Les pailleux en ordre de marche

L’Assemblée générale du Réseau Français de la Construction Paille, à Paris le 9 décembre, était la dernière ligne droite avant le premier congrès de la construction paille à Poitiers en février 2023. © Mehmet Aydogdu

Alors que s’achève la co-présidence de trois ans de Benoît Rougelot, l’architecte de Landfabrik et enseignant à l’ENSA de Paris-La Villette, on peut dire que la construction paille a fait un véritable bond en France. Le réseau de la construction paille rurale, conforté depuis 2012 par ses Règles professionnelles, a misé sur la formation au travers de modules Pro-Paille tout en préservant un esprit de famille. On estime que 500 ouvrages sont construits en France chaque année, même si les suppositions actuelles des spécialistes de RFCP vont largement au-delà.

 

 

Juste avant la pandémie, l'architecte Jean-Luc Collet, Valenciennes, livre une école Jules Ferry en paille et ventilation naturelle qui va permettre de réduire les contaminations. © JL Collet Architectes Urbanistes

 

 

Cela fait de ce marché, de loin, le premier en Europe. Les voisins, stimulés par le programme européen Up’Straw, prennent le relais. En Belgique, l’épopée Paille-Tech commence enfin à porter ses fruits, si l’on en croit le développement du carnet de commande de cette entreprise qui a fait le pari fou de se concentrer sur la préfabrication d’éléments enduits.

 

 

Paille enduite

 

 

De fait, en Europe, les petits marchés de la construction paille sont souvent séduits par les enduits intérieurs qui sont directement appliqués sur la paille et procurent un équilibre hygrométrique hors pair. En plein changement climatique brutal, il manque des études pour valider de telles solutions en termes de bien-être face aux canicules, dans un environnement structurel à faible inertie comme c’est le cas du bois-paille.

 

 

Exposition à Paris en novembre de la paille et de la construction paille, organisée par Raphaël Pauschitz et Benoît Rougelot (en tant que co-président du RFCP), et montée à l'aide des forces vives du collect'IF paille. Des visites co-organisées par Ekopolis ont d'ailleurs lieu en janvier © Mehmet Aydogdu

 

 

Par contre, des essais feu français ont montré à quel point la paille enduite est une solution de premier plan pour résister aux flammes. Une option encore théorique quand on sait que la construction d’un ERP en R+3 bois-paille, par voie sèche, comme actuellement à Nancy, nécessite une ATEX.

 

 

Le bois-terre-paille, ou BTP

 

 

Après le grand effort des règles professionnelles françaises, qui ont stimulé la voie sèche et permis l’assurabilité, le monde de la paille se trouve progressivement rattrapé par ce que, justement le président de RFCP Benoît Rougelot, pratique depuis de longues années avec Landfabrik : le BTP, soit bois-terre-paille. Le BTP est devenu aujourd’hui l’horizon de la construction bois actuelle, si possible d’ailleurs dans la version bois feuillus en circuit court – terre – paille.

 

Si ce n’est que la part de la terre ne se trouve pas réduite à l’enduit intérieur ou extérieur de la paille, mais plutôt à la conception générale de l’ouvrage en alternative au béton. A moins de réutiliser le béton dans des opérations de réhabilitation, voire de constructions nouvelles intégrant massivement le réemploi.

 

 

Le passif du pauvre devient high-tech

 

 

Avec ses bottes de 37 cm d’épaisseur créant de facto une surisolation, la construction paille est entrée dans une nouvelle phase qu’exemplifie le lycée Gergovie E4C2 et autres projets de l’agence CRR. Déjà, en avril dernier au Forum Bois Construction, Lieux Fauves affirmait que l’isolation paille est une évidence pour les gymnases, notamment à cause des imposants murs aveugles. Pour les opérations urbaines, l’épaisseur des bottes et la complexité des baies ne favorisent pas un développement fulgurant, c’est acquis.

