Pourquoi le chantier de l'autoroute A69 fait-il autant grincer des dents ?

Ce dimanche 25 août, des affrontements ont de nouveau eu lieu entre des opposants à la construction de l'autoroute A69 et les forces de l'ordre. Pourquoi ce chantier provoque t-il autant de remous ?

Ça swingue autour du chantier de l'A69, l’autoroute de 53 km devant relier Toulouse à Castres, dans le Tarn : agressions, incendies, affrontements … Le climat n'en finit plus de se tendre depuis quelques jours autour de la ZAD de la Cal’arbre à Saïx, dans le Tarn, épicentre de la contestation, où les agressions, incendies et jets de pierre deviennent quotidiens afin de freiner l’avancée des travaux et répondre à l’interpellation d’un zadiste, suspecté d’avoir participé à l’agression d’un vigile du concessionnaire. Et l’escalade risque fort de se poursuivre les prochains jours à l’approche de la journée décisive du 1er septembre. Retour sur un chantier qui n'en finit plus de susciter des polémiques.

 

 

 

 

 

Focus sur les derniers évènements

 

Une cinquantaine de gendarmes ont été déployés afin de mener, dimanche 25 août en fin d'après-midi, "une opération de maintien de l'ordre" sur un site occupé par les opposants. Ils ont été "confrontés à des tirs de mortiers, de jets de pierres catapultées et de cocktail Molotov de la part des opposants", selon un communiqué de la préfecture. © Le Figaro

 

 

 

Dans la nuit de samedi à dimanche, les opposants avaient "incendié un modulaire situé à proximité" d'un chantier de l'autoroute, à Saïx, et "agressé un salarié du concessionnaire", dimanche matin, tandis qu'"un véhicule de la police municipale a également été incendié", détaille la préfecture.

Mi-août, des opposants installés sur un terrain privé de Saïx avaient dénoncé des agressions à leur encontre, affirmant avoir "subi une tentative de meurtre et un incendie irresponsable". Élodie Buguel, la procureure de la République, a précisé à l'AFP qu'une "enquête est en cours pour des faits de dégradation par incendie".

Dans le communiqué de la ZAD (Zone À Défendre), les zadistes déclarent avoir été victimes de trois agresseurs ayant notamment menacé avec "un objet, vraisemblablement un couteau" un militant, avant d'asperger d'essence une deuxième personne, ainsi qu'une tente et un véhicule, et de "mettre le feu aux couchages". À ce stade de l'enquête, "sous réserve des éléments" que pourraient apporter les auditions en cours, "il n'a pas été fait état d'une agression au couteau", selon la procureure de la République. Alors que nombre d'élus locaux et régionaux soutiennent la construction de l'A69, des écologistes et des scientifiques dénoncent la destruction de zones humides, de terres agricoles, d'arbres, d'écosystèmes et de nappes phréatiques. Quelque 6 000 à 7 000 opposants (1 600 selon la préfecture) ont participé en juin à un rassemblement interdit, émaillé d'affrontements avec les forces de l'ordre.

 

 

 

 

 

Pourquoi la journée du 1er septembre devrait être décisive ?

Ce 1er septembre va marquer un tournant dans le calendrier du chantier. En effet, stoppée depuis le 31 mars comme le veut un arrêté d’autorisation environnementale, la coupe des arbres va reprendre. Une date marquée d'une pierre blanche dans le calendrier par les opposants, qui ont d'ores et déjà lancé un appel à la mobilisation sur leurs réseaux : "Il y a bientôt 5 mois, nous célébrions la survie partielle du bois de la Crem’Arbre grâce à l’action conjointe de leurs nombreux.ses occupant.es et des pressions quotidiennes depuis le sol. Aujourd’hui il est urgent de venir resserrer nos rangs à la veille de cette nouvelle période pour défendre les arbres de la Cal’Arbre, de la Crem’Arbre et du Verger ainsi que les autres arbres du tracé." Un rassemblement dont "le lieu sera communiqué ultérieurement afin d’affiner l’organisation" est prévu. Et un rendez-vous a été donné le mercredi 28 août à 18h30 à Saix, à quatre jours de cette date décisive.

