Le 2 juillet dernier, la FFB a rendu hommage aux centaines d’acteurs de la restauration de Notre-Dame dans ses locaux parisiens, tandis que sur le parvis de la cathédrale, une exposition photo les met à l’honneur.
Notre-Dame de Paris réouvrira bien le 8 décembre 2024. Le pari était fou ; il est en passe d’être réussi, grâce à des milliers de professionnels tous plus compétents et passionnés les uns que les autres, qui auront œuvré durant cinq ans sur l’immense chantier de restauration de la Cathédrale de Paris.
Les visages de près de 500 d’entre eux s’affichent jusqu’en janvier 2025 sur les palissades du chantier. L’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris a fait appel à un artisan de lumière, le célèbre Studio Harcourt, pour les mettre à l’honneur. Pris directement sur la base-vie du chantier, en noir et blanc, comme il se doit, ces portraits sont offerts à la vue des passants, au moment des Jeux olympiques et paralympiques. "Ainsi le plus grand nombre, public français et étranger, pourra percevoir l’engagement et la fierté de ces femmes et de ces hommes qui contribuent au relèvement de Notre-Dame de Paris, et aussi la diversité de leurs métiers et de leurs savoir-faire qui font honneur à la France", précise Philippe Jost, président de l’établissement public.
Photos de groupes ou individuelles, ces images immortalisent une partie de la grande famille de professionnels qui aura œuvré à la restitution du monument emblématique. © établissement public rebâtir ND
Un hommage rendu aux talents
La FFB a réuni des architectes et représentants de quelques-uns des 250 entreprises artisans d’art, pour la plupart spécialistes des monuments historiques, afin de dresser un rapide bilan de l’aventure et surtout pour recueillir les sensations de quelques acteurs.
Tous sont unanimes : de cette période exceptionnelle de leur vie, ils garderont avant tout en mémoire “l’esprit Notre-Dame” qui a fait de ces milliers de personnalités diverses une grande famille, qui a su se parler et œuvrer de concert, unie par la fierté de mener une mission pour un intérêt qui les dépasse.
Une poignée des femmes et des hommes qui ont oeuvré avec enthousiasme et fierté à la renaissance de Notre-Dame, était réunie dans les locaux parisiens de la FFB le 2 juillet dernier. © EJH
Des témoignages forts
Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques en charge de la cathédrale, n’a jamais douté d’une reconstruction en cinq ans, une fois le programme rapidement mis en œuvre. Son plus gros défi était d’abord la dépollution et la sécurisation, très délicates, qui ont demandé deux ans. Saluant la modestie, la folie, la joie, la fraternité ressenties tout au long de l’opération, il estime : "c’est la plus belle aventure humaine que j’aie vécue dans un contexte dramatique. Le projet a fédéré tout le monde, sans esprit de concurrence."
De son côté, le président du GMH (Groupement des entreprises de restauration de Monuments Historiques), Thomas George, a rappelé qu’avec 250 entreprises spécialisées, 10 000 salariés et apprentis, 12 métiers différents, le vivier de compétences était bien là. Sans compter les compétences des entreprises “satellites” qui ont fourni la pierre, le bois, le plomb et toutes les ressources nécessaires. "Le choix de l‘allotissement était nécessaire pour que des entreprises de partout en France, pour la plupart de moins de 50 salariés, puissent unir leurs forces et répondre à l’enjeu." Il rend hommage à l’établissement public et aux maîtres d’œuvre qui ont parfaitement géré la répartition des tâches et la coordination.
