Au cœur de la diagonale des idées

Au nord du Parc naturel régional du Morvan, dans la Nièvre, le petit bourg de Lormes résiste depuis 30 ans à l’abandon et devient "la petite ville du futur".

Un parfum de Montreuil plane dans les contreforts du massif forestier nivernais. Make ICI, les créateurs de la manufacture ICI Montreuil (2012), ouvrent ICI Morvan en réhabilitant le bâtiment d’une usine hydraulique à Lormes (58). Après Marseille, Nantes, Wasquehal et Tours, Make ICI ose la manufacture collaborative et solidaire rurale.

 

Emplacement central de la nouvelle halle multifonction en bois de la commune. © JT

 

 

 

L’école de Montreuil au Morvan

La localisation n’étonne pas, puisque s’achève le 25 avril, pour le centre du bourg, une consultation d’entreprises pour la réalisation d’une halle multifonctionnelle en bois conçue par l’agence montreuilloise GRAAM. Enfin, l’agence Studio Zéro (Paris 12e, avec un atelier de réemploi à Saint-Andelain, dans la Nièvre) est en phase pro pour la réhabilitation d’une friche afin d’y accueillir des entreprises dédiées à la filière bois. Tout cela dans la même localité en croissance démographique, de 1 400 habitants.

 

Centrale Hydraulique transformée en manufacture ICI Morvan. © Municipalité de Lormes

 

 

 

Bois et démographie

Tout au nord du Parc Naturel Régional du Morvan, le bourg de Lormes a entamé sa décrue démographique inexorable depuis le milieu du 19e siècle. Cela correspond assez exactement au remplacement du bois flotté par le charbon, favorisé par le développement du chemin de fer. Au 16e siècle, comme l’explique les nombreux commentaires pédagogiques qui émaillent les promenades de la commune, la population de Paris avait triplé et la Normandie ne parvenait plus à fournir suffisamment de bois. Dans le sens du courant, bien pourvu en eau et en forêt, le Morvan s’est équipé d’un réseau de retenues d’eau qui lui permettait d’augmenter ponctuellement les débits de différents ruisseaux afin d’acheminer les billons à Clamecy.

 

Futur local partagé destiné aux métiers du bois. © Studio Zéro

 

 

 

Vertus du futur

Ensuite, il semble que Lormes soit passé à côté de tout, en récupérant par centaines de milliers les enfants trouvés de la capitale. Le relief dissuade d’une liaison ferroviaire, puis autoroutière. Non loin de Vézelay, qui était perçu au Moyen-âge comme un des centres européens de la Chrétienté, Lormes est tombé dans l’oubli, avec juste l’atout d’une préservation, trop loin des grandes agglomérations. Aujourd’hui, les collapsologues adoubent une localisation tempérée de moyenne hauteur, raisonnablement pourvue en eau et ressources. Par ailleurs, le coût de la vie, à Lormes, est mesuré, et l’on y évite les bouchons des heures de pointe. Pas de grandes surfaces commerciales à la périphérie et d’ailleurs, quelle périphérie ?

 

Cas typique de communication communale à Lormes. © JT

 

 

 

Lormes développe une réputation

Le n°5 des Nouvelles de Lormes, édité par la mairie pour 2024/2025, recense fièrement une trentaine de nouveaux habitants (qui font face à une liste de décès à peine moins nombreuse). De fait, grâce à une réputation de dynamisme qui commence à devenir nationale, la localité attire notamment des jeunes familles actives venant parfois des quatre coins de France, avec un métier en poche, une jeune famille et surtout un avenir à bâtir dans des conditions économiques supportables, dans un environnement qui paraît résilient.

 

 

 

Le sens face au vide

Lormes aligne depuis des décennies tout un catalogue de mesures qui permettent à ce bourg de disposer de magasins, de restaurants, de services publics… Christian Paul, jeune maire avant d’intégrer le gouvernement Jospin comme secrétaire d’État aux DOM-TOM sous Jospin, y est sans doute pour quelque chose. Revenu aux commandes en 2021, battu par un candidat RN aux dernières élections, celui qui enseigne à Sciences-Po Lyon les "Transformations de l’action publique" n’a pas pu empêcher que sa ville, bien que raccordée à internet avant les voisines, se détache de plus en plus de l’accessibilité par les transports publics. Au moins, le mode de vie lormois est bien déconnecté de la sphère parisienne et de ses voyages pendulaires au long cours.

