois de hêtre endommagé.
Situation renversée
Face aux chiffres avancés par Nicolas Douzain quant au manque de matière des scieries de chêne et de l’incidence sur l’emploi, l’ancien président de l’EOS, le finlandais Auvinen, a fait remarquer que la volonté de la FNB d’instituer un moratoire sur les exportations de grumes de chêne en Europe avait buté sur des positions libre échangistes de certaines fédérations, et aussi sur la crainte de mesures de rétorsion. Surtout, l’évolution actuelle de l’économie chinoise réduit nettement les volumes de grumes importés.
Si l’Europe risque, comme l’indique l’ONF, d’être submergée par un tsunami de bois à récolter car endommagé, que va-t-il se passer ? Les capacités de transformation sont tout aussi insuffisantes que la demande du marché et on voit d’ici les grumes emprunter par conteneur le chemin de l’Asie ou d’autres destination à bas prix, comme après la tempête Lothar. Une perte de valeur colossale pour la France et une démarche qui, comme l’a déjà précisé la FNB, ne fera qu’accélérer encore le dérèglement climatique, à cause du coût émissif des transports maritimes.
Le refuge de la construction
Une folie serait de laisser les forêts comme telles, basculant vers l’émission nette de carbone, d’autant plus que les dépérissements s’accompagnent de crises sanitaires qui fragilisent tous les arbres. La seule valorisation sensée de ce bois français qui risque de dépérir de façon massive, c’est son utilisation dans la construction, la rénovation, l’aménagement. C’est là que le carbone stocké a le plus de chance d’être retenu très longtemps et donc de jouer son rôle.
Mais il faudra lever trois obstacles de taille. D’une part, augmenter massivement les moyens de transformation. D’autre part, imposer le bois par substitution à tous les matériaux émissifs. Enfin, résoudre la question de la valeur, puisqu’aujourd’hui, construire en chêne semble absurde au regard des prix proposés pour les grumes sur le marché mondial.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven © JT