Autant la RE2020 favorise la construction biosourcée en termes de carbone et de Bbio, autant elle passe à côté du potentiel de réponse des biosourcés par rapport au confort d’été.
Dans la continuité des ateliers pédagogiques relatifs à la RE2020, et afin d’aller dans le détail, le Forum Bois Construction avait voulu programmer un atelier sur "L’inconfort d’été". En d’autres termes, comment vivre sans clim’ en canicule ? Ou bien : faudrait-il autoriser les constructions bois à s’équiper de panneaux photovoltaïques qui permettrait de faire du rafraîchissement en en période caniculaire, afin de compenser momentanément leur trop faible inertie ?
Vivre comme sous les tropiques
A ce moment donné de la préparation du Forum de Lille, il n’était pas encore apparu que les installations de froid contribuent immensément à l’effet de serre, non seulement à cause du coût énergétique, mais des gaz utilisés. Ce qui veut dire qu’il faut absolument bâtir des constructions résilientes en été, sans climatisation, et adapter notre perception du confort, à la fois dans les logements et dans les espaces publics (et renoncer au frigo par-dessus de marché). Il faut apprendre à vivre à 30° C dans les maisons avec un bon courant d’air, comme dans les tropiques, mais avec des habitations conçues également pour affronter ce qui reste encore des hivers.
François Consigny dresse le cadre carbone des enjeux de confort d'été.
Sujet et hors sujets utiles
En fin de compte, l’UICB a repris en solo la préparation de cet atelier recentré sagement sur la notion réglementaire de "confort d’été" telle qu’elle apparaît dans la RE2020. Elle a accepté quelques excursions hors du sujet, du fait de l'organisation générale : un prélude un peu décentré sur le carbone, par François Consigny et Philippe Bontemps, et l’opération Mélia à Taverny du promoteur Woodeum décidemment très présent au Forum.
Philippe Bontemps plaide pour des solutions de confort d'été décarbonées et le cas échéant mixtes pour cadrer avec la réglementation incendie.
En ce qui concerne le carbone, à force de répéter la doxa actuelle, il faudra se résoudre à croire que la construction neuve et la rénovation pèse en France 30 millions de tonnes de CO. Au moins dispose-t-on désormais d’un chiffre.
Philippe Bontemps a attiré l’attention sur les possibilités qui existent afin de contribuer au confort d’été tout en décarbonant notamment par du bois. Il est vrai que les bardages, brise-soleil, volets, garde-corps et sous-face de balcon en bois sont surveillés de près par la réglementation incendie. C’est pourquoi l’ingénieur de Terrell suggère de travailler avec des façades mixtes, hybrides, un type de solution pas très présent en France à l’heure actuelle. Pour autant, David Lebannier pour Pouget Consultant, précise au cours de l’atelier qu’il n’y a rien de mieux en termes émissifs que des isolants (biosourcés) sous enduit sur structure bois.
Meli melo Mélia
Pour ce qui est du Melia de Woodeum, il s’agissait de présenter un exemple de logements collectifs et 16 mois après l’entrée en vigueur de la RE2020, il n’est toujours pas courant de trouver une opération à jour.
Le Mélia, RT2012, défraye la chronique car il répond aux exigences carbone de 2031, soit en carbone énergétique et en carbone matériau et construction. David Lebannier décrit comment le projet passe en-dessous des 490 kg éqCO2/m² SHAB (473 kg). On n’y arrive pas avec le seul recours au CLT, il faut jouer comme à Taverny la compacité, la limitation des menuiseries à 18% du SHAB, choisir des balcons en structures bois, des toits en charpente, des ETICs, des volets battants en bois, une CVC bas carbone. Bravo Mélia !
Le confort d'été interpelle presque autant les congressistes du Forum Bois Construction que l'acoustique ou l'incendie.
Mais le chauffage par effet Joule choisi selon la RT2012 n’est plus possible en RE2020. Quant aux heures DH, elles ne sont pas très éloignées de la barre des 350 et correspondent à la performance d’immeuble traditionnels en béton avec ITI.
