Les architectes de la frugalité confrontent leurs besoins de préfabrication à ceux de la réduction des émissions de carbone par recours au produit locaux.
Dans le domaine de la construction, deux idéologies s’affrontent en ce moment au niveau planétaire :
– la première déplore la gabegie des chantiers et espère qu’une réorganisation industrielle permettra d’élever la qualité des constructions en baissant les prix (et en récupérant au passage la valeur ajoutée en amont) ;
– La seconde ne jure que par la réduction de l’empreinte carbone : produits en circuit court, bio ou géosourcés, réemploi.
Hors-site ou biosourcé ?
Face au PACTE bois-biosourcé développé par FiBois, et qui vise à entraîner les donneurs d’ordre vers le recours au bois et aux produits biosourcés, la nouvelle association hors-site propose une charte et des objectifs visant à massifier le recours à cette approche qui semble vouloir aller au-delà de la préfabrication proprement dite.
Préau du centre de formation à Montargis conçu par l'agence Vivarchi. © Vivarchi
Les architectes sont confrontés aux deux tendances qui se croisent sur les chantiers concrets. Circuit court et préfabrication ne s’opposent pas forcément, le hors-site est aussi largement biosourcé et la perspective du réemploi infini est également alimentée par l’approche industrielle.
Un atelier politique
Craignant que le mouvement du hors-site ne détourne le marché de la direction biosourcée au profit notamment du béton préfabriqué, FIBois avait programmé chez les sénateurs du Palais du Luxembourg, dès novembre 2023, un colloque pour remettre les points sur les i. Dans la foulée, il était question d’inviter des élus au Forum Bois Construction de Nancy, pour leur montrer, entre autres, les progrès de la préfabrication des systèmes de construction biosourcés : préfabrication des caissons de paille, mais aussi de l’enduit avec Paille-Tech, évolution vers la paille hachée et notamment la préfabrication des panneaux de béton de chanvre eux-mêmes pré-enduits.
Chantier Paille à Mandres, préfabrication chez Sertelet. © Sertelet
À la différence de l’atelier dédié d’avril 2022 à Nancy, la situation a bien évolué sur le marché. L’isolant Gramitherm devient une banalité, les systèmes de préfabrication des caissons de paille se multiplient, la paille hachée dispose de références et les panneaux de béton de chanvre de Wall Up Préfa s’intègrent même à des projets architecturaux de qualité.
Soutenir le marché biosourcé tel qu’il est
Cependant, l’atelier B2 programmé en prime time sur le sujet du hors-site biosourcé ne pouvait pas faire l’impasse sur la situation particulière du Grand Est où le bois paille est surtout émergent, ni laisser de côté le chantier de construction d’un centre de formation en bois-paille sur le site historique de la Maison Feuillette à Montargis.
De sorte que l’atelier, malgré son titre, est devenu hybride. Et pourtant, tous les intervenants se sont interrogés sur ce thème de la préfabrication et du hors-site, permettant à cet atelier modéré par Sarah Laroussi du CNDB de développer une réflexion continue qu’il faut mettre en regard de l’atelier hors-site modulaire programmé le lendemain sous la modération de Pascal Chazal.
La paille hors-site par essence
Comme le rappelle l’architecte Yannick Champain de Vivarchi, l’ingénieur Feuillette concevait déjà il y a cent ans l’approche de préfabrication dont témoigne un hangar que le projet de centre de formation va reconstituer. Le hors-site, la modularité et le réemploi ne sont pas l’apanage des matériaux biosourcés, comme en témoignent des bâtiments industriels en palplanches récupérés pour le centre. Pour le Charpente Cénomane, le levage de ce chantier pose moins de problème qu’une prescription initiale portant sur des MOB en peuplier, un peu comme à Lille, alors qu’il s’avère impossible de trouver les sciages aux bonnes sections et avec la bonne siccité. Façon de donner un point à l’approche Chazal, car une préfabrication en cache finalement d’autres.
Le caisson de paille en toiture, allez-y !
