Actuellement, 21 sites d'injection de biométhane sont en activité en France. Une infrastructure adaptée à l'évolution du nombre d'unités de méthanisation.
Jean-François Delaitre, céréalier à Ussy-sur-Marne (Seine-et-Marne), a mûri son projet de méthanisation sur sa ferme de 240 ha à partir de 2012. Après une année de réflexion, il a franchi le pas en mars 2013 en créant O'Terres Énergies.
Les travaux ont commencé quasi immédiatement, avec l’aide du bureau d’études Airtaim Conseil. En août 2013, l’entreprise MT Énergie a débuté l’installation d’un méthaniseur en continu et de trois cuves ; les premières injections de biométhane dans le réseau GrDF ont eu lieu fin du printemps, début de l’été 2014.
Cette installation assure une fourniture de 140 m³/h de biométhane (pour 300 m³/h de biogaz). Ce volume horaire est validé chaque fin de mois. Ce qui permet de lisser la production sur l’année.
Pour ce céréalier, ce projet présentait des risques, mais surtout de nombreuses opportunités. Parmi les risques figure le financement du projet. Pour un banquier classique qui fonde ses décisions sur des retours d’expériences bien établis, cette nouvelle activité agricole présentait trop d’incertitudes.
Un partenaire financier encore peu investi en agriculture s’est montré intéressé et a joué le jeu, notamment par la collecte d’informations sur cette nouvelle activité. En second lieu, Jean-François Delaitre mesurait la difficulté de développer la méthanisation et l’injection sans élevage.
« Les intrants sont constitués des déchets de denrées cultivées, de déchets agricoles et agro-alimentaires, de la poussière de céréales ou de la pulpe de betteraves ou de la pomme de terre… », détaille-t-il. Seuls 5% des intrants sont composés de cultures dédiées.
Ce volet approvisionnement compte énormément dans l’économie de l’installation : la zone de ramassage s’étend des exploitations, communes voisines et jusqu’à 80 km pour certaines matières organiques. La logistique mise en œuvre est évaluée entre 15 et 25% du coût global des intrants.
Le bilan des deux années d’exploitation est positif. Le rythme d’injection et la qualité du biométhane (97%) sont tenus, et l’activité à permis de créer deux postes : un secrétariat, et un poste de technicien agricole, pour une large partie occupé à suivre le méthaniseur.
Quant à l’intérêt économique de la production de biométhane, Jean-François Delaitre en donne les grands principes : « Le prix de rachat du méthane est contractualisé sur 15 ans, tandis que ceux des céréales sont variables. Ce qui permet de lisser les revenus. »
Le niveau de vente annuel attendu à terme est de l’ordre de 50 000 €. Ce qui permet d’établir un retour sur l’investissement de 3,5 M€ de moins de 10 ans.
Par ailleurs, la fourniture d’un fertilisant organique issu du méthaniseur affranchit l’exploitant des lourdes et récurrentes dépenses en engrais.
Jean-François Delaitre souligne cependant deux précautions. La première : bien mesurer la capacité de la ferme sur la base de sa surface et des intrants ; la seconde : « Se remettre en question ! C’est une activité très différente de celle l’agriculture. Il s’agit d’une véritable industrie de l’énergie qui a son fonctionnement propre. »
GrDF, entre enthousiasme, engagement et fébrilité
A l’entrée du hall d’exposition du cinquième salon ExpoBiogaz qui s’est tenu la semaine dernière à Strasbourg, GrDF avait rassemblé ses équipes. Objectif : informer les professionnels de l’implication du gestionnaire de réseau sur “les gaz verts”.
Valérie Bosso, chef de projet biométhane chez GrDF, l’affirmait aux visiteurs avec assurance : « La montée en puissance et en compétence a commencé. Pour nous, cent points d’injection en 2018, comme cela a été annoncé, c’est à la fois ambitieux et acceptable. »
Et de décrire une entreprise actuellement largement tournée vers cette nouvelle industrie, du management national aux opérateurs de terrain.
Selon Valérie Bosso, « l’injection sur l’antenne » constitue un sérieux point dur. « C’est la base du travail des équipes de GrDF. » Valérie Bosso décrit prosaïquement l’un des problèmes fondamentaux : la capacité d’injection du biométhane dans le réseau.
À la différence des électrons sur le réseau électrique, le biométhane ne remonte pas le réseau de distribution locales ; et à plus forte raison, sur les grandes artères de GRT Gaz. Le biométhane reste à proximité du point de production.
Par conséquent, il convient de vérifier si les consommateurs proches peuvent absorber cette production locale : logements équipés de chaudières gaz, activités tertiaires, commerciales ou industrielles…Car ce qui est injecté doit être consommé ; les canalisations des antennes ne sont en rien des moyens de stocker le gaz.
