La montée en puissance du BIM n’est pas aussi rapide qu’attendue. La faute à des maîtres d’ouvrage sans appétit particulier. Par conséquent, le BIM qui défraie la chronique depuis l’annonce du Plan transition numérique dans le bâtiment en 2015 peine encore à se traduire dans les appels d’offres. Et les entreprises du gros oeuvre qui ont décidé de l’intégrer pour leurs besoins propres restent minoritaires.
Pour autant, le BIM réinterroge les pratiques, les coûts, les organisations, les équipes. La capacité à travailler en 3D modifie les études de prix, ouvrant à plus d’alternatives. L’organisation de chantiers est facilitée grâce à une préparation en amont, et une vision du bâtiment en 3D.
Reste que ces apports évidents s’accompagnent d’une certaine vigilance. Alors qu’un concepteur choisira un produit numérisé dans un catalogue de type BIM Object, les entreprises doivent pouvoir conserver leur capacité à exprimer une valeur ajoutée d’optimisation des solutions techniques retenues.
Et la préoccupation est la même avec la RE 2020 (Réglementation environnementale) en ligne de mire. À l’heure des FDES (fiches de déclaration environnementale et sanitaire) et de l’ACV (analyse du cycle de vie) pour mesurer l’impact environnemental des matériaux et produits de construction, comment et à partir de quelles données l’ACV sera calculée ?
Les entreprises pourront-elles proposer des variantes à l’appel d’offres moyennant la preuve de la neutralité carbone par rapport à ce qui était prévu, tout en conservant le choix de leur fournisseur ? Affaire à suivre..
Recyclage : la preuve avec le béton et la brique
La RE 2020 réinvente aussi les codes. Elle introduit de nouvelles notions telles que le recyclage et le réemploi au travers de l’économie circulaire qui séduisent les maîtres d’ouvrage. Forte de déchets inertes à réemployer pour des taux de valorisation record, la filière structure gros oeuvre déploie des projets. À l’instar de Recybéton à dimension nationale, qui planche sur la création d’un écosystème industriel locavore où les déchets nobles des uns deviennent les matières premières des autres. Et l’éprouve.
Comme à Chartres où une résidence de 12 logements collectifs, baptisée Le Onze* applique (déjà) les concepts d’économie circulaire : écologie industrielle et territoriale, circuit court, incorporation de granulats de béton recyclé dans les bétons structuraux, expérimentation E+C-, ainsi qu’exploitation du numérique et du BIM en phase chantier.
« Zéro énergie fossile » et ciments décarbonés
En parallèle des efforts de recyclage, la filière béton travaille à abaisser ses émissions de gaz à effet de serre en valorisant des co-produits industriels. Deux pistes sont suivies : d’abord, une valorisation énergétique visant à augmenter le taux des combustibles alternatifs utilisés en cimenterie (huiles usagée, pneus, farines animales…). Ainsi, le groupe Vicat vise le « zéro énergie fossile » à l’horizon 2022.
L’autre voie de valorisation consiste à intégrer dans les ciments des constituants alternatifs au clinker (principal responsable du bilan carbone de béton). Plus « disruptif », un nouvel acteur « Hoffman Green Cement Technology » - HGCT– fait beaucoup parler de lui. Il fabrique les premiers ciments décarbonés, entièrement sans clinker. De nombreuses entreprises et maîtres d’ouvrage se sont montrés intéressés par cette solution. Dernier en date : Bouygues Construction qui a conclu avec HGCT un contrat de collaboration technique et commerciale.
Des sédiments dans la brique
La filière terre cuite n’est pas en reste avec Sedibric. Il s’agit de valoriser des sédiments en briques et tuiles sur la Vallée de la Seine, avec une réponse locale. Une valorisation vertueuse quand les ports maritimes du Havre et de Rouen draguent et immergent jusqu’à 7 millions de m3 de sédiments par an et que l’industrie de la terre cuite sur le territoire de la vallée de la Seine consomme près de 0,85 millions de m3 de matériaux de carrière, non renouvelables.
