La rénovation de patrimoine historique bénéficie d’avancées techniques (sécurité, accès, diagnostic, modélisation...) Mais fabrication et mise en œuvre des matériaux demeurent souvent proches des techniques d'origine.
Photo : Sous la maîtrise d’œuvre de Martin Bacot, architecte en chef des monuments historiques, le château médiéval de Bussy-Rabutin a bénéficié d’un vaste plan de restauration de 2019 à 2023 entrepris par le centre des monuments nationaux (CMN). © Martin Bacot ACMH - archipat
La restauration de bâtiments patrimoniaux historiques, dans le cas où elle ambitionne une restitution à l'identique, est confrontée à la reproduction de techniques séculaires de mise en œuvre de matériaux traditionnels. Cette démarche exigeante demande du temps de la part des nombreux corps de métiers mobilisés sur l'ouvrage et un savoir-faire manuel qui peut être long à acquérir voire qui a été oublié au fil des siècles. Le compromis est à trouver au cas par cas pour concilier la volonté de restituer à l'identique, les contraintes de budget et de délais ainsi que la prise en compte des réglementations modernes en termes de descente de charges sur la structure, surtout en cas de changement d'usage ou de transformation lourde, et de sécurité incendie.
En particulier la tragédie en 2019 de l'incendie de la Cathédrale de Notre-Dame de Paris, qui fait partie de la trop longue série de monuments historiques ravagés par les flammes, a remis à l'ordre du jour la question de la sécurisation des édifices patrimoniaux. Outre le financement d'un "plan cathédrales" par le Ministère de la Culture, le virage assumé est de ne plus seulement protéger en cas de sinistre les occupants et les visiteurs mais aussi le patrimoine, le bâti et les œuvres avec une attention particulière portée aux anciennes charpentes bois. Les actions sont typiquement la pose d'un système de détection incendie dans les combles, du recoupement avec la pose de parois et portes résistantes au feu, et pour certains bâtiments complexes et hors normes, comme les Cathédrales de Beauvais et de Notre-Dame de Paris, l'installation d'un système de protection active par brouillard d'eau.
Mise en place d'une cloison coupe-feu dans la charpente historique en bois du château de Bussy-Rabutin. © Martin Bacot ACMH - archipat
Parfois la difficulté vient de l'ampleur de l'ouvrage à l'exemple des grandes charpentes en bois médiévales qui peuvent demander un volume important de poutres en chêne massif sec. Plus généralement, l'effort vient de tâches manuelles difficiles à accélérer comme la taille de la pierre, la pose et le tranchis de l'ardoise ou du travail d'ornementation d'éléments de faîtage en cuivre ou en plomb. Néanmoins au fil des dernières décennies, les délais de chantier se sont considérablement raccourcis avec des évolutions notables sur les échafaudages systématiquement métalliques et tubulaires, et de plus sont très souvent de type parapluie sur les chantiers de monuments historiques pour protéger des intempéries lorsque la couverture est déposée. L'évolution est aussi notable concernant les moyens de levage et de manutention. L'apport des nouvelles technologies numériques est aussi décisif non seulement avec le développement des équipements de type scanners 3D et drones mais aussi pour la modélisation 3D et la simulation des ouvrages.
Dans le cadre du chantier de restauration, la maquette BIM de la Villa Majorelle à Nancy a été réalisée par AGP (Art Graphique Patrimoine) à partir des nuages de points obtenus à l’aide de drones et de scanners laser 3D, sur l’architecture, les toits, l’ensemble de la décoration à motifs végétaux et les boiseries intérieures des années 1900. © AGP
Restitution de planchers bois à l'identique
Construit au XVIe siècle par François Ier et classé au titre des monuments historiques en 1997, le Château de Villers-Cotterêts avait été laissé à l'abandon depuis 2014. Confié à l'architecte en chef des Monuments Historiques Olivier Weets, le chantier hors normes de sa restauration dotée d'un budget de 210 millions d'euros, a démarré en 2020. Les travaux comprenaient notamment le renforcement des fondations, le curage complet des intérieurs, le remplacement des planchers, la restauration des murs extérieurs et la réfection intégrale de la couverture. Inauguré fin octobre 2023, le Château abrite désormais la Cité internationale de la langue française.
Concernant le travail du bois utilisé en structure, l'entreprise Asselin a restauré la charpente du logis tandis que Cruard Charpente s'est vu confier la restitution de l'ensemble des planchers à la française, les charpentes des communs en groupement avec Asselin ainsi que les portiques de la salle du Jeu de paume transformée en auditorium. Une méthodologie de manutention était nécessaire pour approvisionner les matériaux, en particulier les éléments de portiques du jeu de paume, sur chantier.
Les pièces de charpente sont passées par les ouvertures des fenêtres par les grues bras de levage du charpentier, puis transportés sur des chemins de roulement avec des rails et des treuils. "Pour la restauration des charpentes des communs, suite à l’état sanitaire réalisé par notre bureau d’étude interne, nous avons remplacé des pièces de charpente, à l'identique, en chêne massif, avec les mêmes assemblages de type mi-bois, tenon-mortaises, entures, etc. Les délais étaient courts, nous avions quatre mois prévus pour l'aile sud des communs et pour le pavillon", s'exclame Aurélien Lefèvre, directeur général de Cruard Charpente.
