Depuis plusieurs années déjà, architectes, bureaux d’études et majors du bâtiment ont franchi le pas de la numérisation des chantiers jusqu’à adopter la maquette 3D. Désormais, il faut organiser le ruissellement.
En navigant de stand en stand, le salon BIM World souligne clairement le gap qui s’est déjà creusé entre ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas… digitalisés. Le 3 avril à 9h30, studio 2, les responsables de l’Unfa et les architectes de l’agence A26 présentent les capacités de l’intelligence artificielle pour la création de bâtiments.
Actuellement, il est possible de recourir jusqu’à trente IA génératives pour commencer un projet. En plus de cela, les cabinets structurent des équipes de codeurs pour créer des algorithmes spécifiques. Une véritable force de frappe technique et esthétique. Pour un programme donné et toutes ses contraintes, les concepteurs peuvent ainsi faire le tri parmi divers brouillons de projets auxquels ils apporteront leur vision personnelle, leurs changements en profondeur ou à la marge. Le tout, en 3D et en BIM. Des prises de paroles qui donnent le la.
À l’autre bout de la chaîne, les entreprises semblent à la peine. Sur son stand, la FFB (Fédération Française du Bâtiment) montre son intérêt pour le sujet du BIM. L’organisation professionnelle est présente pour la deuxième fois sur ces journées. Une brochure a été éditée qui souligne les centres d’intérêts des adhérents : faire un relevé de cote avec un outil numérique, visionner une maquette, rédiger un rapport de chantier… Dans l’après-midi, Oliver Salleron, le président de la FFB, déroule une visite de stands pour prendre le pouls en compagnie de deux autres élus de l’organisation professionnelle : Cécile Mazaud, la présidente de la commission Innovation et transition numérique, et Nicolas Chabrand, le président du groupe de travail Construction numérique.
300 adhérents de la FFB avaient retenu leur badge d’accès au salon.
Olivier Salleron, président de la FFB (au centre), est allé à la rencontre des fournisseurs de solutions informatiques pour les entreprises, accompagné de deux élus : Cécile Mazaud, présidente de la commission Innovation et transition numérique (à gauche), et Nicolas Chabrand, président du groupe de travail Construction numérique (à droite). Ils sont reçus par Rémi Dornier, vice-président Architecture et construction de Dassault Systèmes. © BR
Nicolas Chabrand précise : "Depuis 3 ans que je suis ce dossier, nous avons fait l’état des lieux. La marche à franchir est importante. Nous préconisons des outils de base, plutôt simples et liés aux besoins et usages que sont le planning, le métré… Ce qui n’interdit pas de s’occuper de ceux qui ont fait la démarche de la construction numérique et du BIM. Le groupe de travail promulgue, évangélise le sujet du BIM, car nous sommes persuadés que c’est la grande innovation du 21? siècle."
Toutefois, il identifie les points durs : "Nous sommes un secteur d’activités qui a quelques réticences au changement ; il existe de nombreux rapport sur ce sujet. Le numérique est un moyen de retrouver de la productivité, de la valeur ajoutée et de la rentabilité, mais aussi réorganiser les entreprises parce que nous fonctionnons beaucoup en silo. Or, les principes du BIM et de la maquette numérique sont la collaboration, le travail et la compréhension collectives. Le succès tient à l’acculturation des entreprises pour parvenir à une vue d’ensemble des chantiers par tous les acteurs, des architectes, bureaux d’études et maîtres d’ouvrage jusqu’aux entreprises."
Pour soutenir cette démarche, Qualibat s’apprête, selon Daniel Jacquemot, son directeur de la politique technique, à lancer une mention BIM accrochée aux mentions de qualification. L’entreprise devra respecter quelques exigences :
– Avoir un référent BIM formé (par un enseignement initial, en continu ou par suivi d’un mooc) ;
– Et disposer d’un logiciel BIM.
Cette mention élaborée avec la FFB et la Capeb sera présentée au conseil d’administration de Qualibat en mai, puis fera l’objet d’une communication. "Les maîtres d’ouvrages sont demandeurs d’un choix d’entreprises avec des qualifications Qualibat et, en plus, d’un signe distinctif pour avoir travaillé sur un chantier BIM." indique Daniel Jacquemot. La mention aura la durée de la qualification.
Pour leur part, porteurs des solutions informatiques pour le bâtiment depuis des décennies, les fournisseurs de logiciels sont à la manœuvre pour répondre aux multiples opportunités qui se présentent. Les acteurs majeurs, l’américain Autodesk et l’allemand Nemetcheck, rivalisent de solutions, propriétaires ou compatibles.
Chez Nemetcheck, les ingénieurs du bâtiment ou des travaux publics, aménageurs et constructeurs peuvent recourir à Allplan pour produire des fichiers BIM 3D ; pour les mêmes finalités, les concepteurs de bâtiments utilisent plus facilement Archicad. Pour affiner les plans, l’application Solibri détecte de "clashs", ces défauts de conception (une poutre en béton sur le parcours d’une gaine de ventilation…) générateurs de retards de chantier.