Référence 2003
Pour le reste, l’atelier C3 modéré par Clément Quineau s’est vraiment concentré sur le sujet, sans trop charger, en laissant vraiment place en fin d’atelier à de nombreuses questions. On comprend d’abord la notion DH mise en place par la RE2020 en se référant à l’été 2003, il y a 20 ans, et évidemment pas à l’été multicaniculaires de 2022, qui préfigure l’emballement en cours, ni ce qui nous pend au nez.
Ce qui compte, c’est que Pouget fait le rapport avec le classement insuffisant d’ouvrages construits complètement en bois, qui présente "une trop faible inertie". Une vieille lune, en fait, généralement utilisée pour estimer que l’ouvrage en bois montera en chaleur, mais pas pour indiquer qu’il retombera aussi vite.
Rendre la construction bois plus inerte et plus émissive
David Lebannier est pragmatique. Si la construction est trop biosourcée, selon la RE2020, elle ne sera pas acceptable, il faut donc remonter d’une case l’inertie avec des chapes non revêtues et/ou des plaques de plâtre notamment (allons-y par deux). Tout de même, ce n’est pas la panacée car on atteint un niveau moyen de DH qui laisse penser selon la RE2020 que les occupants pourront avoir recours à la clim’, de sorte que cette option pénalisante est prise en compte dans le Bbio.
Le RE2020 est de nouveau un monstre de complexité et de sagacité, comme déjà la RT2012, mais sans la boîte noire qui faisait qu’on n’arrivait pas bien à repérer la main des lobbys, même des années après. Cette fois, les retours d’expérience de haute valeur informative de AMI Bois, pour des cas de maisons individuelles, montrent que l’approche tout bois se résout non seulement avec l’ajout de chapes, mais aussi d’isolants très fossiles. Et on se demande si cette absurdité n’a pas un lien avec le recentrage décidé de l’activité d’AMI Bois vers des solutions constructives autres que la m.i.
Les isolants biosourcés ne comptent pas
Lorsqu’ensuite, CD2E remplaçant également Karibati, présente tout l’intérêt des isolants biosourcés en matière de confort d’été, tout en rappelant que cela n’est pas du tout pris en compte par la réglementation, on est en droit de se demander si la filière biosourcée ne s’est pas fait piéger.
Admettons que je construise par exemple en bois-paille enduite. Les propriétés de déphasage et d’hygrothermie de l’ensemble constructif me permettaient de traverser les canicules, mais non ! Comme la solution est jugée de trop faible inertie, il faudra utiliser les plaques de plâtre, des chapes apparentes, des isolants fossiles et en plus le Bbio sera rétrogradé, ce qui avec des bottes de paille de qualité passive relève de la plaisanterie.
Un livre blanc trop tard
Malheureusement, cette plaisanterie n’apparaît que maintenant, elle n’a même pas été relevée au premier congrès bois-paille de Poitiers. Peut-être que cette prise de conscience un peu humiliante conduit actuellement l’AICB à publier son livre blanc mettant en avant les atouts des isolants biosourcés en termes de déphasage et d’hygrothermie, au risque de déterrer la hache de guerre avec les laines minérales et les autres maîtres du jeu. Sans doute que le monde de l'isolation biosourcée n'était pas en ordre de bataille jusqu'ici, et que le livre blanc prépare par contre la revoyure pour le passage à la RE2025 (qui sera en 2027 ?).
Et l’atelier aurait pu se terminer de la façon suivante : comme la RE2020, en matière de confort d’été, pousse la construction biosourcée à mal faire en termes de carbone, comment faire en sorte absolument d’éviter les coûts carbone induits par les solutions courantes émissives que tout pousse à utiliser ? Par exemple en utilisant la terre comme cela est prisé aujourd’hui. Ce sera sans doute l’objet d’un autre atelier.
Source : batirama.com/Jonas Tophoven / Photo © Vincenzo de Cunzo