JAG Architecture signe à Papaïchton, au far-ouest de la Guyane, un gymnase iconique en bois local, déjà primé aux PNCB et aux Green Solution Awards.
Fin de sessions inaugurales au Forum Bois Construction de Lille, le 12 avril 2023 : l’architecte Franck Brasselet, qui a largement porté sur ses épaules l’organisation d’une véritable exposition dans l’exposition du Forum – "Le layon guyanais", se dépêche. Depuis près de trois heures, de multiples intervenants expliquent à un public captivé ce que cela veut dire que de construire en Guyane. L’architecte a gardé pour la fin un rapide tour d’horizon de l’architecture en bois local.
L'effet palme est recréé par les tasseaux qui occultent la poute treillis à base de bois d'Angélique.
On comprend qu’il a besoin de mettre en lumière des projets à couper le souffle, jamais suffisamment pris en compte dans le monde de la construction biosourcée métropolitaine. Mais voilà déjà qu’il dérive, il n’est plus question de ses réalisations à lui, mais plutôt de la façon dont il a rencontré l’architecture vernaculaire en bois, et de ses spécificités uniques.
Bio-mimétisme
Parmi les peuples autochtones de Guyane, certains ont appris autrefois à construire en exploitant la souplesse créée par l’amincissement des tiges. Est-ce que le gymnase de Papaïchton, avec ses piliers triangulés masqués par des résilles de bois local, ne traduit pas cette influence vernaculaire ? "Pas du tout", rétorque l’architecte bourru, "je prends une palme de cocotier tous les matins dans le visage en descendant au bureau... et j'ai déjà sorti d'autres projets biomimétiques ! Le Lycée de Maripa-soula se réfère aux spirales ammonites, le Pavillon de la réserve des marais de Kaw-Roura au poisson préhistorique Atipa, la médiathèque de Morne-à-l'eau au bois lélé…"
Layon guyanais au Forum Bois Construction de Lille en avril 2023 : Nicole Valkyser, organisatrice, Franck Brasselet, le député Anthony Brosse, Yasmina, Jean-Luc Sandoz et Arnaud Meignant de CBS-Lifteam.
Ce qui l’inspire particulièrement, c’est la longue portée des palmes de cocotier, avec économie de matériau et rapport solidité/souplesse. D’ailleurs, il rêverait de ne pas mettre ces poutres tridimensionnelles en appui encastré sur des poteaux. Mais CBS Guyane, qui encadre le projet, veille. Arnaud Maignant : "Il faut prendre en compte le risque de déformation, le savoir-faire sur place et le coût de la construction". Quant à l’envie très ‘à la Julius Natterer’ de faire une couverture en avivés de bois, CBS Guyane rappelle que la forme de la toiture ne s’y prête pas, courbée comme elle est avec une partie plate au niveau de la tangente du point haut...
Le bout du monde
Papaïchton, on croirait que c’est un mot inventé pour désigner le coin le plus reculé du monde : Va te faire cuire un œuf à Papaïchton ! Egalement baptisée Pompidouville - quand le chef de tribu de la contrée, le "Gran Man", a été reçu à l’Elysée - la petite agglomération sur la rive droite du fleuve Maroni est en proie à une forte progression démographique. Elle a été fondée à l’origine par une ethnie composée d’esclaves noirs échappés, bordant les deux rives du fleuve Maroni, qui sépare la Guyane du Surinam.
Franck Brasselet, un architecte français complètement perdu dans son monde non virtuel de l'Amazonie, depuis 30 ans.
Selon Franck Brasselet, pour les constructions courantes, les habitants bricolent avec les appros du Surinam. Cette fois, il est question de créer un équipement plus que sportif, un lieu d’identité pour ce coin exclu des compétitions régionales de foot car trop excentré.
La frugalité au pays du foisonnement
JAG gagne le concours sur le fond et sur la forme. Sa démarche biomimétique n’est pas une manière, mais une réexpression de tout ce qui fascine l’architecte depuis qu’il a débarqué dans la région il y a 30 ans. Une fois de plus, il veut construire avec du bois local, comme un architecte frugal dans les Vosges. Pour cela, il apporte sa connaissance des tenants et aboutissants de la transformation et une juste prise en compte dans l’articulation de la forme, aidé une nouvelle fois par le BE CBS Guyane (antenne du groupe CBS-Lifteam) également bien implanté dans la région.
