La valeur verte est une notion très élusive, mais la taxonomie européenne, le décret Tertiaire, le décret BACS poussent à connaître et à prendre en compte la consommation énergétique des bâtiments dans leur valorisation.
En tertiaire, la valeur verte, autrement dit l’augmentation de valeur engendrée par une meilleure performance énergétique et environnementale d’un bien immobilier par rapport à d’autres biens similaires, n’est pas facile à trouver. En ce qui concerne le logement, une étude de France Notaires a bien noté dans les ventes de logements en 2021, 2022 et 2023, une augmentation de la part de logements anciens vendus d’étiquettes énergie F et G est passée de 11 à 16 % entre le 2e trimestre 2021 et le 1er trimestre 2022. La hausse est plus importante pour les logements de classe G, passant de 3 à 6 % contre de 8 à 10 % pour ceux de classe F. Cette modification intervient, en particulier, dans le courant du 2e semestre 2021, à la suite de la révision du mode de calcul du DPE, mais également à la suite des premières annonces d’exigences minimales de performance énergétique.
Jusqu’au début de l’année 2023, la part des logements anciens vendus d’étiquettes énergie F et G continue de croître, mais bien plus faiblement, atteignant ainsi 18 % au 2e trimestre 2023 (soit + 7 points en deux ans).
Depuis le début de l’année 2023, les logements présentant une étiquette énergie G au DPE consommant plus de 450 kWh/m²/an en énergie finale (environ 140 000 logements) ne sont plus considérés comme décents et donc exclus du marché locatif en cas de nouveau bail. Depuis fin août 2022, il est également interdit d’augmenter les loyers des logements classés F et G. Bref, les propriétaires de logements avec un mauvais DPE se débarrassent de leurs logements plutôt que d’entreprendre des travaux de rénovation. Ce qui revient à dire que ces logements sont associés à une moins-value, plutôt que les logements efficaces au sens du DPE sont mieux valorisés.
Les variations de prix de l’immobilier depuis trois ans sont affectées par de nombreux facteurs, parmi lesquels il est difficile d’isoler l’effet valeur verte. Entre le 3e et le 4e trimestre 2023, l’indice de prix des logements anciens en France entière, calculé par Notaires de France, a baissé de 1,8 % et de 3,9 % sur un an. Les notaires notent que "la décote engendrée par une étiquette F ou G par rapport à un appartement similaire de classe D est significative dans toutes les régions de France métropolitaine (hors Corse)". En tertiaire, l’effet valeur verte est plus élusif encore.
Les trois bâtiments de Wooden Park à Mérignac ont été construits en bois et achetées en VEFA par INEA. Conçus par AB Architecture (Alexis Bellec), ils développent 6 020 m² de surface totale et sont certifiés BBCA. © Tristan Deschamps
INEA, la plus verte des foncières
Pour en avoir le cœur net, nous sommes allés voir INEA, une foncière plutôt jeune, créée en 2006. Cette date de création, plus le fait qu’INEA n’achète que des actifs tertiaires en régions, soit récents, soit neufs en VEFA a un avantage. Le patrimoine d’INEA affiche en effet une consommation énergétique de son patrimoine très faible comparée au secteur : 91 kWhef /m² en 2023, 41 % de moins qu’en 2022 et surtout un niveau inférieur de 32 % à la moyenne du parc française (134 kWhef/m²) calculée et publiée par l’OID (Observatoire de l’Immobilier Durable). Grâce à cette sobriété énergétique, 90 % du parc bureaux d’INEA est en deçà des seuils de consommation énergétique 2030 du dispositif Eco-Energie Tertiaire, le fameux "décret tertiaire". Les cinq actifs – c’est une foncière, donc à l’intersection du bâtiment et de la finance, ils parlent plus volontiers d’actifs que de bâtiments – qui n’atteignent pas encore le seuil 2030 font l’objet de plans d’action spécifiques et devraient descendre assez vite sous ce seuil fatidique, leur consommation énergétique n’étant actuellement en moyenne que 12 % supérieure au seuil du décret Tertiaire.
L’ensemble Lille Gradins à Villeneuve d’Ascq, a été livré en 2016. Construit en bois massif, il développe 5964 m², atteint une performance RT2012 – 20 %. Il est certifié BREEAM-in-use, niveau Excellent. © INEA
Le rôle d’iQSpot
Pour connaître les consommations d’énergie de ses bâtiments, pardon, de ses actifs, INEA a fait appel à iQSpot dès 2016. iQSpot a installé des capteurs sur tous les compteurs et sous-compteurs – eau, gaz et électricité – collecte les données, les remonte sur une plateforme sécurisée, les formalise et les met à disposition d’INEA, de ses property managers et de ses locataires.
