Le thème inhabituel de l’atelier A5 du 12e Forum Bois Construction à Lille correspond à une pratique séculaire, remise au goût du jour et pleine d’avenir.
L’émergence de la construction bois dans le monde est étroitement liée à un système industriel appliqué surtout aux résineux, qui consiste à débiter le bois en lamelles calibrées sèches réassemblées en poteaux, poutres ou panneaux. Dans la mesure où les ouvrages stockent du carbone, cette technique constructive alternative menace l’hégémonie de la filière béton. Cette dernière a beau jeu de rappeler en retour que l’atout carbone de la filière bois est réduit par l’émissivité de la transformation et du transport de ces produits.
Pas un retour à l’âge de pierre
Aujourd’hui, les bois collés rendent des services inestimables et demain, il se peut qu’ils apportent la meilleure solution pour exploiter les dizaines de millions de m³ de bois accidenté qui vont arriver sur le marché du bois en France, en résineux comme en feuillus, pour éviter qu’ils ne soient brûlés. Pour autant, les architectes et ingénieurs du bois aiment à explorer les possibilités structurel du bois non collé, qui ne reviennent pas à retourner à la hutte. Au contraire, une qualité architecturale nouvelle se crée.
Le bois massif, une question d’ingénierie ?
L’atelier A5 du 12e Forum Bois Construction, le 14 avril 2023, est exceptionnellement consacré au thème de la construction et de l’aménagement en bois peu transformé, ce qui revient à dire en bois peu collé. Or, beaucoup de fidèles exposants du Forum, grâce auxquels ce congrès parvient à proposer sa qualité de service, sont des fournisseurs de bois collés, voire des fournisseurs amont de ce marché (colles, machines, logiciels…).
Edmond Decker présente une synthèse de son oeuvre de 45 ans comme archtecte et "bûcheron".
Certes, l’agence Studiolada de Nancy à bâti dès 2015 le premier Totem du Forum avec des tasseaux standards de résineux. Le congrès a exploité à plusieurs reprises le fait que le légendaire professeur Julius Natterer était toujours vivant. Mais dans le cadre des hommages qui ont marqué le 11e Forum à Nancy en 2022 après le décès du maître, son fils a reproché au Forum de ne pas tenir compte d’un élément clé de leurs recherches familiales, à savoir la construction structurelle alternative en bois brut.
Pourquoi pas, s’est dit le comité de pilotage, et rendez-vous a été pris par Lille avec une conférence introductive de Johannes Natterer. Il était évident de clore aussi cet atelier par la démarche que Dominique Molard a initiée avec le projet Stent : utiliser les gros bois de sapin du centre de la France pour créer toutes sortes de plateformes, et pour lesquelles ces grumes sont effectivement peu transformées. Dominique Molard est un architecte du bois avec Archipente. Mais c’est aussi un industriel avec Lignatech et un émule de Julius Natterer qu’on cite en compagnie d’ingénieurs bois comme Jacques Anglade et Olivier Gaujard.
Bâtir sans bois collés est une gageure technique et répond particulièrement à des considérations de bilan carbone. Johannes Natterer estime que le bilan d’un plancher CLT sur solives en BLC (bois lamellé-collé) est aussi mauvais qu’une solution béton. Il attire l’attention sur l’intérêt des solutions mixtes sur solives brutes, avec des dalles de compression réduites qui ne recourent que très peu aux armatures particulièrement émissives.
La révolution Stent !
Dominique Molard l’a compris depuis longtemps avec sa contribution au développement des planchers mixtes Lignadal. Son concept Stent n’est finalement rien d’autre qu’une augmentation d’échelle, dans la mesure où les grumes parallèles sont comme de grosses planches et que le contreventement à assuré par une sorte de dalle de compression en bande. On peut donc sortir les calculettes. Si ce n’est que chez Dominique Molard, l’approche se nourrit de critères complémentaires à l’émissivité, comme la disponibilité des gros sapins.
Le thème du bois peu transformé, en compétition dans cette session de 11h avec le thèmes des passerelles et celui de la construction paille.
