Promouvoir les ENR à long terme et de façon stable permettrait à l?Europe d?acquérir son indépendance énergétique et politique. Un point de vue défendu au salon Intersolar.
Depuis 2008, la politique énergétique en Europe se résume aux trois nombres 20-20-20 : 20% d'énergie renouvelable dans le bilan énergétique européen, 20% de réduction d'émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2020 par rapport à 1990.
Sur le salon Intersolar à Munich, les participants à la conférence « Renewable Heating and Solar Thermal » (chauffage renouvelable et solaire thermique) ont rappelé avec force que cet objectif ne sera pas atteint sans un recours important à l'énergie solaire thermique et aux autres énergies renouvelables.
Le délégué de l'Estif (European Solar Thermal Industry Federation – Fédération Européenne des Industries Solaires Thermiques) a rappelé des données méconnues. Produisant peu de pétrole et de moins en moins de gaz naturel, l'Europe est de plus en plus soumise à la volatilité des prix des énergies fossiles.
Selon Eurostat, 65,8% du gaz naturel consommé en Europe en 2012 était importé, contre seulement 47,1% en 2001. En Europe, le gaz naturel est utilisé à 41% pour le chauffage et la production d'eau chaude sanitaire, à 31% pour des process industriels et à un peu moins de 25% pour la production d'électricité.
Si bien que la menace d'une éventuelle suspension des approvisionnements de gaz naturel en provenance de Russie en raison de la crise entre la Russie et l'Ukraine, par exemple, pose avant tout un problème de chauffage et de production d'ECS.
La sécurité des approvisionnements énergétiques en Europe
A la tribune de la conférence, les intervenants successifs ont appelé au développement d'une politique – stable et de long terme – de promotion des énergies renouvelables, au premier rang desquelles figure le solaire thermique.
Il serait selon eux possible de remplacer pratiquement tout le gaz naturel importé utilisé en chauffage et ECS par un mix d'énergies renouvelables et d'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments existants, réduisant la facture énergétique européenne, créant des centaines de milliers d'emplois en Europe et permettant d'atteindre facilement, puis de dépasser les objectifs 20-20-20 européens.
Dans ces appels, les mots – stables et long terme – ont leur importance. Après chaque crise énergétique depuis 1974, se développe un soudain engouement pour l'énergie solaire thermique, qui retombe cinq à six ans plus tard une fois la crise oubliée et les aides publiques diminuées.
Le marché disparaît, les savoir-faire développés par les entreprises d'installation et les Bureaux d'Etudes sont oubliés, les industriels souffrent, réduisent emplois et moyens de production. Lorsque la vague suivante d'engouement pour le solaire déferle, tout est à reconstruire.
Soutenir toutes les énergies renouvelables
Selon l'Estif (www.estif.org) et ses partenaires, dont le European Geothermal Energy Council (EGEC, Conseil Européen de l'Energie Géothermique, wwwegec.org) et l'European Biomass Association (Association Européenne pour le développement de la Biomasse, www.aebiom.org), trois énergies renouvelables permettraient d'agir à court et moyen terme : le solaire thermique, la biomasse et la géothermie profonde.
Pour assurer leur développement, il faudrait tout d'abord supprimer les politiques qui empêchent leur essor. Certains pays, dont la France, ont institué récemment ou de longue date des dispositions qui pèsent sur les ENR : subventions des énergies fossiles, RT2012 en France qui défavorise le solaire thermique en construction neuve…
Ensuite, il conviendrait de prendre en compte le bilan carbone des énergies dans tous les calculs thermiques, dans tous les projets de construction et de rénovation que ce soit en industrie ou en bâtiment, d'instituer une taxe carbone en Europe dont le produit serait consacré au financement des projets ENR…
Ce sont des mesures peu coûteuses, voire neutres pour les finances publiques, dont la portée est potentiellement importante. Selon Eurostat, les ENR ont contribué 82,4 MTEP (millions de tonnes équivalent pétrole) au chauffage, à la production d'ECs et au rafraîchissement en Europe en 2012, soit 15,6% du total de l'énergie consommé pour ces usages. L'Estif estime qu'il est possible de parvenir à une contribution des ENR de 148 MTEP en 2020.
Selon l'hypothèse que cette production supplémentaire des ENR se substitue aux importations de gaz naturel, cela réduirait la facture européenne de 21,8 milliards d'Euros en 2020 par rapport à 2012 (calcul à partir du prix du gaz naturel de janvier 2014 selon la Banque Mondiale).
Des exemples à l'appui
L'Europe consomme de l'énergie sous forme de chaleur à différentes températures et, utilisées conjointement, les diverses énergies renouvelables sont parfaitement capables de fournir les températures requises. Premièrement, pour le chauffage et la production d'ECS, le solaire photovoltaïque alimentant des pompes à chaleur en autoconsommation peut fournir jusqu'à 65°C.
Le solaire thermique, avec l'appui de chaudières biomasse atteint sans difficultés des températures d'eau de 95°C, voire jusqu'à 250°C avec des capteurs tubulaires sous vide pour des applications industrielles. Au-delà de 250°C, la biomasse peut couvrir les besoins complémentaires de l'industrie.
Enfin, la géothermie profonde est en mesure d'alimenter les réseaux de chaleur et, selon les évaluations de l'EGEC, plus de 25% de la population européenne vit sur des sites équipables de réseaux de chaleur alimentés par géothermie profonde.
Pour étayer sa démonstration, l'Estif a présenté au cours de la conférence plusieurs réussites exemplaires, allant de la conversion de réseaux de chaleur à la géothermie profonde ou à la biomasse, jusqu'à la création de réseaux de chaleur avec une importante couverture solaire au Danemark.
A Marstal, au Danemark, fonctionne depuis 2012, un réseau de chaleur utilisant 100% d'ENR (photo). Il alimente 1460 points de livraison et fonctionne à 55% à l'énergie solaire thermique : 33 600 m² de capteurs thermiques installés, fournissant une puissance de 23 MW et 13 400 Mwh/an.
Les capteurs sont soutenus par un stockage de chaleur annuel sous forme d'un réservoir d'eau chaude enterré de 10 340 m3, d'un second stockage en sable de 3 500 m3et un troisième en réservoirs hors-sol de 2 100 m3. Le solde de la chaleur est fourni par une chaudière biomasse de 4MW, une pompe à chaleur au CO2 de 1,5 MW utilisant le stockage de la chaleur en sable comme source froide.
Si le Danemark parvient à des taux de couverture annuels de 55% avec le solaire thermique sur un réseau de chaleur, imaginez ce que l'on pourrait atteindre avec un meilleur ensoleillement, au sud de la Loire, par exemple. Selon l'Estif, chaque installation de ce type est un pas vers l'indépendance énergétique – et donc politique – de l'Europe.
Source : batirama.com / Pascal Poggi