 

 

 

L’appel du bois

Par contre, il en suit l’esprit. Ici, la forêt communale est en principe gérée en couvert continu. Le choc climatique augmente la mortalité des arbres ? L’ONF conseille de les laisser au sol. Et après les coupes sanitaires, on observe d’abord pendant quelques années la nature et ce n’est qu’ensuite que le recours à des essences censées mieux résister aux dérives du climat sont sollicitées. Le bois de la commune doit servir à bâtir la halle multifonction, avec des piliers en chêne et une structure en Douglas. L’hôtel d’entreprises dédiées à la filière bois est, comme la nouvelle pharmacie, conçu en bois. Les entreprises qu’elle hébergera auront à cœur de bâtir, qui sait, de nouveaux quartiers écologiques. Ou viendront s’établir d’autres jeunes familles qualifiées.

 

 

 


Pierre et bois de Bourgogne

Aujourd’hui, le Morvan retrouve sa fonction de fournisseur de bois d’œuvre de la région parisienne, notamment pour le Douglas. Dans les contreforts du parc naturel régional que Christian Paul présidait, comme à Lormes qui porte bien son nom, la monoculture est moins marquée. La municipalité affiche l’objectif de développer le savoir-faire de la filière bois en aval, tandis que la tradition constructive locale s’appuie sur la belle pierre calcaire blanche de Bourgogne (le Morvan, c'est du granit). Privilégier le réemploi, la préservation, l’intégration de matériaux de construction locaux et le tissu d’entreprises artisanales, voilà les enjeux.

 

 


Quelle filière bois ?

Au cœur du bourg, la création d’une pharmacie centre de santé a constitué un premier pas, moins impressionnant que l’œuvre de l’architecte Quirot à l’entrée de la ville-sanctuaire proche de Vézelay. Il va falloir tout inventer : la sylviculture à couvert continu confrontée à la crise climatique, l’exploitation pour la construction d’essences multiples saines ou attaquées, la conception d’ouvrages confrontés à une région humide où les bardages de Douglas noircissent, l’utilisation directe du bois local…

 

 


Charpente ou construction bois ?

Pour l’heure, les charpentiers ne manquent pas dans la région, simplement, leurs carnets de commande débordent et le marché des particuliers, notamment néerlandais et britanniques qui rachètent des masures à retaper, est plus que suffisant. Au point que l’agence GRAAM s’inquiétait de l’issue de sa consultation pour le chantier modeste mais emblématique de la halle multifonction.

 

 


L’aménagement en douceur

Ici Morvan et le projet de Studio Zéro ouvrent la voie au développement logique d’une compétence dans le travail du bois, de la charpente à l’ébénisterie, dans un cadre participatif. L’aboutissement d’un mandat dont les fruits ne se verront que plus tard. Les projets sont portés par la SEM départementale Nièvre Aménagement et qui sait dans la perspective de Nièvre Habitat. Ici, small is beautiful, pas seulement en termes d’hôtels d’entreprises participatifs. Les projets de Nièvre Aménagement montent rarement au-dessus de trois millions d’euros.

 

 


Fléché Forum

Le remède pousse à côté du danger, disait le poète Hölderlin. La déprise agricole d’après 1945 s’arrête à Lormes, un demi-siècle plus tard. La transformation du Morvan en terrain de monoculture de Douglas cède ici la place à un petit Vorarlberg prêt à utiliser les ressources locales de façon résiliente. Un germe fragile, mais tout de même façonné depuis trois décennies. Alors que s’achève en mars 2026 la mandature communale de la vague verte, Lormes représente l’un des "case studies" inachevés que la prochaine édition du Forum Bois Construction va thématiser.


Source : batirama.com/ Jonas Tophoven / © GRAAM

 

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