L’église Notre-Dame-la-Grande, joyau de l’architecture religieuse romane, a été diagnostiquée en état de péril en 2022. La structure va être revue et deux entreprises s’attellent au sauvetage des peintures du 11e siècle.
Près de trente ans après les importantes rénovations entreprises sur les murs extérieurs de l’édifice roman mondialement connu, la mairie de Poitiers a remis l’église Notre-Dame-la-Grande (consacrée en 1086) en chantier. En cause : les dégradations diagnostiquées en 2022 sur la structure et sur les peintures.
Le bâtiment présente des défauts d’étanchéité sur les murs et en toiture ; en outre, le ruissellement des eaux pluviales au bas des murs nourrit des remontées d’humidité. À cela s’ajoutent les effets de la poussée latérale de la charpente posée au 19e siècle qui causent des fissures dans les murs, en toiture et dans les voûtes. Autant d’altérations qui ont directement impacté sur les polychromies du 11e siècle décrites en état de péril, notamment au niveau de la voûte du chœur. Le chantier lancé en novembre dernier promet d’être rendu à l’été 2027.
La nef et ses peintures murales. Depuis quelques années déjà, un filet protégeait les paroissiens et les visiteurs de chutes provenant de la voûte. © Bernard Reinteau
Protéger la structure
Thomas Gaudig, de l’agence parisienne 1090 Architectes, pilote de l’équipe de maîtrise d’œuvre, voit ce chantier "dans une perspective d’interventions continues depuis 1850." L’opération qui vient d’être lancée poursuit notamment celle des années 90 au cours de laquelle ont été traitées les remontées de sel dans la pierre calcaire. Ce phénomène a été expliqué après avoir découvert les implantations, durant tout le Moyen Âge, d’échoppes de marchands de sel au pied de l’ouvrage.
Structurellement, la charpente va être corrigée. Déjà, son installation avait pour but de sauver cette construction initialement uniquement constituée de blocs et dalles de pierres.
Posée directement sur les murs, elle va être complétée par deux dispositifs. En premier lieu, les appuis vont être complétés d’une interface en béton et d’un sabot métallique ; en deuxième lieu, elles seront renforcées par des tirants métalliques souples, de part et d’autre de leur base. "Le but", explique Thomas Gaudig, "est de verticaliser le transfert de charges." Cette opération s’avère cependant délicate puisque la pose de ces renforts s’effectuera en soulevant chaque appui de quelques millimètres avec des vérins, le temps d’y couler le béton puis de placer le sabot métallique et le tirant.
Thomas Gaudig, agence 1090 Architectes : "Ce chantier s’inscrit parmi les interventions continues sur l’édifice depuis 1850." © Bernard Reinteau
D’autre part, les fondations du bâtiment seront aussi protégées des infiltrations d’eaux pluviales par la pose d’un drain périphérique de 10 cm de diamètre dans un remblai de gravillon d’un mètre de profondeur. "Cette tranchée ventilée fera en sorte que les eaux soient captées et évacuées", indique Thomas Gaudig.
Sur le pourtour de l’église a été posé un drain pour évacuer les eaux de pluie et réduire les remontées d’humidité. © Bernard Reinteau
Restaurer des peintures très fragiles
Des peintures polychromes iconiques
L’intérêt majeur de cette campagne de restauration est le sauvetage des peintures polychromes réputées pour la rareté des décors et présentées dans de nombreux livres d’histoire médiévale. À ce titre, les experts qui ont ausculté le bâtiment distinguent plusieurs périodes. Si les plus anciennes peintures remontent à la construction, au 11e, les historiens de l’Art ont remarqué que très rapidement, dès le 12e, de nouvelles sont venues recouvrir les originales. Les raisons de ce premier changement seraient multiples :
– le goût,
– le besoin de raviver des teintes ternies par l’affluence,
– la combustion des bougies…
Faire appel à des spécialistes
Puis d’autres grandes campagnes remarquables de mises en peinture ont été effectuées au 17e et au 19e. Cette dernière est présentée comme ayant considérablement fragilisé les fresques du chœur.
L’analyse de l’existant est très préoccupante, mais ces surfaces peuvent néanmoins être sauvées. Certaines sont si dégradées que tout disparaît en la touchant ; en certains endroits, les pigments ne résistent pas au souffle. La maîtrise d’œuvre s’est entourée de deux spécialistes de ce type de conservation : les entreprises Arthema (Loire Atlantique), et Julian James, basée en Suisse qui s’est formée sur des exemples helvètes depuis le début des années 80.