INEA utilise ces données pour ses reportings annuels et pour le pilotage de ses actifs par ses property managers. Dès l’installation d’iQspot, ils réalisé des audits de réglage, notamment pour adapter les réglages thermiques en fonction des périodes d’occupation réelles. Seules des données disponibles en temps réel permettent de vérifier si les réduits sont correctement programmés les soirs et week-ends. Et si ce n’est pas le cas, de corriger le tir et de réaliser des économies d’énergie substantielles. De plus, les alertes en temps réel sur les dérives de consommation permettent de détecter immédiatement les fuites d’eau et de les corriger sans tarder. Des données réelles et actualisées alimentent les réunions d’annexe environnementale dans le cas d’un bail vert, qui sont généralisés chez INEA.
Enfin, pour témoigner de leur vertitude, les actifs INEA sont certifiés Breeam-in-use.
Autoconsommation collective
Conformément à sa feuille de route RSE 2021-2025, INEA s’est aussi lancée dans la production d’énergie sur site avec son partenaire SerenySun Energies, "l’accélérateur des circuits courts de l’énergie". INEA finance, SerenySun conçoit, installe et exploite. Les locataires du bâtiment de la foncière bénéficient d’une alimentation en électricité renouvelable dans le cadre d’une opération d’autoconsommation collective, à un tarif avantageux et surtout clairement maîtrisé dans le temps. Pour INEA, il s’agit d’accroitre sa contribution à la neutralité carbone par la production d’énergie renouvelable. INEA et SerenySun ont confirmé leur partenariat en juin 2024, après avoir expérimenté la formule sur deux ensembles de locaux d’activité : l’opération "Notre énergie La Soie" développée à Vaulx-en-Velin (69) grâce à la solarisation des quatre bâtiments du parc d’activités Les Portes de la Soie, détenu par INEA via sa filiale Flex Park, a été inauguré inaugurée le 25 juin 2024. Du côté de Toulouse (31), la communauté "Notre énergie La Cadène" permettra aux locataires du parc d’activités Arty Station et à leurs voisins, de consommer une énergie verte "made in Toulouse". Sur ce deuxième projet, les travaux de solarisation sont en cours, pour une mise en service de la communauté à l’hiver 2024.
La première phase de ce partenariat INEA-SerenySun porte sur neuf immeubles de bureaux implantés à Marseille, Montpellier, Toulouse et Bordeaux, ainsi que sur quatre parcs d’activités à Bordeaux et en Île-de-France, pour une mise en service des centrales entre fin 2024 et mi 2025. Comme l’explique Karine Dachary, directrice générale adjointe d’INEA : "L’impératif de production d’énergie renouvelable qui s’impose désormais aux foncières est un sujet complexe, à la croisée des marchés de l’immobilier et de l’énergie. Ce partenariat avec un spécialiste des énergies renouvelables engagé tel que SerenySun nous permet d’accélérer de manière efficace et sereine sur ce sujet. Nous améliorons ainsi encore la valeur verte de notre patrimoine, les services apportés à nos locataires et notre impact sociétal dans les métropoles régionales où nous investissons". Grâce à l’autoconsommation collective, INEA attend pour ses locataires une baisse de charges de 5 €/m² an sur des charges moyennes TTC de 50 €/m² an. Sur un immeuble de bureaux, le taux d’autoconsommation devrait atteindre 40 à 45 %. INEA parvient à des coûts totaux (fourniture et pose) de 253 € HT/m² de panneaux, soit ≤ 1 €/Wc en bureaux et environ 0,8 € HT/Wc dans le cas d’un parc d’activité.
Karine Dachary, directrice générale adjointe d’INEA, est convaincue qu’investir dans la vertitude est une bonne politique pour une foncière : réduction des charges pour les locataires, meilleure valorisation des actifs, réduction du risque sur la valorisation du portefeuille de la foncière, etc. © PP
Bon, et la valeur verte justement ?
Karine Dachary, que nous avons rencontrée le 17 juillet, estime que jusqu’à présent la valeur verte des actifs n’est pas vraiment prise en compte, mais pense qu’à terme on devrait voir apparaître une prime aux immeubles sans CAPEX à engager. Traduction, les immeubles dont la performance énergétique est satisfaisante, sans qu’il soit nécessaire d’investir (CAPEX : Capital Expenditure ou dépense en capital) pour l’améliorer, devraient se louer mieux, plus vite. Les entreprises qui louent sont, elles aussi, soumises à des rapports RES : louer des bureaux ou des locaux d’activité gourmands en énergie pèse négativement. En ce qui concerne INEA, l’entreprise est expertisée deux fois par an par la BNP et par la BPCE, qui demandent désormais des éléments portant sur la valeur verte ou la valeur verte des actifs ou, à l’inverse, sur leur "brown discount" ou pénalisation brune en raison d’une surconsommation. De plus, estime Karine Dachary, la transposition progressive de la Taxonomie Européenne, en obligations réelles pousse les banquiers à s’intéresser à ce thème. L‘acquisition d’actifs bruns ne devient pas non-finançable, mais il faudra augmenter la dépense (le capex) pour les remettre à un niveau de consommation d’énergie acceptable. Et, ajoute-elle, comme le bras armé de la finance prend désormais en compte un bonus green, en termes de gestions des risques sur son patrimoine, investir dans la vertitude est une bonne politique pour une foncière.
Source : batirama.com / Pascal Poggi