Après la brique compressée, la terre crue

L’arrêt de l’usine Cycle Up à Gennevilliers n’a pas sonné le glas de l’utilisation de la terre crue dans la construction climatique, et la terre se présente comme un complément idéal de la construction biosourcée.

En 15 ans, le congrès du Forum Bois Construction a évolué pour suivre les orientations des acteurs de la construction bois, dont il se veut le reflet. La paille est arrivée, puis le chanvre, puis la terre crue sous forme de briques de terre compressées ou d’enduit ou pisé, puis le réemploi et la pierre. Cette évolution est naturelle. Il y a quinze ans, les voyages du CNDB par Bettina Horsch, l’une des rares diplômée de biologie du bâtiment en France, emmenaient le fleuron des constructeurs bois en Suisse visiter des charpentiers près de Lucerne qui avaient pleinement intégré l’apport de la terre crue. D’ailleurs, lors de l’atelier dédié d’avril 2024 à Nancy, l’agence nancéenne Mil-lieux fait remonter à cette époque sa pratique de la terre crue, servie évidemment en France par Cra’terre.

 

 

 

L’enduit terre bute sur le manque d’expérience physique du confort

En France, les règles professionnelles de la paille se sont répandues en privilégiant une voie sèche et en faisant dans un premier temps une parenthèse sur l’apport des enduits en terre. Ce n’est qu’à présent que l’on trouve, pour des projets exceptionnels qui poussent les curseurs le plus loin possible, du la paille enduite sur de grands projets d’ERP, comme pour le pôle territorial de solidarités de Langon. Le développement de la paroi paille enduite hors-site a été porté par les Belges de Paille-Tech, venus à Nancy en 2024 pour présenter leur premier chantier français. Selon Julien Lefrancq, qui ne mise apparemment pas sur des formules de franchise, la maîtrise de ce procédé requiert quelques astuces, mais la principale difficulté rencontrée par Paille-Tech a été le développement commercial.

 

L'enduit terre crue sur paille, ici à Langon par Maître Chanvre, s'assimile à un travail d'aménagement intérieur. © Jonas Tophoven

 

 

 

L’enduit terre in-situ vaut mieux que sa réputation

À moins de parler du marché non négligeable de l’autoconstruction ou de celui de la construction avec auto-entrepreneurs, le marché de l’enduit terre reste balbutiant mais intéresse les acteurs industriels de l’enduit. Au sein de l’écoquartier de Trévoux, au nord de Lyon, l’école censée placer haut la barre carbone de la ZAC a été conçue vers 2022 par M’Cub avec de la paille enduite et suivant une comptabilité non labellisée E4C2 inédite. Malheureusement, pour des raisons de calendrier de travaux, l’enduit a été appliqué au mauvais moment et a fissuré. Il en est ainsi, la paille offre le support idéal pour l’enduit mais elle a besoin d’une hygrométrie adaptée et l’enduit terre a besoin de temps pour sécher.

Par contre, le chantier de Langon par Maître Chanvre montre à quel point l’application de la terre en enduit intérieur s’assimile à de la peinture tellement les buses sont propres.

 

Simon et Capucine ose le le biogéosourcé hors-site local. © Simon et Capucine

 

 

Terre du site et bois local

L’enduit terre conserve tous ses atouts sur site, et dispose d’un potentiel hors-site illustré par un chantier récent de l’agence Simon et Capucine dans les Hauts-de-France (avec le BE Ingébois), pour le centre technique de Wimille. C’est ce que l’atelier appelle le géobiosourcé hors-site local, puisque la structure est en peuplier lamellé-collé. Le hors-site permet de travailler en temps masqué mais les éléments sont lourds à transporter. Pour la terre crue, le schéma de pensée dominant distinguant entre le hors-site et le sur-site ne convient pas tout à fait puisque se pose de façon récurrente la question de l’emploi de la terre du site. Dans le cas de l’impressionnant projet Hortus par l’agence Herzog et De Meuron à Bâle, avec l’entreprise Blumer-Lehmann, c’est une usine foraine qui a été installé à côté du site pour fabriquer des planchers en bois à hourdis en terre. Il est vrai qu'une formule analogue est désormais proposée sur le marché, mais avec une terre crue adjuvantée de ciment à hauteur de 4 %.

