Le collège Henri IV à Poitiers a fermé au printemps 2022 pour une opération lourde de dépollution, restauration, réhabilitation et reconstruction. Retour sur ce chantier exemplaire.
À Poitiers, le collège Henri IV a fermé au printemps 2022 pour une opération lourde de dépollution, restauration, réhabilitation et reconstruction. L’enveloppe a fait l’objet d’une isolation thermique et de l’installation d’une ventilation double flux.
Initié en 2015, lancé en 2022 par une dépollution et un curage intégral (essentiellement du plomb dans les peintures, de l’amiante…), le chantier du collège Henri IV de Poitiers est exemplaire tant par la remise à niveau d’un site occupé depuis le début du 17e siècle… que par les affrontements politiques locaux. En cause, son budget passé d’un montant initial de 28 millions d'euros en 2016 à aujourd’hui 42,5 millions d'euros (TTC), pour 34 millions d'euros (HT) de travaux.
Après quelques hésitations sur son devenir en raison de l’importance des travaux à effectuer pour le rouvrir, les décideurs politiques l’ont emporté… Le fait que certains d’entre eux l’aient fréquenté aurait, dit-on, orienté la balance. Nostalgie, nostalgie…
Des arguments techniques et de contexte expliquent ce dérapage. En particulier, cet établissement situé en centre-ville recevait 800 élèves jusqu’en avril 2022. Ce, sans pratiquement aucun chantier d’envergure pendant plusieurs décennies. Outre la vétusté des locaux, le collège souffrait de gros défauts en termes d’équipements pédagogiques, de distribution et de circulation intérieures entre les bâtiments successivement construits : des parties en maçonneries de pierre datant du début du 17e siècle complétées au 19e de grandes ailes en brique avec encadrement de fenêtre en pierre, ouvrages du 20e en béton. Il ne disposait que d’un ascenseur et d’aucun aménagement pour personnes à mobilité réduite.
Respecter un site patrimonial
Autre point responsable de la dérive des dépenses : le collège est soumis aux règles de conservation du patrimoine. Ce qui justifie un suivi de toutes les interventions en sous-sol par les équipes de l’Institut national de recherche archéologiques préventives. L’ouverture du chantier sur cette parcelle foncière occupée depuis l’époque romaine a mis en évidence le passage d’un égout, la présence de caves, d’un cimetière, d’éléments de colonnes antiques, des fondations gallo-romaines… De même, il a fallu respecter les façades au regard du PSMV (Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur) du patrimoine de Poitiers et ses règles d’urbanisme draconiennes, lesquelles sont consignées sur le site du Grand Poitiers.
Les façades classées reprennent les prescriptions du plan de sauvegarde et de mise en valeur qui s’appliquent sur le centre-ville historique. © Bernard Reinteau
Ainsi, les matériaux des murs extérieurs devaient être rénovés et nettoyés pour respecter une charte d’aspect, les menuiseries de grandes hauteurs changées par des modèles obligatoirement en chêne avec des remplissages isolants. Et pour l’architecte du projet, Philippe Prost (AAPP, Paris), comme pour l’architecte des bâtiments de France, il était important de conserver la plus grande partie des planchers des bâtiments rénovés.
La plupart des planchers béton des bâtiments du 19e ont été repris en sous face par une structure métallique. © Bernard Reinteau
À cela s’ajoute la géographie du lieu. Sur le flanc sud-ouest du "Plateau", nom donné au centre-ville de Poitiers, Henri IV est construit sur un sol en pente : la différence de niveau entre l’entrée principale et le point le plus bas du foncier, soit 150 m, est d’environ 15 m.
L’accès au chantier s’organise par trois portes, chacune ouvrant sur une rue en sens unique. La cour centrale, un des deux endroits où il est possible de stocker les matériaux et les engins de chantiers, est accessible par une trémie étroite qui passe en sous-sol d’un bâtiment, puis vire à plus de 90°. Même chose pour l’accès des matériaux dans les bâtiments : sans monte-charge, avec des escaliers anciens en bois aux marches de seulement 1,5 m de largeur, il a fallu recourir aux engins de levage pour passer tous les composants par les fenêtres. Ce qui a donné lieu à quelques innovations.
Cet escalier monumental en bois a été entièrement dépollué de ses peintures murales au plomb. © Bernard Reinteau
Ces travaux ne pouvaient se tenir en présence des élèves : tous sont orientés vers le collège Joséphine Baker neuf construit à la sortie de la ville et aménagé pour les recevoir jusqu’en juin 2025. Ce qui d’emblée, a fixé le calendrier des opérations.
Entièrement rénové et restructuré, le collège Henri IV de Poitiers réouvrira à la rentrée 2025 dans une version plus réduite, avec des espaces repensés, isolé thermiquement et équipé d’unités de ventilation double flux.