En hiver, ces consommations de gaz sont généralement suffisamment importantes pour absorber les volumes injectés. En revanche, d’avril à septembre, elles peuvent être trop faibles au regard des capacités d’injection.
L’exemple optimal est donné par la ferme d’Arcy, sur la commune de le Chaume-en-Brie (en Seine-et-Marne). Cette unité de méthanisation injecte près de 2 Mm³ de méthane dans le réseau, et fournit pratiquement la totalité des besoins des six communes avoisinantes (Chaumes-en-Brie, Verneuil l’Étang, Guignes, Yèbles, Ozouer-le-Voulgis et Fontenay-Trésigny).
Cette estimation des capacités locales de consommation constituent le cœur des études des ingénieurs de GrDF. Elle a pour vocation à caler au plus juste le business plan de l’installation de méthanisation.
GrDF travaille localement avec le BERG, Bureau d’études du réseau gaz de GrDF, et un réseau de référents pour préciser ses analyses : les chambres d’agriculture, de commerce ou d’industrie, les collectivités.
« Le but, explique Valérie Bosso, est de déterminer les quotas à injecter au jour le jour et définir ainsi les recettes selon le tarif d’achat – de 45 à 139 € par MWh. » De même, ces données sont utiles aux banques pour préparer le financement des installations selon leur dimensionnement.
Le gestionnaire du réseau accompagne aussi les investisseurs pendant la construction et l’exploitation : installation du poste d’injection gaz, raccordement, respect des pré-requis pour l’injection… La relation avec le producteur est constante.
Surtout, comme l’exprime Valérie Bosso, le biométhane représente une opportunité bien plus stratégique. À l’entendre, ce serait presque : le biométhane passe… ou il n’y a pas de plan B. La réussite du projet prépare « une aventure sur 30 à 50 ans pour un modèle économique et technique différent », reconnaît-elle.
En outre, GrDF s’impose un suivi tatillon de cette nouvelle industrie pour des motifs plus terre-à-terre : aider à l’acceptation sociale des installations, réduire de 3-5 ans à environ 2 ans le délai de mise en service des unités, et veiller aux contre-références, qu’il s’agisse de l’échec d’un investisseur ou pire, d’un accident.
Alors que les premières initiatives ont été prises par chacun des acteurs de la filière, Du travail reste à effectuer pour parvenir à une meilleure efficacité énergétique des installations. Ce qui motive le cluster Biogaz Vallée, basé à Troyes, à ouvrir un site démonstrateur.
Pour Grégory Lannou, son directeur, « il existe déjà une recherche d’un niveau excellent en France » ; il cite Jean-Philippe Steyer, du laboratoire de biologie de l’environnement à l’INRA de Narbonne, et indique aussi les travaux réalisés dans les laboratoires privés de PME et de grands groupes.
Cependant, il s’agit aujourd’hui de baisser les coûts de recherche, de formation et de développer des concepts d’efficacité énergétique sur les unités de méthanisation.
Sur un foncier de 10 000 m² dans l’Aube, le pilote en projet pour 2018 occupera 4 700 m². Il s’agit d’une installation de méthanisation par voie humide d’une capacité de 400 m³ et doté d’un cogénérateur de 100 kWe.
Les innovateurs auront la possibilité de louer cette installation pour réaliser leurs tests. Biogaz Vallée revendra aussi l’énergie électrique pour financer cet investissement.
Les initiateurs de cette plateforme mutualisée d’innovation à l’échelle 1 doit en particulier servir à lever les verrous désignés par les professionnels : le prétraitement, l’agitation, la valorisation énergique et des digestats.
D’un montant de 4,5 M€, il devrait être financé à hauteur de 2,2 M€ par la BPI (Banque publique d’investissement) ; une levée de fonds de 1,3 M€ est organisée jusqu’à la passation des marché de construction, en 2017.
Si l’injection commence tout à peine à se développer – quelque 20 à 21 sites en France aujourd’hui – le projet mené par la filière biogaz et biométhane est très ambitieux.
L’Ademe pose une perspective à 56% de “gaz verts” en 2050 ; le scénario GrDF hisse ce seuil à 70%. les projections qui sont dessinées indiquent un volume global injecté – hydrogène compris – de 270 TWh annuels, dont plus de 80% issus des techniques de méthanisation et de gazéification
La réflexion qui supporte ce projet utilise les arguments d’un mix énergétique constitué de nucléaire, de sources d’énergies renouvelables et de gaz.
Déjà, dans ses réunions avec les installateurs, le gestionnaire de réseau explique que le passage des chaudières gaz aux pompes à chaleur obligerait à quasiment doubler le parc électrique… ce qu pourrait conduire à augmenter les émissions de gaz carbonique.
D’où l’importance de recourir aux nouvelles ressources, en substitution des gaz fossiles.