Il n’est pas vraiment question d’architecture, plutôt de génie civil puisque Stent parle de doubler une autoroute saturée. Mais dans le détail, l’enjeu du bois moins transformé, chez Johannes Natterer comme chez Dominique Molard, se complexifie. La grosse grume de sapin est brute mais il faut quand même la sécher un peu, la manier, la tailler avec un robot etc. Soliver des planchers avec des tiges brutes n’est pas non plus de tout repos face à la régularité des solives en BLC. Est-ce agréable à vivre ?
Le massif comme stimulation architecturale
Au Luxembourg, Edmond Decker a construit pendant 45 ans avec une affinité particulière pour le bois, car il est parallèlement un propriétaire forestier actif. Au départ, les bois d’ingénierie sont encore peu présent de toute façon et l’architecte apprend à manier les poutres brutes. Plus tard, sa convergence de pensée avec Natterer le conduit à privilégier le bois massif résineux mais aussi feuillus, afin d’en faire non seulement un enjeu émissif, mais aussi architectural. Il faudrait cloner son barbecue communal de Lindgen en France, avec sa charpente en chêne massif local, cela jugulerait peut-être les incendies en forêt et aussi les destructions d’immeubles en bois par les barbecues miniature utilisés dans sur les balcons.
Christophe Aubertin, Pritzker Prize de la Frugalité par l'inépuisable créativité technique et esthétique de l'agence nancéenne Studiolada.
Dans la famille des constructions en bois bruts standards, il est facile de tirer la carte Studiolada, habitué du Forum. Les charpentes en tasseaux sont la griffe de l’agence, avec une expression particulièrement complexe pour le gymnase du collège Jean Lamour à Nancy, où la voûte intérieure du marché couvert de St Dizier. Passés maîtres incontestés de cette discipline, les architectes de Studiolada ne cessent d’étendre le territoire de la lutte contre le malconstruire. Le bois brut réapparaît à Liffol en tressage avec la compréhension que le système tressé osier-chêne des sièges se transpose en structure bois ! De même, pour une maison dans les Vosges, les planches diagonales remplacent le panneau OSB en contreventement de MOB, gage de pérennité et de construction avec des fournitures locales.
Pourquoi les doublages ? Pourquoi les faux-plafonds ?
Le construire local est une évidence pour Julie Herrgott de Herrgott&Farabosc dans l’Ain. Selon l’architecte, il suffit de se baisser, ce pays de cocagne de l’Ain au confluent de la Saône-et-Loire et de la Loire, apporte à la fois les matériaux et les artisans qu’il faut. Il convient simplement de questionner les pratiques modernes courantes. Adapter éventuellement le dessin d’une charpente aux sections disponibles ? L’agence aime réduire les millefeuilles des parois et notamment remet en cause les doublages et les faux-plafonds. La qualité du travail architectural et artisanal fait que ces options passent dans les commandes du secteur privé local. Rarement comme chez Herrgott&Farabosc, le travail d’une agence est autant en symbiose avec les ressources locales et les considérations écologiques, dans une réflexion globale.
Une architecture du bois massif en dentelle
Quant à Véronique Klimine, le recours au bois massif est une évidence mais pas une fin en soi. Même dans sa présentation de la demi-pension de Monestier-le-Clermont, l’accent est mis sur son thème de cœur, le bien-être des élèves. Et pour y parvenir, l’agence R2K dispose de plein de trucs, le recours aux corbeaux à la HaHa (agence vosgienne) pour augmenter les portées, poutres en trois couches de bois empilées et vissées, contreventement en cloisons ajourée en éléments de bois non orthogonaux et ludiques. Ainsi naît une architecture du bois local peu transformé, qui reste originale en France.
L’attention pour le carbone, les ressources locales, c’est souvent un luxe que seules les agences connues peuvent s’offrir. Toutefois, par le biais du mouvement de la Frugalité Heureuse et Créative, et d’ateliers comme le A5 du dernier Forum, ces pratiques vont se diffuser. Mais que l’industrie du bois se rassure, elles ne remettront pas en cause de sitôt l’hégémonie du bois collé.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven/ © Vincenzo de Cunzo