Avec ces premières initiatives, la filière gros oeuvre met l’économie circulaire en ordre de marche. Mais pour qu’elle soit rentable, efficace, et qu’au final les produits soient solides, durables, et répondent aux exigences réglementaires, elle nécessite une structure jusqu’aux approvisionnements qui doivent être sécurisés dans le temps.
Et sans oublier la composante amélioration des conditions de travail pour les compagnons qui n’est pas une valeur ajoutée, mais une nécessité. |
Interview de l’expertBertrand Bedel, président de la Fédération de l'Industrie du Béton Bertrand Bedel
« Des projets de bâtiment zéro déchet sont sur la table »
Quels sont les enjeux pour la filière structure/gros oeuvre ?
Bertrand Bedel : L’enjeu classique est de faire face aux différents cycles de construction liés à l’économie. En dépit de doutes, il s’avère que 2019 est une bonne surprise. Mais face à la baisse des autorisations de construire, 2020 interroge. L’autre enjeu notable est celui du développement durable. L’Industrie du béton a déjà fait preuve d’efficacité en faveur de la réduction de l’impact carbone des matériaux grâce à l’économie circulaire, au recyclage et aux innovations de nos produits préfabriqués en béton : les Smart Systèmes en Béton. Des projets de bâtiment zéro déchet sont sur la table.
La filière répond aussi avec des innovations techniques, à l’instar des nouveaux ciments avec des ajouts à l’empreinte carbone abaissée de manière significative. Autre exemple, les blocs à coller, rectifiés sont plus rapides à poser avec un effet positif d’un point de vue du développement durable, en générant moins de pénibilité sur les chantiers, tout en réduisant les coûts et les délais. Ces dimensions vont de pair afin de maîtriser les coûts de construction et de déconstruction quand il est difficile de gérer les évolutions du foncier.
Quel rôle joue la préfabrication dans ce contexte ?
B.B : Elle est une réponse en apportant plus de souplesse sur les cycles météorologiques, plus de rapidité, et en limitant l’impact des nuisances sur chantier. Les produits et systèmes préfabriqués en béton sont une alternative économiquement très intéressante par rapport à une production in situ, que ce soit en grand élément ou en petit élément, et va continuer à se développer notamment en milieu urbain. J‘invite d’ailleurs à visiter, entre autres, la plateforme By Béton pour s’en convaincre.
Qu’en est-il des produits biosourcés ?
B.B : Si des ouvrages sont déjà réalisés, le biosourcé reste naissant. Le miscanthus, le bois, ou le chanvre réduisent l’impact environnemental des produits en se substituant, en partie, aux granulats et en améliorant de manière intrinsèque leur pouvoir isolant. Des initiatives vont dans le sens du développement d’une filière. L’enjeu reste sans doute que le client final valide la valeur ajoutée créée par la baisse de l’impact CO2 par rapport à l’évolution des coûts de construction liée à l’emploi de ces matériaux biosourcés.
Avec la crainte d’aller vers une industrialisation du bâtiment ?
B.B. : Il est à noter qu’en travaillant en partenariat et le plus en amont possible, les ouvrages réalisés peuvent à la fois être plus performants, moins coûteux, et plus respectueux de l’environnement grâce à une meilleure organisation. En ce sens, le BIM est un formidable outil. C’est donc plutôt une opportunité à partir du moment où le BIM permet de tout améliorer à la fois.
De plus, j’entends qu’il faut trouver des bras sur les chantiers, bien que le secteur du bâtiment ait embauché significativement en 2019. Quand les jeunes s’intéressent peut-être plus aux débouchés de l’informatique qu’aux métiers du bâtiment et de notre industrie, il faut continuer à faire valoir ces atouts et être attentif à bien les promouvoir. C’est bien évidemment un enjeu pour toute notre filière. |