La résille de protection de la charpente emploie plusieurs essences présente sur le lot d'exploitation.
Il aurait été envisageable de bâtir un gymnase lambda en acheminant du BLC de résineux d’importation européenne et quelques parpaings. Cela aurait été paradoxalement plus simple et moins coûteux. Cependant, dans le dossier de candidature très détaillé que Franck Brasselet remplit pour la participation aux Green Solution Awards français de 2022-2023, il attire l’attention sur la garantie de longévité des ouvrages en bois local vis-à-vis des bois d’importation, "moins cher à l’achat, mais qui seraient éprouvés par les conditions climatiques, les insectes xylophages ou encore les champignons qui apparaissent avec la saison des pluies."
Construire durable
Le projet de hall sportif et salle polyvalente pour une surface de 1680 m² SHON revient à 3,5 millions d’euros, soit un coût au m² de 2.140 euros. Pourquoi ? L’architecte aligne une batterie de raisons : "Difficulté d'exploitation, piste ONF, densité de la forêts, saison des pluies, dureté du bois qui désaffûte (silice de l'angélique), rendement des billes très inférieur au résineux d'Europe (défaut du bois, bille creuse...), équipement des scieries pas assez adapté, manutention des bois et taille plus complexe (plus longue)".
La structure du Gymnase, également reproduite en maquette 3D par Archimade et exposée à l'occasion de la remise française des Green Solution Awards.
Une entreprise spécialisée dans ce genre d’opération, OGPTB (Francklin Louison, présent à Lille avec la vidéo correspondante), achemine en pirogue un Manitou, nacelle et sapine de montage. Une raboteuse est également apportée sur le chantier. L’ONF Guyane définit une concession comme l’a expliqué au Forum Nathalie Barbe, et ce sur la commune même, pour du bois PEFC.
90% du bois utilisé est de l’angélique, en quelque sorte "l’épicéa" de la Guyane. Mais JAG met un point d’honneur à diversifier les essences en fonction de ce qui est disponible sur la concession : ebène pour certains poteaux, multi-essence pour le tasseautage des palmes, comme le précise Arnaud Maignant de CBS Guyane.
Les arbres sont débités en sections de 5 mètres afin que les sciages restent manuportables, et la structure triangulée en tient compte. Les fins tasseaux qui habillent les poteaux tridimensionnels sont fabriqués par un atelier de menuiserie à Maripa-Soula, à 50 km de là.
Les assemblages par ferrure sont en acier galvanisé à chaud, l'acier a été fortement limité en utilisant le procédé Ariane développé par CBS pour les fermes treillis. Ce procédé d'assemblage par gousset utilise des contreplaqués en pin traité classé IV par autoclave et antitermite.
Récompenses
Pour le reste, le projet stocke du carbone par le bois local et son mode de transformation, les terrassements sont limités et les abords préservés pour absorber les pluies, la valeur ajoutée du travail est locale. Le projet coche toutes les cases et s’impose comme représentant des projets outre-mer pour le Prix Régional de la Construction Bois et reste même en lice pour un Prix National qui ne sera décerné qu’en octobre. Il remporte en juillet 2023 une mention dans le cadre du Prix Climats Chauds, avec la justification suivante :
"Le jury a eu un coup de cœur pour ce bâtiment très esthétique, surtout pour un bâtiment scolaire. Il nous a plu notamment pour son architecture et sa démarche biomimétique, puisque la structure rappelle celle des palmes de cocotier, qui offrent un bon rapport solidité/souplesse et permettent d’économiser des matériaux". Par contre, coiffé dans sa catégorie par le collège de Roquefeuil à la Réunion, il ne participera pas à la phase internationale dont les lauréats seront annoncés dans le cadre de la prochaine COP à Dubaï fin 2023.
Exposée lors de la proclamation des Green Awards, mais aussi dans le Layon guyanais du Forum Bois Construction de Lille, la maquette du gymnase, générée en 3D par les spécialistes d’Archimade (Nanterre), va vivre sa vie et représenter en France, avec d’autres maquettes américaines, l’extraordinaire florilège de la construction guyanaise contemporaine.
Source : batirama.com/Jonas Tophoven/ ©JAG