Maçons et tailleurs de pierre travaillent dans un espace de plus en plus réduit, entre les cintres et le tabouret de la flèche. © établissement public rebâtir ND
Consolidation et reconstruction des voûtes
Adrien Willeme (entreprise Lefèvre -Gennevilliers) : appareilleur en chef, le tailleur de pierre évoque le travail réalisé sur la voûte de la croisée des transepts, totalement effondrée : "Il a fallu retrouver avec l’architecte la façon dont elle était dessinée et appareillée, dresser les épures, réaliser les dessins, concevoir et dimensionner. Il restait suffisamment de documents pour reproduire à l’identique. L’échelle du projet, les délais à tenir, la coordination très précise des entreprises : là était le challenge. Les pierres ont été taillées à l’atelier ; puis nous avons d’abord posé la croisée, qui est l’ossature dans laquelle sont ensuite montées les voûtes. Le montage a été assez rapide, mais le démontage des coffrages était une phase très impressionnante." Il gardera un souvenir émerveillé par l’ambiance et le respect qui régnaient sur ce chantier extraordinaire.
Les décors de pierre sont le rayon de Pascal Larsonneur, chef sculpteur l’atelier Bouvier, qui a surtout œuvré sur les gargouilles du chemin de ronde, de style médiéval. Il a été marqué par la “loge” aménagée pour que tous les sculpteurs travaillent ensemble. "Nous avions besoin d’échanger beaucoup. D’abord sur la documentation, puis sur la reconstruction à partir des éléments retrouvés. Nous avons taillé des modèles grandeur nature avant de réaliser les pièces définitives dans des pierres fournies par les tailleurs de pierre, qui devaient être d’une parfaite homogénéité pour être fiables à la sculpture. Techniquement le 19ème siècle est assez complexe par la rigueur du dessin et de la structure de l’ornementation. Il faut donc être imprégné de ce style." Certaines sculptures, dont les documents ne donnaient pas tous les détails, ont été en partie imaginées par les artisans.
Pierre Larsonneur souligne le nombre de jeunes talents qui ont rejoint la corporation, "une mine d’or pour les années à venir !"
Le travail de la pierre personnalisé par Adrien Willeme, au centre, pour les voûtes et par Pascal Larsonneur, à droite, pour les sculptures de pierre. © EJH
Ajustement de dernière minute. © établissement public rebâtir ND
Les charpentes, une histoire de savoir-faire
Rémi Fromont, architecte en chef des monuments historiques en charge des charpentes, évoque les relevés à la main des charpentes médiévales réalisés en 2013 et 2014 avec un confrère, qui se sont révélés très utiles pour reconstituer les ouvrages avec fidélité : "Pas une pièce n’est identique car la géométrie sur laquelle la charpente repose n’est pas droite. Derrière l’apparente homogénéité des charpentes, connaître leurs infimes variantes infimes a permis de les restituer dans leur état du 13ème siècle à peu de choses près."
L’équarrissage manuel a été retenu pour reproduire au mieux les bois de la nef et du chœur, très fins et élancés : "Pour ne pas que les charpentes se déforment, car on travaille du bois vert, il fallait absolument avoir le cœur au centre de la pièce. L’équarrissage manuel permet de suivre avec beaucoup plus de sensibilité les légères déformations du cœur. Ce sont autour de 2500 arbres qui ont été utilisés en tout. Ils ont été choisis très rigoureusement car les bois des 13 et 19ème siècles étaient de très belle qualité."
Il salue le travail et le savoir-faire des forestiers pour conduire la forêt en futaies régulières, qui a permis de prélever des arbres exceptionnels, quasiment sans nœuds et avec des fibres d’une parfaite rectitude. Et la compétence des charpentiers, évoquant des belles rencontres humaines.
Jean-Louis Bidet, directeur technique des projets aux ateliers Perrault qui ont collaboré avec les ateliers Desmonts, a précisé que les haches utilisées ont fait l’objet de recherches. "Plus de 60 haches de deux types ont été réalisées par les taillandiers pour tailler au plus près et reproduire les marques de l’époque. Le bois va jouer mais avec les bonnes pièces choisies et des assemblages bien ajustés, avec des chevilles en chêne, les charpentes ne poseront pas de problème dans 10 ans, quand elles auront séché."
