Quand la simplification crée des risques pour le bâti

Parmi les 500 propositions de simplification remises à Mme Duflot en Février 2014, l'une d'elles consiste à supprimer le traitement des ponts thermiques en construction neuve.

A l’origine de la menace Q10, rappelons que Mme Duflot avait souhaité mettre en œuvre des mesures de simplification de la réglementation applicable à la construction et à la rénovation pour diminuer les coûts et accélérer les chantiers. Quatre groupes de travail étaient à l'oeuvre.

 

Le Groupe de Travail n°1 (GT1), dont la composition n'est pas publique, a soumis en février dernier toute une série de propositions, dont la proposition Q10 : « En RT 2012, porter le coefficient Ψ en W/(m.K) de 0,6 à 1 », tout en maintenant l'objectif de résultat global ». Qu'est-ce que cela signifie exactement ? Le coefficient Ψ, exprimé en W/(m.K), mesure le pont thermique linéique entre niveaux.

 

On se dit que le porter de 0,6 à 1, ce n'est pas un drame. Lorsqu'on se penche sur la manière dont il est calculé, cependant, on se rend compte que lorsqu'on ne traite pas du tout ce pont thermique linéique entre niveaux (celui de la dalle), la valeur de Ψ est de 0,99.

 

Supprimer le traitement des ponts thermiques

 

La pousser à 1 revient à ne plus traiter les ponts thermiques entre étages. Schöck France (fabricant de rupteurs de ponts thermiques), Pouget Consultants (BE thermique connu pour son militantisme en faveur de l'accroissement de la performance énergétique des bâtiments), l'association le Mur Manteau qui promeut l'isolation par l'extérieur et le Cabinet Medieco ont tenu une conférence de presse le 9 juillet dernier à ce sujet.

 

Tout d'abord, la RT2012 n'est pas une fin, mais seulement une étape dans un calendrier européen d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments que la France a discuté, puis approuvé à chaque étape et qui désormais s'impose à tous les membres de l'Union Européenne. La prochaine étape, dite RT 2020, arrive en réalité en 2018.

 

A partir du 1er janvier 2018, en effet, tous les bâtiments neufs publics (construits par l'Etat ou les collectivités territoriales) ou recevant du public (pratiquement tout le tertiaire neuf) devront être à énergie positive. Puis en 2020, tous les bâtiments neufs sans distinction devront être Bepos. Pour y parvenir, il faudra naturellement traiter les ponts thermiques. Ce serait impossible sinon.

 

Se préparer à l’échéance 2018

 

L'échéance de 2018 est proche : pourquoi désapprendre aujourd'hui quelque chose qu'il faudra faire dans 4 ans ? Plusieurs méthodes permettent le traitement des ponts thermiques ; les nouveaux bétons isolants, l'isolation thermique par l'extérieur, les rupteurs de ponts thermiques, etc.

 

Ces techniques ne sont pas encore parfaitement maîtrisées par tous les acteurs de la filière. Pourquoi leur dire de ne pas se les approprier aujourd'hui, sachant qu'il faudra parfaitement les maîtriser dans 4 ans ?

 

Deuxièmement, le non-traitement des ponts thermiques introduit un point faible dans le bâti. En hiver, cela entraînera une condensation de vapeur d'eau au droit des parties non-isolées, dont la température de surface descendra au dessous de 12,6°C : au pied des cloisons, juste sous les plafonds.

 

Menace sur la qualité de l’air intérieur

 

Cette condensation dégrade le bâti, mais aussi, comme l'a rappelé Mediéco, fournit le terrain idéal au développement de moisissures diverses, toutes plus nocives les unes que les autres, car les spores des moisissures se fixent dans les poumons.

 

Au moment où l'on fait grand cas de la qualité de l'air intérieur et que se profilent des mesures pour l'améliorer, est-ce bien utile de mettre en avant un moyen de la dégrader ?

 

Schöck, pour sa part, a rappelé que la mise en œuvre d'un rupteur de pont thermique pour soutenir des balcons revient 42% moins cher que la méthode traditionnelle du peigne (des ferraillages très renforcés sortant de la dalle pour soutenir le balcon) sans traitement du pont thermique, et 14% moins cher que les consoles (deux poutres de béton sortant de la façade, sur lesquels sont posés et fixés les balcons).

 

Les risques pour le bâti

 

Donc, cette mesure revient à diminuer la performance thermique des bâtiments, à dégrader le bâti et la qualité de l'air intérieur. Et dans le cas des balcons sortant de la façade, cela coûte en réalité plus cher que le traitement des ponts thermiques par rupteurs.

 

La seule explication plausible est que les auteurs de la proposition Q10 s'opposent à tout changement des habitudes de construction. Une idée à courte vue ! La proposition Q10 ne fait pas partie des 50 premières mesures déjà annoncées par Mme Pinel, la nouvelle ministre du logement. Elle est encore à l'étude et pourrait apparaître dans le contingent de nouvelles mesures annoncées à la rentrée.

 

Le 1er juillet, une réunion s'est tenue à la DHUP (Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages du Ministère du Logement) du groupe de travail « Simplifier la réglementation et l’élaboration des normes de construction».

 

La menace Q10 a été discutée à nouveau, mais n'a pas été écartée car elle n'a pas fait consensus entre les membres du groupe de travail. Il est temps que les-dits membres comprennent à quel point la menace Q10 est nuisible.

 


Source : batirama.com / Pascal Poggi

 

Photo : © DX_Balkon doc PP,

 

Légende : La mise en place d'un rupteur de ponts thermiques pour soutenir un balcon revient 42% moins cher que la solution traditionnelle, sans traitement des ponts thermiques, dite du « peigne » où l'on augmente considérablement le ferraillage du béton.

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