BTR 486

6 BATIRAMA N°486 I AOÛT - SEPTEMBRE 2019 ACTUALITÉ REPÈRES 70 femmes environ exercent en France le métier de charpentier et 8 suivent une formation de charpentier chez les Compagnons du Devoir (contre 360 garçons). A ce jour, une seule, Marion Irastorza, a été admise comme Compagnon en ayant achevé son tour de France. S on nom de compagnon est Basque la Fraternité. Basque, Marion Iras- torza l’est d’origine et jusqu’au bout des ongles, selon elle. Une région qu’elle a pourtant dû quitter pour deve- nir charpentier. Charpentier ? Si Marion ne milite pas pour une féminisation de la désignation du métier, c’est qu’elle a eu déjà assez à faire pour aller jusqu’au bout de sa formation dans un milieu viril et parfois hostile. Elle s’inscrit d’abord à Bordeaux dans un IUT de génie civil avec l’orientation bois et construction, puis rejoint les Compagnons du Devoir. Une forte pression sur les épaules Un peu de vocabulaire : quand on suit un apprentissage chez les Compagnons, on est désigné(e) « aspirant », et quand on va avec succès jusqu’au bout de la for- mation, on est adopté(e). Avant Marion, une femme charpentier a été adoptée par les Compagnons du Devoir, en 2007. Alsacienne, elle exerçait déjà la profes- sion, suivant les cours du soir. Exemptée de tour de France, elle a exceptionnelle- ment été adoptée. Depuis, plusieurs filles ont tenté en vain ce qui ressemble à une ascension de l’Anapurna. Tantôt, elles ont jeté l’éponge en route. Tantôt, elles ont buté sur un mur à la dernière marche, les examinateurs leur faisant comprendre qu’elles ne seraient pas reçues de toute façon : « La pression subie par les femmes est importante », explique Marion, « les femmes doivent apporter la preuve qu’elles s’en sortent aussi bien que les hommes et pour le coup, en pratique, il faut qu’elles s’en sortent deux fois mieux ». Courage, persévérance et féminisme En tout cas, dix ans après la femme char- pentier alsacienne, Marion a tenu bon et a accompli son tour de France. Elle a même bouclé en cours de route son diplôme de génie civil, pour lequel il lui manquait encore une unité de valeur. Elle a su s’im- poser, quand bien même son adoption a bien manqué de provoquer une scission chez les Compagnons, comme cela est déjà arrivé pour d’autres métiers du com- pagnonnage : « Il n’y a pas eu de scission mais depuis, un certain nombre de compa- gnons boudent les réunions ». Aux candi- dates, Marion conseille de faire preuve de courage, de persévérance et… de fémi- nisme. Car il n’est pas question de renier sa féminité. Ne serait-ce que parce que le bois, plus sans doute que d’autre maté- riaux de construction, rend cela possible : « Le bois, c’est une odeur, et cela évoque pour moi naturellement des courbures ». Un métier physique Le métier reste un métier physique et si Marion Irastorza s’imagine comme évo- luant vers la conduite de travaux, ce n’est pas seulement parce qu’elle a été propul- sée compagnon prévôt en charge de la maison des Compagnons du Devoir de Reims et Epernay. C’est aussi parce qu’elle sait et assume que le travail est usant et peu compatible, à terme, avec une vie de mère. Pour l’instant, elle fait un peu déjà la mère en Champagne, mais c’est stricte- ment dans le cadre du devoir de restitu- tion auquel s’astreignent les compagnons pour une durée de trois ans. Ensuite, elle compte bien retourner sur les chantiers, où elle apprécie particulièrement « la vision à 360° » : « On a un regard immédiat, le soir, sur le travail accompli pendant la journée, et c’est valorisant ». Et la femme ajoute : « On construit un toit », on aurait envie de lire « un nid ». Gardez la dame Notre-Dame ? Prévôt à Reims, elle a été contactée par le quotidien local dans les jours qui ont suivi l’incendie, corrigeant ce que tout le monde répétait alors, à savoir qu’une reconstruction de la charpente en bois serait impossible. Si l’occasion se pré- sente, elle irait bien faire partie de ceux qui pourraient bien prouver le contraire : « Mais ce ne sera pas pour m’en gausser », précise-t-elle, « juste pour faire l’expé- rience d’un grand chantier ». Pour l’heure, la nature et la facture de la charpente qu’il faudra bien reconstruire est loin d’être décidée. Marion Irastorza pourra sans doute aller au bout de son devoir de resti- tution et ensuite, on verra bien. Mais tout de même : une femme charpentier sur un chantier comme celui de Notre-Dame, quelle belle façon de souligner que le bois est bien le matériau de notre temps ! JONAS TOPHOVEN Marion Irastorza, Notre dame de la charpente PORTRAIT

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