 

Le pisé préfabriqué offre à la façade une épaisseur qui présente aussi de grands atouts architecturaux, exploités d'emblée par Déchelette Architecture. Croquis © Déchelette Architecture

 

 

 

Adjuvanter ?

Cette question de l’adjuvantation au ciment revient tout le temps dans le débat. À Gennevilliers, Cycle Terre s’était refusé à ces mélanges qui posent la question de l’utilisation future mais permettent d’avancer vers la portance. Cependant, Cycle Terre a disparu après avoir fournit un alibi à la seule construction parisienne des JO de Paris, l’Arena Adidas de la Porte de la Chapelle, parangon de la construction en béton "bas carbone".

À la médiathèque Baldwin du 19e arrondissement, l’architecte Philippe Madec a fait interrompre le chantier quand il a appris que du ciment avait été mélangé à la terre crue. Ce qui se justifie pleinement quand on sait que le chantre de la frugalité heureuse et créative a le courage de marquer tous ses recours au béton sur le plan architectural, au lieu de les masquer.

 

 

 

La terre crue source de richesse architecturale

Une zone de mixité va se créer avec des projets où l’apport d’un minimum de ciment permettra aux éléments en terre crue d’atteindre une portance nécessaire pour interagir avec la structure bois sur une certaine hauteur, notamment en constituant un noyau demandé pour l’évacuation des utilisateurs. Ce n’est pas pire que la mixité bois-béton "bas carbone" de plus en plus courante.

 

 


La terre crue au Grand Palais

Le Forum se concentre, notamment à Paris, sur des réalisations fortement biosourcées mais ses éditions précédentes ont fait largement la part de l’évolution vers la mixité pour les planchers ou les structures. Aussi, l’atelier dédié au Grand Palais à la terre crue explorera d’autres pistes servies par des réalisations architecturales actuelles de premier plan. D’une part, le recours à la façade en pisé préfabriqué expérimenté avec succès par Déchelette Architecture pour une maison d’artiste Passage Nollez dans le 18e, puis déployée de main de maître pour une façade à Boulogne-Billancourt d’une grande pureté. D’autre part, le travail de 360° Architecture au Nord de Toulouse, à Aucamville, pour concevoir le groupe scolaire Rosa Bonheur avec des briques extrudées non stabilisées pour l’inertie, associée à des plafonds voûtés pour la ventilation naturelle. Doté d’une démarche BDM niveau or, le projet d’Aucamville s’est déjà fait remarquer, tout comme le travail de Déchelette.

 

 


L’inertie répartie et ses limites

L’atelier "terre crue" du Forum n’en regroupe pas moins, grâce au travail exemplaire de quatre agences, quatre applications alternatives de la terre crue qui feront un peu oublier la brique compressée : le pisé préfabriqué, la brique extrudée non stabilisée, l’enduit in situ et l’enduit sur paille hors-site.

L’actualité architecturale nous livre ici un magnifique rebondissement face à une réalité économique difficile. L’arrêt de la filière de la brique de terre compressée industrielle et sans ciment est un scandale. Mais il faut se remémorer les conclusions d’Enertech lors de la construction de leurs bureaux E4C2 dans la Drôme : l’inertie apportée par la terre crue est notoirement moins importante que celle du béton. Malgré l’automatisation, l’écart de productivité et de prix entre la BTC et les autres produits maçonnés semble rédhibitoire, mais l’expérience de Cycle Terre est aussi un jalon à partir duquel une meilleure approche du marché peut se profiler.


Source : batirama.com / Jonas Tophoven © 360°

 

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