Surtout, ce développeur propose toute une gamme d’outils pour gérer les données pendant et après le chantier. Disponible en version cloud depuis deux ans, BlueBEAM est déjà largement utilisé pour la collaboration entre parties prenantes d’un chantier pour échanger des fichiers. Puis, en phase d’exploitation, les données numériques sont utilisables par les entreprises de maintenance avec SpaceWell. Les gestionnaires d’ouvrages complexes comme les hôpitaux ou les aéroports préfèrent une application comme dRofus, conçue pour suivre l’ensemble du cycle de vie d’une construction. Pour exploiter les jumeaux numériques, dTwin est en mesure d’exploiter tous types de fichiers d’historiques de fonctionnement et de coupler ces informations contenues avec des indications adressées par toutes sortes de capteurs pour fournir un état des lieux en temps réel. Des fonctions prédictives de comportement ou de maintenance sont en test.
Côté Autodesk, on maintient les efforts pour offrir une palette de moyens à un large panorama d’utilisateurs. Si Revit ou Autocad demandent un investissement trop important, une entrée de gamme BIM est proposée avec Autocad LT. Mais, attention ! Les fonctionnalités sont réduites au minimum : mono-poste, peu de détails d’architecture, pratiquement pas de fonctions de conception CVC (chauffage, ventilation, climatisation) ou MEP (plomberie, électricité), pas de calculateur "carbone" … L’outil autorise la lecture des fichiers, l’édition des quantitatifs. En clair, c’est une visionneuse de plan d’un niveau élevé.
C’est essentiellement sur les applications de conception sophistiquées que se développent les innovations les plus remarquables. Chez Nemetcheck, les efforts sont portés par l’outil AI Visualizer, un add-on d’Archicad développé par Stable Diffusion et disponible depuis un an. Le principe consiste à prendre un plan en 3D en cours d’élaboration et, à l’aide de quelques "prompts" correctement rédigés, de lancer une intelligence artificielle générative pour tester une façade ou intégrer l’ouvrage dans un environnement de son choix.
Chez Audodesk, la philosophie en matière d’IA porte sur le traitement de tâche de conception répétitive, sur l’analyse en temps réel des ouvrages dans leur environnement urbain au regard des données de température, de vent, de bruit. La fonction Generative Design dans Revit permet notamment de présenter diverses possibilités d’intégration d’un programme dans un site pour en visualiser les rendus. Évidemment, les applications intègrent un calculateur carbone des constructions qui incrémente le fichier au fil de l’évolution du dessin. Pour ce faire, elles prennent en compte les bases de données mises à disposition par les industriels des matériaux de construction.
Autre remarquable application plug in adaptée à Revit : Wise BIM. Cette intelligence artificielle mise au point par la start-up éponyme portée par le CEA de Saclay et l’institut INES de Chambéry a pour intérêt d’automatiser le passage des plans 2D au format pdf en 3D au standard IFC. L’interprétation du tracé demandera des retouches pour une restitution fidèle ; des développements en cours devraient d’ailleurs permettre de réduire les écarts les plus grossiers. L’outil garantit cependant un très sérieux gain de temps.
À noter que des fournisseurs de logiciels tels Dassault Systèmes sont aussi sur les rangs pour servir le secteur du bâtiment. Rémi Dornier, le vice-président Architecture et Construction de Dassault Systèmes, était présent avec un message en phase avec la demande d’amélioration de la productivité sur les chantiers : "Ce qui est nouveau, c’est la démarche d’industrialisation. Nous nous sommes beaucoup concentrés sur les architectes, sur l’ingénierie. Nous avons mis en place le BIM. Il fait très bien le travail pour permettre aux architectes de spécifier un ouvrage et expliquer ce dont on a besoin. Ce qui manque, c’est la partie industrialisation de la construction. À ce titre, nous nous intéressons à l’ouvrage-projet : comment le décomposer pour établir "la liste des courses" c’est-à-dire, la nomenclature des besoins ? Comment piloter les équipes ou les robots pour construire juste, que ce soit sur le chantier ou sur des sites de kitting, de préfabrication… ?". En réponse, Rémi Dormier préconise le jumeau numérique à l’échelle d’un projet de construction : 'Il prend un BIM en entrée pour anticiper un projet de construction. Ce qui répond au besoin de traçabilité des matériaux, de conception en fonction de l’existant… C’est sur ces logiques que nous repensons nos solutions collaboratives et d’industrialisation."
Pour ce développeur qui annonce 20 % de parts de marché chez les industriels fournisseurs de produits de construction (menuiserie, métallerie, CVC, structure bois, …), l’enjeu est d’exploiter la maturité de ce réseau industriel pour la mettre au service d’entreprises qui, elles, doivent assembler, composer, … Rémi Dormier explique que "le cloud permet de faire ça. Et technologiquement, le design génératif est très puissant pour proposer des routines, des gammes opératoires." et résume la clé du succès : "Ce n’est pas le chantier qui doit aller vers le digital, mais le digital vers le chantier. Donc, comment développer des applications simples et efficaces pour collaborer en écosystème ouvert et motiver des compagnons qui ont 10 minutes toutes les deux heures à passer sur le digital ?"