Des vigiles d’Atosca, la société de concession spécialement dédiée à cette autoroute, sont tous les jours sur place afin de tenter de protéger tant bien que mal les structures du concessionnaire. La Crem’arbre, ancienne ZAD historique située à la Gascarié, est surveillée jour et nuit par un escadron de gendarmerie.

 

 

 

 

 

Les dates clefs de l'A69

– 2009-2010 : le projet fait l'objet d'un débat public organisé par la Commission nationale du débat public ;

– 2013-2014 : poursuite de la concertation engagée localement jusqu'à la décision du préfet de région actant le tracé le 31 juillet 2014 ;

– 2016-2017 : enquête préalable à la déclaration d'utilité publique (la commission d'enquête émet un avis favorable au sujet de l'utilité publique du projet) ;

– 2018 : déclaration d'utilité publique ;

– 2020 : appel public à candidatures pour la mise en concession de la conception, du financement, de la construction, de l'exploitation, de l'entretien et de la maintenance de l'A69 ;

– 2023 : début des travaux ;

– 2025 : fin des travaux.

 

 

 

 

 

 

L'objectif du chantier : désenclaver le sud du Tarn

Projet qualifié en 2019 de "priorité nationale" par le Gouvernement et dans les cartons depuis 1994, initialement sous la forme d'une nationale, il consistait à relier Toulouse (Haute-Garonne) à Castres (Tarn), à une soixantaine de kilomètres plus à l'est. Dans ce but, une autoroute (A69) de 53 kilomètres doit être créée en deux fois deux voies depuis Castres jusqu'à Verfeil, où elle y rejoindra alors une bretelle de 9 kilomètres, l'A680, passée en 4x2 voies au lieu de 2x2 voies, puis l'A68 (Toulouse-Albi). Concédée à la société Atosca, l'infrastructure doit traverser 17 communes dans le Tarn et 7 en Haute-Garonne.

 

L'objectif de l'A69 ? Désenclaver le sud du Tarn et dynamiser le bassin de population et d'emploi de Castres (ici, en photo) et de Mazamet. © Laure Pophillat

 

 

 

L'A69 réduirait d'une vingtaine de minutes les trajets entre Toulouse et Castres. Selon le député LR Nicolas Ray, dans les territoires ruraux et excentrés, la voiture "qui sera demain électrique, reste et restera une solution de mobilité incontournable".

 

Pour Nicolas Ray, ici en photo, s'opposer à l'A69 reviendrait "à condamner nos territoires à une déprise économique et à accroître encore la concentration de population dans les grandes métropoles (là où vivent les gens qui contestent le projet), au prix d'une urbanisation incompatible avec nos objectifs écologiques." © La Montagne

 

 

 

Si la chambre de commerce et d'industrie du Tarn apporte son soutien "constant et très ferme" au projet, d'autres montent au créneau. Ainsi, l'écologiste Christine Arrighi rappelle que les villes traversées par une autoroute, comme Foix, Tarbes et Carcassonne, présentent même des taux de pauvreté bien plus élevés que d'autres, telles que Rodez et Auch, une autoroute ne garantissant pas une baisse de la pauvreté.

Quant à l'adhésion ou pas des citoyens et de leurs élus au projet, les adversaires de l'infrastructure se font un malin plaisir de relayer un sondage de l'Ifop daté du 19 octobre 2023 selon lequel 61 % des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne souhaiteraient l'abandon de l'A69. Toutefois, une autre étude menée en mars de la même année par Odoxa pour la société autoroutière montrerait une adhésion pour 75 % des Tarnais ...

Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie, soutient le projet, tandis que Sébastien Vincini, le président du conseil départemental de la Haute-Garonne, appelle l'État à "réinterroger le projet".

 

 

 

 

 

L'A69 aura-t-elle réellement un impact environnemental néfaste ?

Le collectif La voie est libre, auteur d'une pétition contre le projet mise en ligne sur le site de l'Assemblée nationale en novembre 2023, reproche au chantier de procéder à l'artificialisation de plus de 366 hectares de terres agricoles et d'espaces naturels, une action responsable de dommages irréversibles, impossibles à compenser, comme la destruction de 11,7 hectares de bois abritant des arbres centenaires et de 22 hectares de zones humides.

