La décohabitation, première responsable de la demande de logement, et de loin !

Phénomène peu médiatisé, la décohabitation est pourtant à l’origine d’un besoin de 150 000 logements supplémentaires chaque année en France. Quels en sont les effets sur le parc de logement et la construction ?

Phénomène peu médiatisé, la décohabitation – c’est-à-dire la diminution du nombre de personnes par ménage – est pourtant à l’origine d’un besoin de 150 000 logements supplémentaires chaque année en France. Quels en sont les effets sur le parc de logement et la construction ? Batirama fait le point.

 

 

 

Plus de logements, moins d'habitants

Petit retour en arrière : en 1968, la France comptait 18,7 millions de logements pour 50 millions d’habitants. Un demi-siècle plus tard, le pays vit une de ses plus graves crises du logement alors que le parc a pourtant grandi bien plus rapidement (+ 104 %, 38,2 millions au total) que la population française (+ 37 %). Derrière ces statistiques se cache un phénomène lent et imperceptible : la décohabitation. Ou dit autrement, les logements se font de plus en plus nombreux avec moins d’habitants dedans.

La France chemine-t-elle vers un parc de logements avec des habitants de plus en plus seuls ? Cette tendance est constante depuis plus de soixante ans et se poursuit sans fléchir aujourd’hui : alors que nos foyers comportaient en moyenne un peu plus de trois personnes en 1968, ils en abritent plus que 2,17 en 2020.

Évolution de la taille des ménages en France. © INSEE et projection 2030 du laboratoire ESPI.

 

 

 

Un besoin de 150 000 logements par an, rien que pour la décohabitation

La décohabitation entraine mécaniquement une hausse de la demande de logements, jusqu’à représenter avec une large marge, le premier besoin en France. Selon les chiffres de l’étude publiée en mars 2023 par la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI), l’Hexagone a un besoin annuel au total de 447 298 logements par an sur la période 2024-2040 dont 152 283 dédié au seul phénomène de décohabitation, soit un tiers de la demande ! De son côté l’Unam (Union nationale des aménageurs), donne un chiffre encore plus élevé, avec 38 % des besoins liés au desserrement des ménages (soit 144 129 sur un besoin total annuel de 379 288 par an d’ici 2030).

À côté, l’augmentation de la population représente un besoin de seulement 96 716 nouveaux logements par an (chiffres de la FPI). Les autres facteurs sont les besoins liés :

– aux logements vides, 

– aux résidences secondaires

– à la rénovation,

– ainsi que le report de la demande (les logements prévus à la construction mais non-construits).

 

 

 

Les constructions peu adaptées à la demande

Étonnement, la décohabitation ne se traduit pas par une plus grande part des petits logements construits et vendus depuis vingt ans. Certes les studio (ou T1) sont de plus en plus privilégiés par les promoteurs mais la part de T2 et T3 reste très élevée et celle des T4 et plus est même en augmentation. Pourtant les ménages constitués d’une seule personne sont de très loin majoritaires en France et le seront encore plus dans les années à venir (voir graphique ci-dessous). Un des éléments d’explication résiderait dans une mauvaise adéquation entre les ordres donnés aux promoteurs et la réalité du marché.

 

Ventilation des ventes d’appartements par taille dans le logement collectif. © Enquête sur la commercialisation des logements neufs du SDES

 

 

Répartition des ménages par taille en 2020, 2030 et 2050. © Service de données et d’études statistiques, étude de 2024

 

 

"De nombreux maires et aménageurs demandent une part élevée de grands logements dans les programmes immobiliers mais cela ne correspond pas à la demande", ainsi que l'explique Matthieu Mayer, directeur général délégué d’Altarea Promotion. "Au plus fort de la crise, les promoteurs se sont ainsi retrouvés avec beaucoup de grands logements sur les bras car ces biens étaient déconnectés des besoins et budgets des Français. Aujourd’hui, après un long travail pédagogique, la majeure partie des élus ont bien compris qu’il fallait revoir leurs exigences pour que les logements correspondent aux aspirations et à la capacité financière des Français. Certains s’opposent encore à cette approche pragmatique mais nous ne désespérons pas de les convaincre !"

Ce constat est partagé par de nombreux promoteurs rapporte la Fédération des promoteurs immobiliers. "Il y a toujours ce fantasme de grandes familles chez les élus qui ne correspond absolument pas à la réalité. La volonté des promoteurs est de faire des logements adaptés", explique leur délégué général Didier Bellier-Ganière.

 

 


Trop d’appartements trop grands en France

L’arrivée de nouveaux appartements très grands sur le marché est d’autant plus questionnable que le parc de logements en France est particulièrement marqué par une forte sous-occupation. À l’échelle nationale, ce sont 23,4 % des logements qui accusent une "sous-occupation très accentuée", ce qui signifie qu’au moins trois chambres ou plus n’abritent personne. 