Autre donnée importante à prendre en compte pour transformer le secteur de la construction : le développement durable. "En poussant l’énergie, cette notion a perturbé tous les métiers. Mais c’est un formidable accélérateur. Le développement durable accule des constructeurs, les artisans et les développeurs : il réduit leurs marges, fait émerger des besoins et conduit vers plus de polyvalence des compagnons. Nous avons actuellement une vraie pénurie de main d’œuvre et l’enjeu n’est pas de remplacer les métiers existants – certes, on a besoin d’expertise – mais de compenser ce manque de main d’œuvre en injectant de la polyvalence." analyse Rémi Dormier. Une difficulté que le digital serait en mesure de relever.
Le digital a besoin de données et de leur mise à disposition. Depuis quelques années, l’autrichien PlanRadar s’est imposé sur le marché de la gestion documentaire et des maquettes BIM. Mais une initiative française intéressante est menée depuis 2017, celle d’E-Cassini (l’entreprise a été primée en 2019 au CES de Las Végas). Cette structure basée à Cholet (Maine-et-Loire) développe une plateforme de stockage de données d’équipements urbains (quartiers, bâtiments, réseaux hydrauliques, …) et de transport (routes, installations ferroviaires, ...).
Le service d’E-Cassini s’adresse aux collectivités locales, aux aménageurs urbains, aux architectes ou aux services techniques des entreprises ferroviaires ou d’entretien des routes. En s’abonnant, ils peuvent stocker leurs informations et les exploiter. Exemple avec la création de jumeaux numériques de bâtiments existants. Il est ainsi possible de les renseigner de métadonnées, de prendre des cotes ou de transformer le nuage de points en maquette numérique. Après un développement national, l’entreprise s’implante au Brésil, au Canada et récemment en Espagne. Signe que la data et le BTP font concrètement bon ménage.
L’intérêt d’E-Cassini est d’avoir structuré son activité de recueil et de traitement de données géospaciales sur la base d’une fédération de compétences. Ses partenaires sont des géomètres (Setis, Hamel, Setec, etc.), des développeurs informatiques capable de fournir les outils d’exploitation des nuages de points produits (Bim Data, Geo Pixel, etc.) et des distributeurs de matériels (scanner, lidars, GPS). © E_Cassini
Le Mac a-t-il encore un intérêt pour les professionnels du bâtiment ? Depuis la disparition de la touche "pomme" il y a un quart de siècle et l’adoption d’un processeur compatible avec Windows, l’argument principal de l’outil fétiche des architectes semble être son esthétique et la fluidité de l’image. Mais n’est-il pas temps d’arrêter de mettre les deux pieds dans le même "ça beau" ? D’autant que les développeurs commencent à ne plus dupliquer leurs logiciels pour ces plateformes.
L’un des grands fournisseurs de PC pour les architectes et les bureaux d’études, le chinois Lenovo, repreneur du savoir-faire d’IBM, a trouvé il y a quelques années une astuce de séduction : le design. Il fallait y penser !
La série "P" de ce fabricant de stations de travail est adaptée aux plus puissants processeurs Intel ou AMD et cartes graphiques AMD ou Nvidia nécessaires au travail de conception en 3D sur de lourds fichiers. Surtout, fin du fin, la tour et de la disposition intérieure de ses composants, notamment son circuit de ventilation, ont été confiées aux équipes du constructeur automobile britannique Aston Martin.
C’est vrai que capot ouvert, la machine a un certain charme… Tout est parfaitement rangé. Ainsi, le dernier modèle de station de travail P8 à enveloppe d’aluminium noir et rouge mate embarque une carte mère pouvant être équipée d’un processeur AMD à 96 cœurs et de 2,5 GHz, boostable jusqu’à 5,3 GHz (24 cœurs en version de base).
Totalement configurable, cet outil hyper puissant est proposé de 4 000 à plus de 20 000 euros selon les options … Mais sans écran, clavier et souris. Qui va s’arrêter à ce genre de détail ? © BR
30 km/j avec une précision centimétrique : ce module pèse 23 kg et est capable de scanner un parcours routier à raison de 30 km par jour pour restituer des nuages de points et des images panoramiques prises par 6 caméras de 12 mégapixels. Leur précision est de ± 11 mm. Présenté sur BIM World par l’entreprise de géomètres experts Carrier, basée en Haute-Savoie, cet outil Leica TRK700 NEO dispose de deux scanners capables d’enregistrer un million de points par seconde. Le nuage de point et les images vidéo peuvent être mixées dans un partage HxDr pour une restitution d’une grande lisibilité. Leica propose une gamme de quatre matériels de ce type : les NEO 500 et 700, d’une précision centimétrique, et les EVO 500 et 700 d’une précision millimétrique. © BR