Dans un avis rendu le 6 octobre 2022, l'Autorité environnementale soulignait elle-même cette "forte consommation de sols naturels et agricoles" et l'impact négatif de ces infrastructures sur la biodiversité : "ce projet routier initié il y a plusieurs décennies apparaît anachronique, au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de la pollution de l'air, d'arrêt de l'érosion de la biodiversité et de l'artificialisation du territoire et d'évolution des pratiques de mobilité et leurs liens avec l'aménagement des territoires. La justification de raisons impératives d'intérêt public majeur du projet au regard de ses incidences sur les milieux naturels apparaît limitée."

L'année suivante, sur le même mois, 1 500 scientifiques, dont la climatologue et membre du Giec Valérie Masson-Delmotte, signent une lettre ouverte appelant à renoncer à ce chantier dans le journal L'Obs.

De leur côté, les pro-A69 mettent en avant la promesse du concessionnaire de replanter cinq fois plus d'arbres que ceux qui ont été arrachés et de recréer des surfaces de zones humides plus vastes que celles qui seront touchées. Ou encore la demi-douzaine d'aires de covoiturage qui seraient construites, ainsi que des bornes de recharge pour les véhicules électriques, qui paieraient moins cher le péage, une véloroute et une voie verte de soixante kilomètres. En outre, des bus à hydrogène desserviraient les petites communes rurales avant de rejoindre l'autoroute pour faire le trajet entre Castres et Toulouse.

 

Le gouvernement est décidé à mener le chantier jusqu'à son terme. © Rémi Benoît / La Tribune

 

 

 

 

 

Fallait-il envisager un autre projet ?

"L'analyse des variantes ne considère que le mode routier sans exploration suffisante de solutions de substitution raisonnables moins carbonées et moins consommatrices d'espace", avait souligné l'Autorité environnementale. Faux, avaient répondu les défenseurs de l'A69, ayant envisagé :

– l'élargissement de la chaussée, devenu impossible en raison de l'accentuation de l'urbanisation au fil des années ;

– L'alternative ferroviaire est irréaliste, la ligne reliant Castres à Toulouse ne disposant que d'une seule voie de circulation et non électrifiée ;

– Le doublement chiffré à 1,1 milliard d'euros, de quoi faire fuir l'État.

 

De son côté, La voie est libre, soutenue par des scientifiques, avait présenté à l'Assemblée nationale un projet alternatif comprenant une véloroute et la modification de la voie ferrée ...

 

 

 

 

 

Sur le champ de bataille : bilan

À ce jour, tous les recours suspensifs, conduits à l'initiative d'une dizaine d'associations, dont France Nature Environnement, Attac et la Confédération paysanne, ont été épuisés.

Le chantier a aussi fait l'objet de deux mises en demeure par la préfecture du Tarn, dont une pour les mesures compensatoires concernant les zones humides. Martial Gerlinger, le président directeur général d'Atosca, assure que tout est fait pour limiter l'impact du chantier : "Après la visite des services de l’État, on a vu qu’une zone humide au niveau du viaduc de l’Agout avait été mésestimé. On a dû rajouter 147 mètres carrés de mesures compensatoires". Il rappelle que 55 0000 m2 de zones humides vont être "renaturés" et que deux carrières abandonnées situées à proximité du chantier ont été réhabilitées et renaturées à Cambounet-sur-le-Sor et Cuq-Toulza. L'autre mise en demeure portait sur le fait d'avoir négligé la présence de chiroptères dans une maison détruite. Pour compenser, trois nichoirs ont été installés, précise Martial Gerlinger.

Christophe Ramond, le président socialiste du Conseil départemental du Tarn, faisait le bilan au printemps, arguant que depuis le début du chantier, on recençait "200 agressions et dégradations" et "80 plaintes ont déjà été déposées", demandant à l’État d'interpeler au plus vite les "responsables de ces actes ignobles qui transforment le chantier de l’A69 en champ de bataille."

Selon Atosca, assurant que "le planning de livraison sera tenu", plus de 200 millions d'euros (sur 450 millions en tout) de travaux avaient déjà été réalisés à la fin février, 800 personnes travaillant déjà sur le chantier, contre 1 200 au printemps. Mille personnes supplémentaires sont prévues pour la pose des enrobés, prévue pour débuter à la fin de l'année.

 

 

To be continued ...

 


Source : batirama.com / Laure Pophillat

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