Le niveau du premier étage du jeu de Paume étant supprimé, le niveau supérieur a été stabilisé avec des portiques, des poutres treillis en chêne lamellé collé posées en sous-œuvre. © Cruard Charpente
D'origine, les poutres et solives sont en chêne massif. Pour les planchers des logis, certaines poutres existantes en bon état ont été conservées, le charpentier a ajouté le solivage bois et les dalles de compression. D'autres planchers avaient été démolies à l'époque militaire du bâtiment et reconstruits en mixte métal béton. Dans ce cas, les planchers à la française ont été restitués en remplacement des planchers existants. "Pour tenir compte des charges prévues allant jusqu'à 500 kg/m², des tables de compression en lamibois (LVL) ont été posées sur le dessus des solives. Les poutres en chêne ont une section de 40x40 cm sur 9 ou 10 mètres de longueur, et il fallait trouver du chêne massif sec ce qui était difficile dans ces dimensions et dans les quantités demandées", complète Aurélien Lefèvre. Aussi il a été décidé de mettre des poutres HEA métalliques, floquées CF 2H et habillées en chêne. Des essais au feu ont été réalisés chez Efectis pour la stabilité au feu.
Les solives de section 18x18 cm sont en chêne sec avec sur le dessus la table de compression, la chape et le plancher technique. © Cruard Charpente
Plus de 4000 m² de couverture en ardoise
Pour la restauration de la couverture du Château de Villers-Cotterêts, le lot couverture a été confié à un groupement réunissant les entreprises Balas (mandataire), Lelu et Roquigny avec un partage des ouvrages par zones. Rocquigny a traité le bâtiment du jeu de paume, Lelu l'aile Est du logis Royal, et Balas a restauré les ailes Sud, Ouest et Nord du logis Royal. L'équipe de Balas était composée d’une quinzaine de compagnons, celle de Lelu d'une petite dizaine de compagnons, avec un pic, pour le groupement qui a atteint 45 compagnons. Au total le chantier de réfection de la couverture a duré plus d'un an mais avec des périodes d'arrêt du fait de la crise sanitaire.
La charpente étant en très mauvais état, les charpentiers ont travaillé par tranche à sa réfection, et dès qu'une tranche de charpente était restaurée, les couvreurs pouvaient intervenir. La couverture en ardoises - dont une partie avait été couverte de bacs acier en protection contre les intempéries - a ainsi été remplacée dans son intégralité. La pose des 4050 m² de surface de couverture était protégée par un gigantesque échafaudage parapluie.
Chez Cupa Pizarras fabricant réputé d'ardoise naturelle, Thierry Heurtebize, délégué technico-commercial, pointe "un chantier très technique et ambitieux pour nous en termes de marque et de produit. L'ardoise choisie par l'architecte est la Cupa 4 de notre sélection Monument Historique provenant de la carrière Armadilla dans la province de León en Espagne. Différentes dimensions de cette ardoise de teinte noir bleuté ont été fournies en fonction des contraintes de recouvrement. Produite en 5 mm d'épaisseur, la majorité est en 30x20cm de largeur avec un plus petit modèle en 30x18 cm pour la tour. La complexité est venue des noues rondes où ont été posées des ardoises en 40x25 cm." Une contrainte de production est de garantir la qualité et la durabilité attendue pour le produit. Une sélection très rigoureuse permet d'obtenir une homogénéité de cette roche métamorphique. Après extraction, son exfoliation lors de sa taille est manuelle et l'ardoise ne doit présenter aucun défaut. L'exigence de qualité nécessite plusieurs sélections, au départ dans la carrière ensuite par un tri sélectif à la palette.
Les palettes d'ardoise, qui font 2000 pièces et 1300 kg, ont été livrées par Cupa Pizzaras chez l'entreprise de pose via le distributeur Asturienne et de là sur le site du château de Villers-Cotterêts. © Cupa Pizarras
Pose traditionnelle clouée
Fabrice Longuépée, conducteur de travaux couverture chez Lelu, détaille un chantier exigeant de grande ampleur, réalisé en plusieurs étapes : "Le travail commence par la pose sur la charpente d'un voligeage en sapin, d'un écran pare-pluie puis d'un contre lattage suivi des chéneaux. La pose des ardoises au clou cuivre carré cranté commence par le bas et en remontant la pente de la toiture. Beaucoup de tranchis (coupes en biais d'ardoise) étaient à faire par exemple pour les noues rondes aux angles en retrait, situées entre deux versants. Une autre spécificité était la tourelle avec de l'ardoise taillée, qui à chaque rang, n'avait pas la même dimension, pas le même format car il fallait tenir compte de la convergence vers le centre." De nombreux ouvrages présents, comme les jouées des lucarnes, les abergements de cheminées, un important faîtage (dont les épis en plomb ont été sous-traités) ou de petits terrassons, ont aussi demandé de travailler avec le plomb, un matériau lourd à manipuler et posant des risques sanitaires.
Pose d'ardoise, de terrassons en plomb et de châssis d'accès par l'entreprise de couverture Lelu. © Lelu
Les ardoises ont été posée dite à façon brouillée avec trois modèles de largeur différente pour visuellement obtenir aucune régularité. Un tri manuel était réalisé en atelier à l'œil pour obtenir une répartition uniforme entre chaque m². "Une particularité était les ornements. Nous avons eu 17 épis aux formes variées à poser en terminaison des lignes de faîtage, en plomb chemisé de cuivre. Leur fabrication a été réalisée par un ornemaniste. Les épis ont été posés à l’aide de la grue une fois les éléments du parapluie déposés, le plus grand faisant 3 m 50 de haut. Les prestations étaient conformes à ce qui était attendu d'un château de cette importance, avec des noues rondes à tranchis, et des rives à renvers sur les imposantes lucarnes", expose Frédéric Poisson, responsable projet chez Balas.
Les épis en plomb chemisé de cuivre ont été entièrement refaits à partir de plans. Les plus grands étaient fabriqués en plusieurs éléments. © Balas
Rénovation du patrimoine pour les tuiles, briques, taille de pierre... la suite de ce dossier.
Source : batirama.com/ François Ploye