Les centrales de traitement d’air double flux sont réparties dans les combles et dans les faux plafonds des étages intermédiaires. © Bernard Reinteau
Adapter le collège aux exigences du 21e siècle
En raison de la démographie sur la carte scolaire de ce collège, la jauge de l’établissement a tout d’abord été ramenée des 800 à 480 élèves. En conséquence, le Département a restitué une grande partie des locaux datant du 17e à la ville de Poitiers et à l’École européenne supérieure de l’image. Une paroi, non franchissable (3 m de hauteur) mais en transparence, séparera les espaces.
"Le Conseil départemental n’intervient plus que sur les bâtiments du 19e et des constructions du 20e – certaines à démolir et reconstruire, d’autre à réhabiliter – et sur le gymnase", explique Omer Edwiges, conducteur de l’opération au Conseil départemental.
Parmi les ouvrages à démolir figure celui de la demi-pension ; il laissera la place à une nouvelle construction plus en accord avec l’esthétique de celle du 19e à laquelle elle est adossée.
À droite, les fondations du futur pôle restauration. À gauche, celles du pôle sportif qui comprendra un dojo et des vestiaires ; il complète la salle de sport, dont la toiture a été recouverte d’une isolation thermique. © Bernard Reinteau
Subsiste aussi un bâtiment plus modeste du 17e, très dégradé, située à l’une des entrées. Il est entièrement réhabilité en locaux de la direction du collège, avec salles pour les différents services et salles de réunion. Le site fait aussi l’objet d’une mise en accessibilité complète avec un cheminement fluide entre les bâtiments, la création de sept élévateurs et une mise aux normes PMR. Les salles de cours créées sur les plateaux entièrement dégarnis sont aux standards de 60 m² pour les enseignements classiques, 80 m² pour les enseignements de science, de musique et d’arts plastiques. Avec un tableau numérique interactif de 82 pouces une diffusion WiFi dans toutes les salles.
Les locaux de la direction de l’établissement se développent sur deux niveaux dans ces murs du 17e entièrement repris : charpente, escalier, ascenseur, … © Bernard Reinteau
Organiser des macrolots
Pour faire face à l’ampleur de l’opération et améliorer son organisation sur un délai de rénovation-reconstruction court – d’avril 2023 à juin 2025 –, le conseil départemental a demandé aux entreprises de répondre, pour les opérations les plus lourdes, en macrolots. Ce qui a été testé et appliqué lors de la dépollution du chantier (curage, désamiantage et déplombage) conduite par le bordelais EGD avec les sous-traitants Pascau et BDS, de même pour la consignation des réseaux par Lumélec et Axima.
Pour le chantier de reconstruction, stratégiquement, quatre lots ont fait l’objet d’un tel rassemblement de savoir-faire. L’entreprise Breuil est mandataire des opérations de VRD, structure, couverture et façade avec des sous-traitants tels que les entreprises NGE pour les fondations, Pierre Millet pour les charpentes et ossatures bois, Robert pour les couvertures, Art de Bâtir pour les façades et SJSTP pour les aménagements extérieurs. "Une organisation qui permet de confronter les compétences", commente Thierry Breuil, président de l’entreprise Breuil SA.
Ce mode de gestion a aussi été adopté pour le macrolot "cloisons, menuiseries intérieures et revêtements". Piloté par l’entreprise M3C, entreprise dirigée par Bertrand Lebon, il est composé d’entreprises basées entre Poitiers et Tours qui ont l’habitude de travailler ensemble : M3C et 2PI pour les cloisons, doublages et faux-plafonds, Dubois pour les menuiseries, Batisol pour les carrelages et SPP pour les peintures. Idem pour les lots "électricité" et "plomberie, chauffage ventilation", structurés autour de plusieurs intervenants.
Pour les maître d’ouvrage et maître d’œuvre, l’intérêt principal de cette distribution des opérations est de laisser les entreprises rassemblées au sein des macrolots s’organiser en toute indépendance pour des opérations qui représentent les plus gros volumes d’activités et qui peuvent discuter de manière transversale. Une manière de déléguer partiellement la gestion complexe d’un chantier tant en termes de planning que de logistique. "Nous avons choisi d’organiser une co-traitance au sein de notre macrolot pour instaurer un relationnel permettant de produire entre nous plus d’émulation", explique notamment Bertrand Lebon.
Renforcer et isoler
De l’avis des intervenants, ce chantier présente peu de points exceptionnels, si ce n’est sa taille et son délai court. L’entreprise Breuil relève cependant les opérations de renforcement des planchers en béton initiaux impossibles à intégrer dans le code de calcul. 8 000 m² ont été repris en sous face par des poutres métalliques sur-dimensionnées. De même, sur l’aile sud dite bâtiment C, les planchers ont été démolis pour créer des escaliers et reconstruire des planchers bois-béton.
