La maison des Solidarités de Langon pousse loin les curseurs de la construction biosourcée

À Langon, sous-préfecture sud de la Gironde, le département construit sa 61e maison des Solidarités à caractère social, sans oublier la solidarité climatique.

La Nouvelle Aquitaine, tout comme l’Aquitaine précédente, est fléchée comme pôle de compétitivité bois, notamment avec Xylofutur. C’est la région de la forêt plantée, en pin maritime (un million d’hectares), mais aussi celle du Douglas du Limousin, et des peupleraies. Pourtant, à quelques kilomètres du parc naturel régional des Landes de Gascogne, la ville de Langon construit sa maison des Solidarités sans pin des Landes en structure.

 

 

 

Le pin structurel arrive

La jeune agence parisienne ABF-LAB, qui planche sur ce projet R+1 de 2 500 m2 dont 1 300 de paroi MOB (Maison à Ossature Bois) depuis 2017, a pourtant truffé l’appel d’offres d’obstacles émissifs, afin de favoriser le recours à des bois locaux. Construire un vaste ouvrage en bois-paille enduit sur les deux faces en terre du cru, cela semble plus praticable que le recours à des bois d’ingénierie locaux en plein cœur de l’industrie française du bois. À leur corps défendant, les architectes d’ABF-LAB ont dû en faire l’expérience.

 

Jean-Luc Sandoz, CBS-Lifteam, devant les parois en paille avant l'enduisage, le 24 mai 2024. © Jonas Tophoven

 

 

 

Le premier appel d’offre a capoté, et le bâtiment, livrable en 2020, ne le sera qu’en 2025. Le CLT (Cross Laminated Timber) prescrit en vertical pour supporter la dalle côté couloir sans être revêtu, n’est aujourd’hui pas produit en pin des Landes. C’était pourtant la première initiative française de fabrication de CLT en presse à membrane, à l’origine de la création très précoce d’une association française du CLT du temps de la FIBC (devenue UIBC, Union des Industriels de la Construction Bois) , il y a 15 ans. 

Dans le cadre des appels d’offre de l’ADEME pour financer partiellement les investissements de la filière construction bois en France grâce au programme européen NextgenerationEU, on remarque le projet ProPinLam porté par Lamecol, Alliance Forêt Bois, Gascogne, FCBA, l'Université de Bordeaux et I2M afin de "développer un produit lamellé-collé performant en pin maritime". On l’attend.

 

 

 

La griffe Lifteam

Au second tour, l’entreprise CBS-Lifteam a été sollicitée, car spécialiste reconnue de la construction bois avec ou sans paille. CBS-Lifteam est devenu cotraitant du lot clos-couvert avec l’entreprise locale Eovest mandataire et responsable notamment de la dalle basse et de l’étanchéité.

 

Dalle O'portune en planches clouées en remplacement de caisson à base de bois collés. © JT

 

 

 

CBS-Lifteam produit chez lui, à Ecotim en Savoie, et s’est engagé à limiter le carbone kilométrique en sourçant de l’épicéa de France, du Jura, du Massif Central… Les CLT verticaux des circulations viennent d’X-Lam dans le Jura.

S’ajoutent des contreplaqués TeboPin de forte épaisseur pour les plafonds et parois, la première plaque non vue, la seconde sans nœuds, en gamme Select. L’entreprise a également utilisé de la laine de bois Flex Steico par référence au site proche de Casteljaloux, et pris une fois de plus tous ses risques de prescrire une couche résiliente biosourcé Steico Base dans le feuilleté du plancher, car il n’existe pas encore de solutions biosourcées dans ce cas de figure.

 

Matière chanvre projette de la terre de Fumel avec de la paille. © JT

 

 

 

Si l’on met de côté la question du bois local, le variantage CBS-Lifteam représente une plus-value écologique qui contribue à remplir les critères du calcul E+C- niveau E3C2. Il est porté par Audrie Nollet, conductrice de Travaux du PTS de Langon et ses dix compagnons de chantier, avec Guillaume Lavorel, dessinateur senior de CBS. Le partenaire sous-traitant pour l'enduit terre, c'est Axel Jacquelin de Matière Chanvre et son équipe. 

 

 

 

Une O’portunité

Quand CBS-Lifteam tombe sur des prescriptions de CLT horizontal, la variante en planches vissées tombe et elle est justifiée par l’intérêt de ces dalles O’portune, avec leur grande portée, aisément démontables. Le patron de CBS-Lifteam, Jean-Luc Sandoz, a développé cette solution il y a 25 ans lorsqu’il enseignait à l’EPFL de Lausanne. Dans les Landes, on scie à 2,50 m, un peu court pour exploiter cette approche imbattable de bois peu transformé. Un jour, peut-être.