Dans l’Est, le charpentier Sertelet manie le bois-paille de longue date et pour lui, pas de paille en bottes sur les chantiers : tout doit arriver en caissons fermés afin de protéger la paille de l’eau et limiter des risques d’incendie. Par ailleurs, les caissons fermés et leur épaisseur de 37 cm cadrent bien une préfabrication de la toiture sur charpente en BLC de même section. Comme y encourage en fin d’atelier l’architecte Julie Herrgott, la toiture en caisson de paille est une bonne solution de préfabrication, sans doute la grande révolution constructive actuelle, à condition d’éviter toute infiltration d’eau pendant et après le chantier. On a même l’impression que l’orientation de préfabrication des caissons de toiture en bois-paille va être le ressort principal du développement de la construction paille : si on fait le caisson de toiture, pourquoi ne pas faire les murs ?
Préfabrication ou sourcing local ?
Le projet présenté par Archi 4, près de Metz, apporte une sorte de démenti. Les architectes souhaitaient le présenter au Forum, malgré une dimension technique assez simple, afin de soutenir le développement de la construction paille en Moselle où Archi 4 est l’un des principaux prescripteurs. Par ailleurs, la région dispose d’un excellent fournisseur de paille, poussant le projet à choisir une préfabrication des caissons servie par un spécialiste plus ou moins local, Martin charpentes, de Toul, et un remplissage sur site évitant des émissions de transport.
La paille hachée n’a pas d’odeur
Pour l’ITE du Crous de Poitiers, la paille hachée venait des Pays-Bas. De la même manière, ce n’est qu’une question de timing, l’approche Ielo ayant besoin d’une Atex de cas A tout en créant un site de production dans la Vienne. Ielo préconise la dissociation du contenant et du contenu, mais qui sait, comme dans le cas de la ouate de cellulose, il est tout à fait envisageable de procéder à l’insufflation en atelier.
L’intégration industrielle par mutualisation
Potentiellement, un site de hachage peut engendrer un site de préfabrication d’éléments en bois, soit par intégration verticale, soit par mutualisation, comme on le rencontre avec l’aventure de Wall Up Préfa à Aulnoy (77). Trois charpentiers livrent les constructions parfois très complexes de sous-faces et l’application du béton de chanvre se fait au plus près de la chanvrière.
Pour le chantier de Paray-le-Monial, le directeur général Arthur Cordelier a utilisé du Douglas pour la première fois, afin de répondre à la prescription locale tout en étant largement déporté. Il calcule : un camion de sciages venant de Bourgogne, puis une petite dizaine de camions transportant les panneaux Wall Up Préfa vers le site de Paray-le-Monial, en attendant qu’une autre chanvrière plus proche daigne consacrer une partie de son chanvre précieux à la modeste cause du bâtiment biosourcé.
L’impact carbone du transport est négligeable, vraiment ?
L’avis est partagé que finalement, les transports n’impactent que faiblement le bilan carbone des opérations. En fait, on se base sur des FDES qui intègrent dans leurs calculs de longues distances moyennes, et le coût carbone réel du transport est largement balayé sous le tapis en France, justement pour justifier la préfabrication biosourcée.
L’atelier B2 a posé les jalons d’une réflexion pragmatique sur les limites de la préfabrication face au local, et l’inverse. L’attention aux ressources locales, que cartographie le mouvement de la frugalité dans le prolongement de l’initiative lorraine de Studiolada, est une question de bon sens et, au-delà des barèmes, l’architecte doit, comme le préconise d’ailleurs Christophe Aubertin, justifier ses choix en tenant compte à la fois des possibilités locales et des nécessités multiples de préfabrication.
Saturer Aulnoy
Ce débat cornélien perdra son sens si, comme la paille et souvent le sciage, la disponibilité de paille hachée ou de béton de chanvre sera partout de proximité. Actuellement, Wall Up Préfa livre entre autres un beau chantier de 66 logements par l’agence RAM DAM à Nantes. Arthur Cordelier n’y peut rien si Nantes pousse le béton de chanvre notamment en circuit court, alors que de fait, l’agglomération parisienne a du mal à intégrer massivement les panneaux WUP produits à leur porte.
Source : batirama.com / Jonas Tophoven © DLW