Le 20 février dernier, à Barcelone, la Commission européenne et la Fundació Mies van der Rohe ont annoncé les cinq finalistes du prestigieux Prix d’Architecture Contemporaine de l’Union européenne 2024, le prix Mies van der Rohe, une récompense décernée tous les deux ans par l’Union européenne et dont le lauréat sera dévoilé en avril. La brillante architecte Amelia Tavella fait partie du quintette.
Née à Ajaccio, en Corse, Amelia Tavella possède une empreinte, une marque qui lui est propre, car sa démarche artisitique est foncièrement liée à ses origines corses. Amelia envisage son île en matrice, y apprenant l’importance de la nature et faisant l’expérience de la beauté, tout en s’imprégnant de l’une comme de l’autre : "La Méditerranée est ma matrice. Je viens de là, de ce lieu unique. Enfant du maquis et des sables, j’ai appris la complexité de mon métier d’architecte ici. Mer, roche, plage, ma féminité a embrassé la féminité de cette mer […]. Mon île m’a appris la lumière, la couleur, la pente, me rappelant sans cesse qu’il n’y a pas de création valable sans éthique et que l’Histoire est le berceau du présent. Ainsi se construit ma démarche artistique, reliée à mes racines, à l’origine."
Quittant son île natale, Amelia Tavella suit alors des études à l’École Spéciale d’Architecture à Paris, fonde son agence à Aix-en-Provence (2007), avant de cumuler les nominations, les récompenses et les prix entre 2016 (Prix Jeune Femme Architecte) et 2024, en passant, entre autres, par la Médaille d’Architecture prix Dejean de l’Académie d’Architecture en 2022, ou encore le Prix Pierre Cardin de l’Académie des Beaux-Arts (2017). En 2021, elle est promue au grade de Chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Jurée pour plusieurs prix, elle inspire les jeunes générations.
Amelia Tavella aime l’éclectisme et innove en pratiquant l’architecture comme un art ouvert aux autres arts. De fait, elle collabore régulièrement avec des artistes, écrivains, historiens, etc. Ses travaux reflètent cet état d'esprit. Ainsi, elle est à l’origine du Conservatoire Henri Tomasi, avec Rudy Ricciotti, de la réhabilitation du château du Seuil en Provence, ou encore de l’école du Piton de Cabriès.
Pour l’écrivaine Nadia Bouraoui, auteure du communiqué de presse, elle "construit sans défaire, elle invente sans renier. Souci du détail, esthète, écologiste, travailleuse acharnée, ses projets embrassent une forme de poésie. Féminine et féministe, elle est l’une des rares femmes à la tête d’une agence".
Amelia Tavella. © Thibaut Dini
Le couvent Saint François. © Thibaut Dini
L’architecte Amelia Tavella est donc sélectionnée pour son projet "Renaissance du Couvent Saint-François", un couvent se trouvant sur son île natale, la Corse. Le jury a déclaré qu'il avait eu à cœur de choisir des ouvrages pouvant servir de modèles comme de références pour les politiques locales car ils "transforment et améliorent les conditions de vie de communautés relativement petites dans des lieux qui ont connu différents processus d’oubli". Pour Amelia, le choix du Couvent Saint-François était aussi en ce sens une évidence, pour elle qui croit "aux forces supérieures et invisibles". D'ailleurs, "Le couvent Saint-François s’inscrit dans cette croyance". […] La foi se rallie au sublime, d’autant plus que chaque œuvre est une œuvre amoureuse. Amour du lieu, de l’édifice, de sa mutation".
Situé à Sainte Lucie de Tallano, en Corse du Sud, au cœur des montagnes corses et perché sur son promontoire, d'où il contemple les oliviers, le maquis, les cols et les crêtes, le couvent Saint François fut édifié en 1492 sous l’égide de Renuccio, comte della Roca et du Talavo, d’abord comme château défensif, ensuite comme lieu de prière et de retraite, choisi par des "moines conscients de la beauté absolu du site", comme le souligne Amelia. Aux 16e et 17e siècles, il a fait figure de centre franciscain très actif, avant d’être vendu comme bien national à la Révolution.
À l’origine, il se composait donc d'un fort et d'un château, l’église et le bâtiment central ayant été ensuite adjoints. L’ensemble a été classé monument historique par arrêté du 11 mars 1980.
Dos au cimetière, scrutant le village de Saint Lucie de Tallano à ses pieds, le couvent se compose désormais essentiellement d’une aile sud-ouest, constituée par l’église et propriété de la mairie de Sainte Lucie, ainsi que d’une aile conventuelle, gérée par la Collectivité Territoriale de Corse, et qui a fait l’objet de la restauration de la jeune architecte.
Le couvent Saint François (Corse), classé monument historique par arrêté du 11 mars 1980. ©Thibault Dini
Pour Amelia Tavella, l’objectif était de rebâtir le couvent, qui tombait partiellement en ruines, accessoirement dans l’oubli, sans faire table rase du passé. Désormais, il existe en deux scènes.
La première, restaurée depuis l’empreinte originelle, et la seconde, celle qui était détruite et porte désormais une "robe de cuivre étincelante", le matériau choisi par Amelia Tavella car transmettant à la pierre sa force perdue, "s’incrustant au bâti d’origine et magnifiant le sacré", comme l'écrit Nina Bouraoui dans le dossier de presse. Le cuivre se marie merveilleusement bien à la pierre, la sublimant, reflétant la lumière, même si en Corse, il n’y a jamais qu’une seule lumière mais bien une pluralité de lumières.
L'habillage de cuivre étincelant et les multitudes de lumière qui en découlent. © Thibault Dini
Pour cette réfection chatoyante, coruscante, Amelia Tavella a suivi son propre cahier des charges : sa passion pour son île, la nature qui l'environne et surtout le respect de l’Histoire de la Corse, comme de ses habitants. Ainsi, la nature s’étant invitée entre les pierres séculaires du couvent, l’architecte a décidé de conserver le figuier s’étant niché au creux de la façade, et ce jusqu’à s’y fondre.
Pour Amelia, respecter le passé tout en le transformant, en le magnifiant, était une condition sine qua non : "J’ai choisi de garder les ruines et de remplacer la part arrachée, part fantôme, en œuvre de cuivre. J’ai marché dans les traces du passé, reliant la beauté à la foi, la foi à l’art, faisant circuler les esprits d’avant vers une forme de modernité qui jamais n’altère. Les ruines sont des vestiges, des empreintes. Elles disent aussi les fondations et une vérité. Elles furent des phares, des points cardinaux, orientant nos axes, nos choix, nos volumes".
Amelia Tavella a suivi son propre cahier des charges : sa passion pour son île, la nature qui l'environne et surtout le respect de l’Histoire de la Corse, comme de ses habitants. © Thibault Dini
Une façon de fonctionner que l’architecte revendique et qui est intrinsèquement liée à sa corsitude : "J’ai toujours ainsi bâti sur mon île, telle une archéologue qui rassemble ce qui était à ce qui est et à ce qui adviendra ; je ne retire pas, j’accroche, lie, appose, fait glisser, prenant appui sur l’œuvre d’origine : le cuivre révèle la pierre et il sacralise l’état ruiniforme".
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Félicitation, Je ne connais pas plus cette artiste que la corse, et étant amoureux des vieilles pierres et de l'époque médiévale, je reconnais que je n'aurais pas pensée que le cuivre puisse être si bien intégré dans cette architecture. Merci pour m'avoir fait voyager et pour ce projet que je valide. Bien cordialement, Jean-Philippe CHAMBARD Expert en bâtiment & construction Expertise @udit Métré en bâtiment & construction