 

Projection en plusieurs couches très propre, avec un apport d'eau limité. L'enduit est en train de devenir la solution standard de la construction paille. © JT

 

 

À Langon, les dalles O’portune remplacent une prescription initiale de caissons en CLT de type Novatop. Il n’est pas non plus question de les remplir de billes Foamglas pour l’acoustique. Le caisson est maintenu en support de toiture, mais il sera rempli de ouate de cellulose, d’autant que l’usine de CBS-Lifteam, Ecotim, est l’une des rares entreprises françaises parfaitement équipée pour tasser la ouate dans des caissons à l’aide d’un robot qui gère la densité.

 

 

 

Millefeuilles

Pour construire en biosourcé en hiver dans le Sud-Ouest, Lifteam a pris soin de poser une étanchéité provisoire à l’atelier en Wetguard sur chaque caisson. Au-dessus des caissons, des chevrons taillés en queue de billard génèrent la forme de pente, support d’un panneau OSB lui-même support de la membrane d’étanchéité. Une membrane blanche EPDM reflète les rayons qui ne sont pas absorbés par les panneaux photovoltaïques. Les planchers intermédiaires sont constitués d’un millefeuille sec impressionnant : sur la dalle O’portune, un panneau OSB supportant un nid d’abeille rempli de graviers, puis 4 cm de résilient en laine de bois avant la chape sèche composée de deux panneaux OSB 21 mm support d’un revêtement de sol final en caoutchouc. L’acoustique l’exige apparemment, dans un cadre très social.

 

 

 

La pluie

Le gros problème de ce chantier se situe au niveau de la paille, qui introduit non seulement une saisonnalité, mais une dépendance à la météo. Mieux vaudrait ne pas intervenir en étanchéité de toiture par mauvais temps, car si la paille est mouillée, elle pourrit. Or, les étancheurs ne sont ni habitués à intervenir dans un tel contexte de matériaux, ni prêts à programmer leurs interventions au gré du beau temps. On peut toujours changer quelques-unes des mille bottes sur le chantier, mais il faut être très vigilant. Heureusement, CBS-Lifteam protège ses caissons et murs avec un film d’étanchéité provisoire qui a permis de limiter la casse des défaillances successives de la mise hors d’eau par l’entreprise générale. Problème récurrent comme le rappelle Nathalie Samson de Résonance Paille : "Il faut absolument former les autres corps de métiers et changer leurs habitudes pour qu’ils s’adaptent à la construction biosourcée et comprennent le niveau de risque pour assumer leur responsabilité."

 

Façade en cours, avec son jeu de bardage en bois brûlé, ses casquettes, ses encadrements de fenêtre avec volets en osier, accordés à la teinte de l'enduit extérieur du socle. © JT

 

 

 

Livrable en avril 2025

Le chantier bientôt hors d’eau affrontera encore quelques intempéries. Les enduits intérieurs à base d’argile et de paille projetée sont appliqués couche après couche, avant l’enduit chaux extérieur pour la partie basse de la façade. Le bardage en bois brûlé de Noir de bois (59) est en instance de pose. Les volets de protection doivent être pourvus d’osier tressé afin de laisser passer l’air dans des configurations estivales de ventilation naturelle.

La maison départementale des Solidarités sert déjà de laboratoire pour la construction génération 2025. Elle montre qu’il est possible de construire un bâtiment tertiaire de 2 500 m2 en R+1 totalement biosourcé à partir de la dalle, si l’on laisse de côté les pare-pluie, les interfaces d’étanchéité à la vapeur, la membrane EPDM, les 60 cm de billes Foamglas de l’isolation de la dalle. La terre de l’enduit vient de Fumel, à moins de 100 km. Les panneaux photovoltaïques devraient permettre de réduire la consommation à 10 Kwh/an/m2, en-dessous de la norme passive.

 

 

 

Accélérer !

Au-delà de l’aspect de démonstration technique, l’ouvrage conçu par ABF-LAB promet d’être beau. Son plan masse original, la façade avec ses casquettes et encadrements de baies en métal teinte RAL inhabituelle et coordonnée à celle de l’enduit à la chaux, le séquencement des bardages en bois brûlés, la chaleur du bois à l’intérieur, la générosité des baies, le confort extrême des parois paille enduites, la qualité acoustique. Cela tranche avec le bâti plat minéral et blanc de l’agglomération de sous-préfecture, et aussi avec les préjugés minéraux désuets de la ville de Bordeaux.

La misère n’est plus la misère, car en germe, ce bâtiment promet le développement d’une filière de production biosourcée locale, donc des emplois et une réinjection financière dans le tissu économique régional, le sauvetage financier du département, la possibilité de continuer sur cette voie en optimisant l’approche carbone encore plus, et en mettant plus d’ingénierie et moins de matière comme le prône CBS-Lifteam. Mais pour que tout cela ait un sens, il faut tirer les enseignements de cet ouvrage sans attendre la livraison ou l’hypothétique RE2025 déjà dépassée.


Source : batirama.com / Jonas Tophoven

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