Julian James, responsable de l’entreprise suisse Julian James. "Nous intervenons notamment sur le patrimoine catholique en Suisse Romande depuis les années 80. Chaque intervention est différente et nous avons l’expérience de solutions spécifiques." © Bernard Reinteau
Ludovic Loreau, co-gérant d’Arthema. "Nous étudions les interventions avec des lasers, de la nébulisation ou l’emploi de papier japonais… Les fresques présentent une myriade de détails dont beaucoup sont encore lisibles." © Bernard Reinteau
Le chœur présente des fresques sur enduit de chaux et sable de rivière très estompées et quasi intégralement striées de fissures en faïençage très encrassées. Les interventions sur la structure seront d’ailleurs complétées par un traitement de ces fissures sur les deux faces de la maçonnerie de la voûte (intrados et extrados) avec un coulis de chaux. D’infinis détails sont encore lisibles, même des superpositions comme un visage aux traits fins daté du 13e.
La voûte du chœur présente des peintures originelles devenues très fragiles. Les restaurateurs vont tenter de les raviver. © Bernard Reinteau
L’intrados de la voûte du chœur présente de nombreuses fissures encrassées. À cet endroit apparaissent les détails d’un visage daté du 13e. © Bernard Reinteau
Des expérimentations de lasers
D’ores et déjà, le lieu est équipé d’un échafaudage adapté à l’ergonomie de travail des opérateurs attendus sur le site. Début avril, les entreprises n’avaient pas décidé du choix technique de traitement. Parmi elles figurent des expérimentations de lasers, à l’image de ce qui a été développé il y a une trentaine d’années pour nettoyer les pierres des façades des monuments historiques (sculptures, modénatures…).
Depuis, et sur la base des retours d’expériences malheureux – jaunissement des pierres… –, de nombreuses solutions ont été développées et adaptées aux différents cas de figure. Cette technique a pour avantage de retirer la poussière sans toucher la peinture. "On sait aujourd’hui que la qualité du résultat tient au type de laser, à sa puissance, au faisceau, à l’opérateur…", indique Ludovic Loreau, co-gérant d’Arthema. De premiers tests ont été pratiqués, et le choix technique devrait être prochainement arrêté. Ce dernier évoque aussi les solutions de nébulisation ou d’application de papier japonais en surface pour faciliter l’intervention.
Des tests de traitement par laser ont commencé. Les techniques retenues seront précisées d’ici l’été. © Bernard Reinteau
Pour la maîtrise d’ouvrage, l’un des enjeux de ce chantier est de "rétablir une harmonie visuelle" sur l’ensemble des parois intérieures peintes. Avec l’ambition, notamment après la livraison du chantier de Notre-Dame-de-Paris, de produire "un effet waouh" dans ce lieu réputé sombre en raison de son architecture romane avec ses petites ouvertures. Raison pour laquelle cette équipe élargit son intervention à la reprise des peintures des bas de colonnes effacées au fil du temps par l’assistance. Une exigence des acteurs du chantier aussi motivée par une volonté bien assumée de mettre leurs pas dans ceux des bâtisseurs de ce lieu privilégié.
Un énorme échafaudage passé par les petites portes d’entrée
Le qualificatif appliqué à cette église emblématique de la capitale poitevine est très relatif. Il permettait de la distinguer d’une autre église, Notre-Dame-la-Petite, située quelques dizaines de mètres plus loin, entre le palais comtal et l’actuelle rue de la Cathédrale. Elle a été démolie en au début du 19e.
Le portail dans la façade ouvragée de scènes bibliques de Notre-Dame-la-Grande, aussi de renommée internationale, n’est pas adapté au franchissement par les outils et engins de chantiers classiques. Une difficulté qu’il a fallu contourner pour installer l’imposant échafaudage en tour au centre du transept. Cela va sans dire : aucune pièce ne doit toucher les parois.
L’entreprise Soporen (Loire-Atlantique), titulaire de ce lot, a d’abord procédé à un scan des lieux pour produire ses plans. Ce qui a permis de définir la nomenclature des pièces courtes nécessaires et leur préparation pour un approvisionnement cohérent au fil du montage. L’ensemble très contreventé utilise juste quelques appuis.
Dans le chœur, l’échafaudage d’accès à la voûte est quasiment autostable, seuls quelques appuis ont été autorisés. © Bernard Reinteau
Financement : un large appel au mécénat
Lancé depuis quelques mois, ce chantier de rénovation fait beaucoup parler de lui depuis son inscription parmi ceux soutenus en 2025 par le Loto du Patrimoine ; elle devrait rapporter 500 000 €. Très médiatique, ce financement ne doit pas cacher que ce chantier estimé à 6,5 millions d’euros est déjà largement doté – même si le budget n’est pas bouclé.
L’État apportera une contribution de 1 M€, et la fondation du Patrimoine prévoit de mobiliser les mécènes pour abonder ce budget de 2 M€ ; 1,125 M€ sont déjà acquis, et la présidente de la structure départementale, Françoise Vilain bat la campagne pour tenir son objectif. Pour sa part, la ville de Poitiers apporte 1,5 M€ et d’autres financements sont attendus…
Il manquerait encore quelque 500 000 €.
Source : batirama.com / Bernard Reinteau / © Bernard Reinteau