A l’opposé du "hors-site", la "frugalité", autre maître-mot de la construction actuelle, veut se concentrer sur la réhabilitation plutôt que sur le neuf. Dans quelle mesure les réhabilitations sont-elles frugales ?
Comme on sait, la RE2020 n’est pas applicable pour des opérations de rénovations, sauf dépôt d’un nouveau permis de construire qui s’impose souvent quand les opérations sont lourdes. Mais si une opération de réhabilitation doit finalement répondre aux critères de la réglementation environnementale, celle-ci n’a pas été pensée pour limiter les émissions de carbone liées à la déconstruction, et ce n’est pas non plus le cas avec la méthode de calcul E+C-.
Pourtant, si la frugalité ne jure que par les interventions sur l’existant, il va falloir développer une approche spécifique, pas forcément réglementaire, mais qui peut servir d’aide à la décision. C’est d’autant plus utile que ce type d’opérations fait intervenir toute la maîtrise d’œuvre, le BE structure, l’acoustique, la protection contre l’incendie. Sans oublier les entreprises de construction.
Dominique Gauzin-Müller, modératrice de l'atelier A2. © Michel Laurent
La Frugalité au Forum
Dans le cadre de l’atelier A2 du dernier Forum Bois Construction, à Nancy en avril 2024, l’intitulé prenait acte de cette évolution probable : "Vers la réhabilitation frugale". Le terme de réhabilitation a remplacé celui de rénovation, la modératrice Dominique Gauzin-Müller expliquant que ce terme correspond mieux au mouvement pour lequel le Forum libérait pour la troisième fois consécutive une plateforme, en attendant la troisième Rencontre de la Frugalité, précisément à Nancy, début octobre 2024.
Atelier des Vergers prône la réhabilitation participative. © Atelier des Vergers
Après avoir honoré la modératrice à Nancy en 2022 et ménagé à Lille en 2023 une trop courte intervention à l’ingénieur Alain Bornarel (composant du trio à la base du manifeste de la frugalité que le monde entier est en train de cosigner) l’occasion se présentait d’inviter la star Philippe Madec. D’autant que l’opération de rénovation de la médiathèque Baldwin et de la maison des réfugiés, dans le 19e à Paris, était livrable. En fin de compte, l’architecte a réservé cette présentation pour une autre occasion. La réhabilitation-extension d’un château dans le Bordelais ne répondait pas forcément mieux à la problématique de frugalité, mais elle seyait avec le Forum par son extraordinaire déploiement de structures en bois massif.
Une exigence de moyens
Philippe Madec énonce d’emblée ses principes : "On a fait cette réhabilitation en allant jusqu'au bout de l'histoire, en utilisant le minimum de ciment Portland et en utilisant surtout tous les matériaux biosourcés géosourcés de réemploi issus de la ressource locale, que du bois brut, de la pierre massive, de la terre crue, de la ventilation naturelle par des puits canadiens". Ce qui veut dire, implicitement, que Philippe Madec énonce, au moins pour lui-même, des règles de moyens. Quant à l’objectif, il est précisé dans le cadre de la table ronde finale : l’architecture n’est pas de la construction, mais l’association de matériaux stables et de matériaux fluides comme l’air et la lumière. Il s’agir de créer du bonheur.
À Strasbourg, les architectes dispose d'une ENSA rénovée à la mesure de leur métier et de leur excellence. © COSA, RHB Architectes
Après cette entrée en matière, l’intervention de Vincent Danière d’Ateliers des Verger Architectes prenait des allures d’humilité, alors que l’agence bénéficie d’une aura équivalente. De fait, l’opération de réhabilitation proposée dans l’appel à projets est réduite en termes de périmètre et le coût : agrandir la cantine d’une école. Mais cet exemple complète parfaitement la réflexion sur la frugalité de la réhabilitation, en apportant deux éléments nouveaux.