Les bois de la flèche étaient la partie de Patrick Jouenne, maître charpentier et “gâcheur” (c’est-à-dire responsable de projet) chez Le Bras Frères (Meurthe et Moselle) dans le cadre du groupement Le Bras, Cruard, MDB et Asselin. Littéralement habité par cette tragédie, il a été dès le jour de l’incendie persuadé qu’il œuvrerait à la reconstruction. Il a donc sans hésiter changé le cours de sa vie professionnelle en redevenant salarié, dans une entreprise qu’il ne connaissait pas, pour travailler à la charpente de la flèche !
Il se souvient du défi technique que représentait cet ouvrage très haut et composé d’un énorme volume de bois : "Il repose sur les 4 pieds du “tabouret”, élément essentiel car il porte 80 % de la flèche. Les pièces de bois sont très importantes, en section et en longueur. Nous avons travaillé sur les plans de 1858 de Viollet-Le-Duc, en collaboration avec les tailleurs de pierre, l’architecte et un bureau d’étude qui a calculé tous les assemblages pour que la charpente s’ajuste au plus près. C’était un chantier très complexe, j’ai dessiné 80 épures différentes, mais surtout il était hors norme. Et si le travail en atelier n’a pas posé de problème majeur, la principale interrogation portait sur la météo au moment de l’installation sur site."
De gauche à droite : Rémi Fromont, Jean-louis Bidet et Patrick Jouenne. © EJH
Levage à blanc manuel d’une des charpentes de la forêt aux Ateliers Desmonts. © EJH
Couverture : à l’épreuve du coulage du plomb
Julien Soccard, couvreur et directeur d’activité UTB (groupement avec Bourgeois Patrimoine, Vinci Construction, Groupe Balas, Coanus) explique comment l’absence totale de vestiges de la couverture a obligé à relever de nombreux défis. "Nous avons heureusement été largement aidés par les nombreuses photos des ornements. La maîtrise d’oeuvre a très bien monté le dossier et les documents de Viollet-Le-Duc sur la partie du 19ème siècle ont permis de reconstituer les assemblages à l’identique. Le scan 3D ne suffit pas à décrire totalement les sculptures ; c’est là que l’Homme intervient en dessinant à la main."
Il rappelle les caractéristiques du plomb, matériau aux propriétés formidables pour les couvreurs, les ornemanistes et les vitraillistes, et recyclable à l’infini avec peu d’énergie. "Le choix du coulage plutôt que de l’estampage habituellement pratiqué, permet d’assurer la pérennité de certains ouvrages ornementaux qui sont très lourds. Le poids affaiblit les décors. Le défi technique a été de se rapprocher du monde de la fonderie d’art, qui utilise la technique du coulage à la cire perdue. Le plomb a un point de fusion très bas et il n’était pas évident de réussir une coulée sur des pièces d’une telle envergure. Donc nous avons appris énormément."
Les couvreurs ont organisé l’ensemble des préfabrications hors site, à partir de gabarits en chêne fournis par les charpentiers pour les parties les plus complexes à estamper. "Nous avons ainsi gagné presqu’un an sur tous les temps de mise au point et tout colle parfaitement !"
Lui aussi insiste sur les vocations suscitées par le chantier : "Il y a eu beaucoup de demandes de partout. Certains jeunes ont été intégrés en apprentissage dans les équipes, et de nombreux Compagnons du Tour de France nous ont contactés."
Fin de la pose des tables et ornements de plomb. © établissement public rebâtir ND
Pose des derniers éléments de couverture de la flèche : une activité qui peut donner le vertige ! © établissement public rebâtir ND
Vitraux et peintures murales : de l'individu à l'équipe
Flavie Serrières, maître verrier, présidente de la manufacture Vincent Petit à Troyes explique le travail réalisé sur les baies hautes du chœur, des vitraux du 19 ème et du 20ème, ce qui est très récent pour les vitraillistes.
"Travailler tous ensemble à la dépose, au constat d’état et au reconditionnement a été très réconfortant. Nous avons établi un protocole pour harmoniser le travail de chacun, qui a ses propres habitudes de nettoyage. Durant deux ans, ce chantier au demeurant assez peu technique, a été l’occasion de découvrir le regard de l’époque : nous avons cherché à comprendre comment Viollet-Le-Duc avait mis dix ans pour raisonner son programme iconographique, pour rétablir la vibration colorée et accompagner l’architecture. Nous avons étudié les techniques de peinture employées par Maréchal pour rendre dans ses vitraux le scintillement des vitraux anciens."
