La filière bois va à l’école

Le changement climatique en cours provoque une incertitude à tous les étages d’une filière où les maillons humains disposent de vues et de certitudes spécialisées.

Pascal Triboulot est un ingénieur du bois, mais aussi un moteur du développement de l’école d’ingénieur ENSTIB à Épinal, l’instigateur des Défis du Bois, le sauveur du Forum Bois Construction en 2012. C’est aussi l’initiateur des Assises régionales de la forêt et du bois dans le Grand Est, en novembre 2021 à Remiremont. À l’époque, même l’intitulé fait désordre, car d’autres états généraux nationaux siègent à la même époque à Paris.

 

Pascal Triboulot, modérateur de la session inaugurale 1.1 dans le grand amphi de l'ENSTIB à Épinal, et honoré le lendemain au Centre Prouvé à Nancy. © Michel Laurent

 

 

 

 

 

La tête dans le sable de la bétonnière

L’intuition de Pascal Triboulot, c’est que la filière professionnelle du bois ne peut pas se mettre la tête dans le sable face à une profonde évolution sociétale qui change la perception de la forêt. Depuis, régulièrement, des émissions de grands médias nationaux assènent à cette filière des coups de boutoir face auxquels le monde de la forêt et du bois ne sait comment réagir.

 

Jean-François Dhôte, INRAE, oracle de la filière bois avec Meriem Forunier, également INRAE. © Michel Laurent

 

 

 

 

 

Le dialogue difficile entre l’amont et l’aval

Pascal Triboulot a fait l’objet de l’hommage du Forum le soir du jeudi 4 avril. Il modère, dans le grand amphi de l’Enstib d’Épinal qu’il connaît si bien, une session préliminaire, le matin du 3 avril, consacrée à « La ressource forestière face au changement climatique ». Il est entêté, car l’an passé au Congrès de Lille, une session inaugurale de ce type n’avait pas trouvé son public. Entre temps, il a organisé une seconde édition des États Généraux de la forêt et du bois dans le Grand Est, au Centre Prouvé de Nancy, en novembre 2023. Une nouvelle fois, comme l’indique en session 1.1 le rapporteur Jean-Pierre Renaud, cette manifestation n’attire qu’insuffisamment les professionnels de la filière.

 

Le grand amphi de l'ENSTIB accueillait les sessions inaugurales du Forum Bois Constrution pour la première fois. © Michel Laurent

 

 

 

 

L’ouverture du bois local

Pourtant, chez les architectes et comme le révèle la 13e édition du Forum, le bois local est tout aussi d’actualité que la et le réemploi. L’âge pionnier d’il y a dix ans, quand il fallait ruser avec la loi pour permettre une utilisation locale de gisements forestiers, a laissé la place à une sorte de routine, avec le plus souvent des excursions pédagogiques accompagnant la construction de bâtiments scolaires. Dans le cadre de la forêt d’exception de la forêt toute proche de Darney-la-Vôge on inaugure même l’étape suivante, qui est de produire avec la forêt des installations qui permettent aux écoles de venir y séjourner.

 

L'IGN (ici Benjamin Piton) reflète les préoccupations du Département santé forêt quant à l'état de la ressource. © Michel Laurent

 

 

 

 

 

L’humilité est de mise

De fait, même si la compréhension entre les différentes étapes de la transformation du bois est difficile, le front n’est pas figé. Le directeur commercial de l’ONF, Aymeric Albert, a refusé de venir témoigner au Congrès de Lille ce qu’il avait martelé à la conférence internationale des feuillus à Lyon, et à l’AG de la FNB, fin 2022. Il estimait ne pas pouvoir tenir à des architectes le même discours qu’à des scieurs, et il avait sans doute raison. En avril 2023, à Lille, ses propos alarmistes auraient coïncidé avec leur remise en cause.

Car Aymeric Albert estimait fin 2022, après le terrible été 2022, qu’il allait falloir observer de près le comportement des chênes et des hêtres au printemps 2023, redoutant le pire. Comme il le concède dans l’amphi de l’Enstib, il ne s’est finalement rien passé. Par ailleurs, le taux d’interventions sanitaires de l’ONF, qui était monté de 10 à 40 % de 2017 à 2021, est redescendu à 25 %.

Ces évolutions troublent moins un professionnel de la forêt comme Aymeric Albert lui-même que des acteurs de l’aval qui voient déjà le territoire français se transformer en steppe aride. Quant au quidam urbain, il suffit de lui dire que la forêt française a diminué de moitié sa capacité de stockage de carbone pour qu’il grimpe aux arbres d’alignement afin d’empêcher qu’on les élague. D’où en quelque sorte la tribune ou mise au point publiée par Meriem Fournier dans l’hebdomadaire Le Point fin 2023.

 

 

 

 

 

La forêt 7 ans après 2017

La session inaugurale d’Épinal, orchestrée par Pascal Triboulot, aligne des interventions précises de dix minutes, couronnées par une table ronde également strictement encadrée, et pour une fois, il n’en sort pas la langue de bois habituelle. Il semble y avoir, pour la forêt française, un avant et après 2017. L’accroissement naturel est désormais davantage impacté par la récolte annuelle, ce qui a poussé des parlementaires à déposer un projet de loi visant à réduire cette récolte pour protéger la forêt.

Nous avons quitté l’époque où l’on pensait que la forêt française allait continuer à grandir toute seule pour nous réserver un bon coussin de carbone en épongeant nos derniers résidus d’émissions humaine à l’horizon de 2050. D’ailleurs, qui estime encore aujourd’hui que la neutralité carbone visée pour dans 25 ans n’est pas une blague ?

 

 

 

 

 

La forêt telle qu’elle est

Cependant, comme le rappelle Aymeric Albert, les arbres disposent de possibilités d’adaptation génétique, les prévisions doivent être faites avec beaucoup d’humilité. Christian Couturier de Solagro estime que les prélèvements forestiers ne vont pas croître, ce qui maintient la forêt métropolitaine française dans un certain équilibre, du moins si l’on se place sur le terrain de la demande humaine effective.

Petit à petit, la confrontation d’architectes, ingénieurs, spécialistes de forêts et chercheurs débouche sur une nouvelle compréhension de la situation de la ressource.

 


Source : batirama.com / Jonas Tophoven © Michel Laurent

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