Programmation et participation
Premièrement, Vincent Danière souligne que la programmation des opérations de réhabilitation est souvent floue et mal conçue, qu’il faut donc aller au-delà. Et pour ce faire, il est logique d’adopter une démarche participative, qui permet justement, par le contact prolongé avec les utilisateurs, de faire ressortir les vrais besoins. Dans le cas de l’extension-réhabilitation de l’école d’Unieux, l’agence recompose la cour d’école au-delà du programme, et adapte l’extension de la cantine à des usages péri-scolaires.
La réhabilitation du garage de la rue Parmentier, sans doute un modèle frugal. © Louis Tequi Architecte
Quand il s’agit de réhabiliter l’INSA de Strasbourg, l’école d’architecture des cracks qui sont passés par math sup math spé, le participatif est compliqué. Le site est lui-même plein d’architecture, et d’architectes. Les agences COSA, Paris, et RHB Architectes, local, s’y sont risquées il y a déjà une dizaine d’années, à une époque où on ne parlait ni de la RE2020, ni de la frugalité et encore moins des émissions carbone de la réhabilitation. Une fois de plus, le travail de réhabilitation fait la part belle au bois qui manquait sur le site, au point de concevoir l’extension comme un gigantesque kapla.
La construction bois n’est pas un kapla
Les architectes ont toutefois le courage de dire que si c’était à refaire, dix ans plus tard, cette approche kapla évoluerait car le bois en grandes dimensions de se comporte pas du tout comme un kapla. Créer des étages avec d’immenses parois en BLC ne correspond ni à une optimisation de la matière, ni à une simplification du montage. Et pourtant, les espaces créés pour le travail des jeunes architectes semblent parfait et il a de quoi faire pâlir toutes les ENSA parisiennes.
Contribution finale de Julien Rouby de RHB Architectes au débat, après une entrée en matière de Benjamin Colboc de COSA citant l’architecte Viollet-le-Duc définissant la réhabilitation : "restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui ne peut n'avoir jamais existé à un moment donné". "La frugalité, c'est peut-être que ces bâtiments qu'on construit aujourd'hui, on les retrouve peut-être dans 100 ans."
Rue Parmentier, un modèle
Avec la transformation d’un parking-silo parisien en logements par l’agence Louis Téqui avec Wewood, on entre dans le dur du sujet. De l’atelier. Le concours portait sur une démolition-reconstruction, le projet lauréat s’est imposé à cause de son habileté à ne déconstruire que les rampes d’accès, mais surtout par sa capacité à résoudre l’équation économique, en profitant d’un immeuble moderne mitoyen pour surélever en bois-acier de plusieurs étages. Louis Téqui ne théorise pas trop, tant la transformation de l’immeuble de rue Parmentier est en elle-même un modèle de cette évolution vers la réhabilitation frugale.
Pas de réhabilitation frugale sans réhabilitateurs frugaux
La présence voulue mais inattendue de Guillaume Desmarets de Wewood étend la question de cet atelier à de toutes nouvelles dimensions concrètes. Car Bouygues est désormais en mesure de faire intervenir pour ces chantiers une petite poignée de compagnons pluridisciplinaires, capable de manier le béton puis l’acier et le bois. Ce qui est vital pour gérer un chantier en plein Paris sans espace de stockage, où tout doit se faire dans la foulée. Ainsi, la structure économique du parking ne permettait pas de supporter la surélévation, il a donc fallu créer des poteaux supplémentaires en béton pour la descente de charge, et disposer de compagnons sachant passer d’un matériau à l’autre. Guillaume Desmarets précise que ses compagnons, bien que formés avec l’aide des compagnons charpentiers dans le cadre de l’Académie WeWood, ne sont pas des charpentiers mais des monteurs.
La réhabilitation frugale ne s’arrête donc pas à la maîtrise d’œuvre. Si l’avenir de l’architecture est l’intervention humble et mesurée sur l’existant, l’avenir des entreprises de construction est sans doute une qualification polyvalente et bien rétribuée. Etre payé plus pour intervenir moins et mieux.
Source : batirama.com / Jonas Tophoven © Nicolas Girod