Le phénomène touche en premier lieu les campagnes mais n’épargne pas les grandes métropoles : 14 % à Lyon, 17,7 % à Bordeaux, 22,5 % à Lille ou encore 10,1 % à Paris, selon les données de l’Observatoire des territoires.

 

Le taux de sous-occupation très accentuée de résidences principales en France (c’est-à-dire un logement qui comporte au moins trois pièces supplémentaires par rapport à la norme d’occupation normale) des résidences principales en France en 2020. © Observatoire des territoires

 

 

Comment réorienter les foyers vers un logement adapté à leurs besoins ? Plusieurs organismes dépendants de l’État plaident pour des incitations fiscales : pour "éviter qu’il y ait des personnes seules qui vivent dans un grand logement, et les inciter à déménager, certains proposent de rendre la taxe foncière progressive en fonction du nombre de m2 occupés par personne", explique Didier Bellier-Ganière. Mais le dossier reste sensible. Et pour cause : comment pousser au déménagement des ménages qui ont bien souvent consacré leur plus gros investissement de vie. D’autant plus que les frais de notaires augmentent de 0,5 % en 2025…

 

 

 

Diviser les grands appartements, une pratique de plus en plus courante

En attendant de débarquer les grands-mères de leurs trop grands appartements, ces derniers sont de plus en plus nombreux à trouver une nouvelle vie en étant divisés en plusieurs lots. Ces petits logements sont particulièrement adaptés pour répondre à la demande des étudiants ou jeunes célibataires qui démarrent leur carrière.

 

Des travaux de rénovation et de division d’un appartement à Arcueil, dans la banlieue sud de Paris. © Roman Epitropakis

 

 

"Cette solution est de plus en plus sollicitée", témoigne David Serero, architecte et enseignant chercheur à Université Paris Cité. "Un nombre croissant d’entreprises spécialisées dans la rénovation sont capables de travailler vite dans un appartement occupé, sur tous les corps d’état : cloisons, parquet, plomberie, électricité… Le principal frein reste la possibilité de créer une porte supplémentaire car il faut vérifier les murs porteurs et surtout demander l’autorisation à la copropriété."

Selon l’INSEE, la ville de Paris a enregistré une hausse de 23 895 nouveaux logements entre 2013 et 2017 mais seulement 17 700 constructions neuves. Quant aux 6 195 restant, "la division de logements expliquerait très probablement cette différence", avance David Serero. Les divisions de logements représenteraient donc près d’un quart de l’augmentation totale des logements à Paris sur cette période !

 

 

 

Vivre seul… à plusieurs

Parallèlement, se développe une nouvelle tendance qui correspond aux besoins des petits ménages : le . Le concept est simple : plusieurs petits logements individuels partagent certaines des belles grandes pièces en commun : salon, salle de jeux, cuisine… "Le coliving n’est plus réservé aux étudiants, car depuis une dizaine d’année les investisseurs intègrent des logements pour les jeunes cadres et les jeunes travailleurs", décrit l’architecte David Serero. "Cela permet aussi de créer un espace de lien social en continu et limiter les solitudes. La tendance est même plus forte que celle de la division d’appartement."

Les architectes imaginent aussi des logements qui pourraient changer de surface grâce à une pièce commune. Par exemple, le bâtiment Smart’Seille, construit à Marseille au cours des années 2010, accueille des logements avec la particularité de disposer d’une pièce nomade. "Située entre deux logements, […] elle pourra s’adapter aux changements de vie des occupants, pouvant passer d’un T3 à un T4 par exemple", explique Eiffage Immobilier, le constructeur de l’édifice. Cet exemple reste très marginal mais permet de donner une piste de flexibilité que peuvent offrir les nouveaux concepts de logements.

 

Vue sur Smart’Seille, complexe de logements, de bureaux et de commerces construit à Marseille. © M. Clavel.

 

 

 

Les ménages vont enfin cesser de rétrécir… en 2050

La "bonne nouvelle" reste que le phénomène de décohabitation pourrait bientôt se stabiliser à l’horizon 2050. Une étude publiée par l’INSEE en janvier 2024 montrait pour la première fois, à un horizon relativement proche, "la possibilité d’une stabilisation du nombre de ménages dans notre pays", explique le Centre d’observation de la société, créé par le bureau d’étude Compas. Le nombre de ménages se stabiliserait en effet à 34 millions de personnes, soit 3,5 millions de plus par rapport à 2020.

Ce phénomène pourrait s’expliquer notamment par la stabilisation de la part de divorces et la fin de la génération des . À ce stade, il est probable que la décohabitation touche à sa fin, mais alors jamais nous ne vivrons aussi seuls.

 

Évolution du nombre de ménages en France entre 2018 et 2050. © INSEE, Etude publiée en 2024 intitulée "De 2 à 6 millions de ménages supplémentaires en France entre 2018 et 2050"

 

Source : batirama.com / Roman Epitropakis / © AnLuPO

 


 

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