 

L'agence CRR livre avec Eiffage le lycée de Gergovie près de Clermont-Ferrand, premier lycée E4C2 de France ... en bois-paille © CRR

 

 

Mais le marché du bois-paille est actuellement sujet à une telle effervescence que les innovations techniques se bousculent : bottes d’épaisseur réduite, paille hachée, mécanisation en atelier de la préfabrication des caissons. A telle enseigne que l’éminent Atelier du Rouget pratique couramment la paille et que son expérience du terrain l’incite à ne plus calepiner à la botte, tant les constructeurs bois-paille rivalisent de solutions pour répondre à presque tous les projets.

 

 

Lots techniques frugaux

 

 

Le feuillus local-terre-paille se couple avec des lots techniques alternatifs comme la ventilation naturelle. Dans le Nord, l’architecte Collet se targue de bâtir des salles de classe "zéro Covid" de fait ou d’associer la paille à la géothermie dans des extensions d’usine qui en font des producteurs d’énergie. En région parisienne, la ventilation naturelle, cheval de bataille d’Alain Bornarel, a profité de l’impulsion des architectes de Rosny-sous-Bois, malgré les réserves de l’école du PassivHaus qui préconise plutôt une ventilation double-flux.

 

C’est un vieux débat technique qui trace un peu la ligne de césure entre la famille PassivHaus et la Frugalité heureuse et créative, du moins par la présence d’Alain Bornarel à l’origine du Manifeste. Cela dit, on perçoit que les lignes sont en train de bouger, dans la mesure où l’approche frugale, aujourd’hui très en vogue, entraîne avec elle une réflexion sur les lots techniques, un peu dans la perspective résiliente d’un "Bâtiment sans moteur", comme le préconise l'ancien co-président de l’ICEB Marc Serieis, pourtant grand spécialiste, entre autres, des lots techniques de la construction biosourcée avec Albert&Co.

 

 

Après la banalisation ?

 

 

A vrai dire, au cours des dernières années, le cap principal qui a été franchi est celui de la banalisation de la paille en ERP. Il a tout de même fallu 10 ans pour passer du R+1 de Sonia Cortesse (avec l’appui héroïque d’Olivier Gaujard), au R+3 de Nancy en passant par le R+2 de la résidence Bertelotte Paris 15e.

 

Construire une école en bois ? Evidemment ! Construire en bois-paille ? Quoi de neuf ! Viser la performance E4C2 avec de la paille enduite, comme en 2022 sur la ZAC de Trévoux avec M’Cube, l’un des pionniers de la construction paille en France, d’accord, c’est encore quelque chose. Au point que ça ne fonctionne pas toujours bien.

 

Réinjecter des techniques humides dans une approche sèche est complexe, autant pour l’enduisage de la paille que pour le béton de chanvre projeté. L’AG du Réseau a d’ailleurs fait remonter la crainte que le développement fulgurant de la construction paille ne démultiplie les sinistres, non pas tant avec l’enduisage qui reste marginal, mais à cause des risques d’entrée d’eau sur les chantiers. Un risque qui ne se limite d’ailleurs pas à la paille, loin de là, et affecte à peu près tous les isolants biosourcés. Avec un atout pour la paille : si elle pourrit et perd ses propriétés isolantes, ça se sent !

 

 

Le bois snobe toujours la paille

 

 

Banalisé dans la pratique française actuelle de la construction bois, le bois-paille ne l’est pas du tout dans le cadre institutionnel de la filière bois. Mais ce n’est pas nouveau, tout le développement de cette solution non industrielle, alternative aux laines minérales et au PSE, s’est faite depuis le début avec beaucoup de conviction et très peu de moyens. Et la route semble encore longue jusqu’à ce que la paille bénéficie d’une attention du monde de la réglementation et de la recherche de la construction bois. A moins de tâter le pouls des architectes du bois, déjà tous acquis. 

 


Source : batirama.com/ Jonas Tophoven

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