Même passion chez Anne-Laure Plottard, de l’entreprise ARCOA, qui a travaillé en groupement sur les peintures murales des chapelles du chœur côté nord du déambulatoire et sur les clés de voûte. Au nettoyage d’abord : "Certaines chapelles, jamais restaurées, étaient très encrassées, les couleurs ne se voyaient plus. Les voûtes avaient subi beaucoup d‘infiltrations avec des sels et de la poussière de plomb." À la reproduction des décors ensuite : "essentiellement des motifs géométriques et des feuillages pour les chapelles. Il a fallu comprendre les décors et les matériaux, faire des tests avant de mettre en place un protocole, qui devait être applicable à toutes les chapelles du chœur pour un traitement homogène, avec la difficulté de la façon dont réagissaient les matériaux, car ils subissaient de fortes variations de température et l’humidité dans les chapelles ouvertes."
Le chantier, très structuré, a permis de tenir les délais en travaillant en même temps que les autres corps d’état, une première pour la peintre, qui conclut : "On fait de beaux métiers, qui ont du sens pour nous et pour les gens."
Julien Soccard entre Flavie Serrières, à gauche, et Anne-Laure Plottard. © EJH
La sécurité incendie : assurer l’avenir
Alexandre Pernin, directeur adjoint des opérations de l’Établissement public, a travaillé avec les architectes les pompiers de Paris et d’autres experts pour trouver des pistes d’amélioration du système anti-incendie. "Nous avons simulé à peu près toutes les techniques existantes pour limiter les risques dans les combles, avec seulement du courant faible pour la détection, pour détecter un départ de feu le plus précocement possible, avec des caméras thermiques, de la détection par aspiration, un PC sécurité incendie fonctionnant 24h sur 24. Et d’autres actions pour améliorer les capacités d’action des pompiers, avec des colonnes sèches permettant d’amener l’eau dans les combles, la restauration du réseau d’alimentation d’eau du quartier pour avoir assez d’eau, et avec des sprinklers diffusant un brouillard d’eau pour cibler la zone et ne pas détremper tout. Les combles ont été compartimentés en trois volumes avec une structure coupe-feu métallique insérée dans la charpente pour limiter la propagation du feu."
Vocation : Monuments Historiques
Richard Boyer, co-président du GMH, souligne : "Tous ces passionnés ont su relever des défis techniques mais aussi redonner du sens à des métiers manuels et mis en évidences nos savoir-faire. Les métiers du patrimoine sont à la croisée des chemins entre l’innovation, intervenue à de nombreux niveaux dans ce chantier, et la tradition. Nous ne pouvons transmettre nos métiers que si nous avons la capacité à reproduire toutes ces techniques sur nos chantiers. Jusqu’à présent, c’est le cas. Si demain les crédits alloués au patrimoine devaient baisser, à moyen terme nous ne le serons peut-être plus. Il est fondamental de sanctuariser ces crédits pour permettre aux entreprises spécialisées de continuer à exercer leurs talents sur des chantiers."
Richard Boyer, à droite, et Philippe Jost au centre. © EJH
Cinq ans de sens et de beauté
La conclusion est revenue à Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame : "Tous partenaires pour réussir, nous nous écoutons, nous résolvons les difficultés qui apparaissent tous les jours pour avancer ensemble, car chacun a une part des solutions. Nous avons le sentiment d’avoir participé à une réussite collective. Nous avons vécu 5 ans de sens et de beauté." À l’intérieur du nouveau coq qui domine l’édifice, la longue liste des artisans de la reconstruction, témoigne de leur engagement indéfectible.
Ajustement sur site pour ces tailleurs de pierre qui fignolent avec amour ! © établissement public rebâtir ND
Source : batirama.com / Emmanuelle Jeanson