Au Forum Bois Construction de Lille, l’atelier animé par Dominique Gauzin-Müller a mis en lumière une Europe de la construction frugale heureuse et créative.
Lancé en 2018 par Dominique Gauzin-Müller avec l’architecte Philippe Madec et l’ingénieur Alain Bornarel, le Manifeste de la Frugalité Heureuse et Créative connaît un succès à la mesure de la catastrophe climatique en cours. 15.700 signatures à ce jour, issue de 90 pays. Le mouvement est en phase avec d’autres tendances constructives européennes comme le Low-Tech ou sa traduction germanique, Einfaches Bauen. Toutefois, ces dernières ne bénéficient pas d’un mouvement aussi structuré qu’en France. En Europe, le terme "frugal" est en train de s’imposer. Il ne s’agit pas d’appliquer une doctrine étrangère, mais plutôt de trouver un dénominateur commun d’acteurs du bâtiment qui veulent répondre aux défis du changement climatique et savent que la construction en est l’une des causes principales.
La frugalité mise en application
Après avoir honoré Dominique Gauzin-Mueller à Nancy en 2022 et programmé alors un atelier dédié au mouvement de la Frugalité Heureuse et Créative dans le Grand Est, le déplacement du Forum Bois Construction à Lille a donné l’occasion de mettre en lumière le travail régional de l’antenne Haut-de-France, mais pas que. Les jalons régionaux se retrouvent dans un ouvrage que le Forum a largement sponsorisé. L’animatrice régionales du mouvement, Florine Wallyn (agence Béal&Blanckaert), a présenté avec la médiathèque d’Amiens un projet qui synthétise des idées directrices de ce mouvement, en optant également pour la ventilation naturelle, thème qui sous-tendait cet atelier sur le plan technique.
La ventilation naturelle, une approche sophistiquée
En fait, cet atelier comprime le regard sur la frugalité européenne avec un sujet proposé par l’ingénieur Marc Serieis, au sujet de la résilience et du Bâtiment sans machines. Mais cela tombait bien, car cette question donne du corps à l’approche technique revendiquée par les frugaux. Après une introduction par le maître de la ventilation naturelle, Alain Bornarel, Marc Serieis a expliqué l’application du principe au collège E4C2 Frida Kahlo de Bruges au nord de Bordeaux, ce qui tombait bien, car ce projet-phare n’avait été présenté qu’à moitié au Forum de Lille en 2022.
Dominique Gauzin-Müller et Alain Bornarel, deux des initiateurs du mouvement de la frugalité heureuse et créative.
En complément, un projet en cours d’Archipel Zéro, l’agence en pointe dans le réemploi. Après la médiathèque d’Etouvie, l’architecte Andy Senn a présenté son école d’agriculture de Salez pour laquelle la ventilation naturelle, imposée, s’inspire des granges de la région. L’efficacité semble renforcée par la hauteur sous plafond imposante de cette école en R+2 (4,50 m !). Enfin, pendant la table ronde finale, L’architecte suisse Odile Vandermeeren, qui a longtemps travaillé en Afrique de l’Ouest, a rappelé à quel point il est là-bas courant d’utiliser le vent et le soleil comme moteurs pour réaliser cette ventilation.
Moins on déconstruit, mieux en réemploie !
Odile Vendermeeren faisait partie comme Micheal Ghyoot (Rotor) de la délégation bruxelloise accueillie à Lille grâce au sponsoring de Gramitherm. La frugalité belge, animée par la rédactrice en chef de la revue française Séquences Bois, se distingue de fait par son attention au réemploi. L’agence Rotor relaie à Bruxelles une sensibilité très forte aux Pays-Bas où les déconstructeurs sont souvent aussi des revendeurs de matériaux. Le jeune Michael Ghyoot dispose de 15 années d’expérience sur ce sujet actuellement tendance. Il a guidé un projet européen sur la question, déjà présenté par les partenaires français Bellastock l’an dernier à Nancy, mais auquel il manquait alors encore toute la documentation désormais en ligne.
Le public du Forum est très concerné par la frugalité.
Rotor souligne une dimension essentielle du réemploi : moins on déconstruit et plus on peut vraiment réemployer. A l’inverse, la dérive qui guette, et qui serait de provoquer la déconstruction pour disposer de matériaux que la RE2020 comptabilise à zéro carbone. Selon Ghyoot, la France a rattrapé son retard en matière de réglementation sur le réemploi. Rotor n’en reste pas moins une référence européenne que Dominique Gauzin-Mueller voulait mettre en relief dans cette édition européenne proche de la Belgique.
Une médiathèque à l’épreuve des faits
La frugalité, c’est moins de technologie pour des bâtiments résilients, c’est le réemploi censé. Mais c’est évidemment aussi le recours à la construction biosourcée, avec un penchant pour les feuillus. La médiathèque d’Etouvie à Amiens est ainsi l’un des premiers manifestes de la frugalité qui ne soit pas signé Philippe Madec, et il ne pâtit pas d’avoir été rattrapé par l’actualité. Premièrement, sa volonté de recourir en structure au peuplier a buté sur une filière incapable de le fournir à la sortie du Covid. Comme le dispositif d’aides régionales finance le surcoût par rapport à une construction classique en BLC de résineux, Florine Wallyn et le BE Ingébois ont dû faire deux versions de la structure. Et quand il s’est avéré que le peuplier manquait, il a été facile de se rabattre sur une solution résineuse d’ailleurs pareillement calibrée.
Odile Vandermeeren, Marc Serieis, Alain Bornarel, Michael Ghyoot, une partie du plateau de choix de cet atelier.
De même, l’agence Béal&Blanckaert a fait calculer le bilan carbone précis des entreprises répondant à l’appel d’offre, afin de contourner les règles de la loi MOP et de privilégier le recours à des bois locaux. A bon entendeur, salut ! Et l’on se retrouve donc avec une médiathèque à valeur ajoutée régionale, placée au cœur d’une de ces cités sans âme de la modernité, appelée à rayonner dans tous les colloques, et les présentations léchées des magazines d’architecture.
L'école de Salez en Suisse par Andy Senn n'en finit pas d'inspirer le mouvement européen de la frugalité, rigoureux et poétique.
Si ce n’est que, livrée début juin, cet équipement à fait l’objet de trois tentatives de destruction par incendie lors des émeutes du même mois. La première fois, à Amiens, les pompiers caillassés n’ont pu atteindre le sinistre qu’une heure après. La structure et les parois en béton de chanvre avaient résisté, mais un tiers de la couverture en laine de bois est partie en fumée. Dans la mesure où le bâtiment a encore résisté ensuite à deux autres tentatives d’incendie, on peut carrément lui décerner la médaille de la résilience. Car il n'aura qu’unetentative, lors des émeutes, pour que la médiathèque trentenaire à poteaux bois, Jean Macé à Metz, soit détruite entièrement.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven /Photos © Vincenzo de Cunzo