Dans cette aile, les planchers ont été démolis pour être récréer avec des poutres en bois et dalles de béton collaborant. © Bernard Reinteau
Autre lot volumineux : celui qui porte sur l’isolation thermique des murs périphériques et la création des nouvelles salles de classe sur les plateaux curés. Au total, les 8 000 m² de murs de forte épaisseur sont revêtus d’isolant biosourcé de 145 mm d’épaisseur derrière une plaque plâtre. Pour répondre aux critères environnementaux demandés par le maître d’ouvrage, l’entreprise 2PI, dirigée pas Nicolas Pepoli, a opté pour le matériau mixte (chanvre, lin et coton) de l’entreprise local Biofib, basée à une centaine de kilomètres dans le sud de la Vendée. Par ailleurs, pour améliorer le rendement des opérations de pose de plaques et de cloisonnement, 2PI et M3C partagent le choix d’une ossature ID4, mise au point par un autre industriel local, le niortais SPP-PAI. L’intérêt des montants en I est de pouvoir les rabouter par éclissage, ce qui lui confère de multiples intérêts sur un tel chantier.
Les 8 000 m² de murs périphériques sont isolés par 145 mm de matériaux biosourcés. © Bernard Reinteau
Cloisons, contre-cloisons et plafonds sont réalisés avec les ossatures ID4 de SPP PAI. Commandées en en une seule longueur, leur adaptation aux grandes hauteurs est assurée par éclissage. Le gain de temps de pose est de 30 à 50 %. © Bernard Reinteau
"Sur un chantier de rénovation, [explique Nicolas Pepoli], il faut généralement retenir plusieurs longueurs d’ossatures pour couvrir tous les cas de figure. Ce qui signifie une gestion des références, le stockage de chacune d’elles, des opérations de découpe, de montage… Avec cette référence l’organisation est toute différente et simplifiée. La hauteur la plus importante dans ce collège est de 4 m. Ce qui a permis de passer commande à notre fournisseur de produits en 2,2 m, utilisables au mur et au plafond. Soit pour 90 % des montages. L’intérêt est de n’avoir qu’une seule référence, d’éliminer les opérations de découpe – donc la production de déchets, sans négliger le risque d’accident lié à ce travail –, de monter les structures plus rapidement et de simplifier l’approvisionnement." L’amélioration du taux d’activité "de 30 à 50 %" permet d’absorber son surcoût : "Le délai de pose est amélioré". En outre, par sa conception, ce composant présente des propriétés acoustiques adaptées au milieu scolaire : il permet d’abattre la transmission des bruits aériens de 3 dB par rapport à une solution classique.
Réduire les besoins d’énergie
L’isolation appliquée aux murs répond aussi à l’obligation de respect de la réglementation thermique par l’extérieur sur toutes les surfaces rénovées. La production d’énergie a de ce fait été entièrement revue. La future chaufferie de l’établissement se limite à deux chaudières gaz à condensation Hoval de 500 kW chacune ; leur production de chaleur sera aussi partagée avec l’École de l’image voisine.
Le Département a cherché à implanter une géothermie, mais le sous-sol exploitable, au droit du cimetière mis à jour par les fouilles archéologiques, n’est de fait pas exploitable. En revanche, la nouvelle chaufferie intègre un échangeur de chaleur qui permettra, le moment venu, de se raccorder à un réseau de chaleur.
En outre, l’équipement des salles de classe a fait l’objet d’une conception de l’émission de chaleur orientée sur la sobriété, la maîtrise de la régulation et la durabilité de l’installation. "Les plafonds sont équipés d’émetteurs hydrauliques radiants", explique Omer Edwiges, donc hors de portée pouvant causer une surconsommation ou une dégradation ; ils évitent aussi toute concentration de poussières. "Leur régulation est pilotée par une gestion technique."
Autre disposition pour maîtriser le confort et les consommations d’énergie : la ventilation de l’ensemble des locaux par des centrales de traitement d’air double flux à récupération d’énergie. Des unités de tailles moyennes sont réparties dans les combles des différents bâtiments ainsi que dans les faux-plafonds des étages intermédiaires. Elles participent à la récupération d’énergie ainsi qu’au maintien en température des locaux par leur équipement d’une batterie chaude.
Les salles de classes cloisonnées, isolées et équipées des gaines de ventilation double flux. © Bernard Reinteau
Progressivement, dès cet automne, les travaux dans les bâtiments anciens laisseront la place aux constructions neuves : un restaurant et un pôle sportif. Les entreprises doivent maintenir leur avance sur le planning pour livrer le bâtiment pour son équipement complet dès l’été 2025.
Source : batirama.com / Bernard Reinteau