En France, les installations photovoltaïques au sol et sur toitures sont très précisément réglementées. Avant le Colloque National Photovoltaïque, organisé par le SER (Syndicat des Énergies Renouvelables) ce 30 mai à Montpellier, la rumeur d’une modification du tarif S21 a suscité une levée de boucliers.
Ce qui suggère immédiatement deux questions : qu’est-ce que le S21 et pourquoi est-ce que la réglementation contrôle toujours très étroitement le développement du photovoltaïque ?
Pourquoi la réglementation française est-elle aussi tatillonne envers le photovoltaïque ? C’était le thème, inavoué, de la journée photovoltaïque du 30 mai, organisée à Montpellier par le SER. © PP
Commençons par rappeler quelques faits incontestables. En 2020, la France était le seul pays de l’Union Européenne à ne pas avoir atteint l’objectif fixé par l’Europe de 23 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique. La PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie) en vogueur pour la période 2019 – 2028, adoptée en avril 2020, prévoit 35,1 à 44 GWc de capacité photovoltaïque installée en 2028, avec un palier intermédiaire à 20,1 GWc en 2023. Cet objectif n’a pas été atteint.
Selon le 49ème Observatoire de l’énergie solaire en France en février 2024 par France Territoire Solaire, l’année 2023 a vu le raccordement de 3,135 GWc de capacité photovoltaïque nouvelle. Ce qui constitue un record, mais la capacité photovoltaïque totale installée en France n’est que de 18,037 GWc fin 2023. Pour atteindre l’objectif fixé par la PPE en 2028, il faut donc accélérer nettement et atteindre 4,25 GWc de capacité nouvelle installée durant les quatre années qui restent si l’on veut atteindre le bas de la fourchette de la PPE fixé à 35,1 GW et monter à 6,5 GWc installés par an pour atteindre les 44 GWc du haut de la fourchette. © PP
De son côté, Bruno Le Maire a avancé un objectif de 100 GWc PV installés en 2035, sans doute un peu unilatéralement, au cours de son discours le 5 d’avril à Manosque. Pour y parvenir, le parlement, le gouvernement et l’administration ont adopté une série de textes.
Mais voilà, Daniel Bour, président d’Enerplan et président de Générale du Solaire, a souligné en ouverture de la journée du photovoltaïque à Montpellier le 30 mai, que loin de faciliter le développement du photovoltaïque, la loi APER (Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables) loin d’accélérer l’instruction des permis de construire des projets photovoltaïques, ralentit les délais d’instruction et complexifie les démarches administratives.
Daniel Bour, à droite, indiquait qu’il faut en moyenne 6 ans de démarches pour autoriser une installation photovoltaïque au sol en France, contre 18 mois en Allemagne. © PP
La loi APER a introduit de nouvelles mesures et institué de nouvelles procédures et interlocuteurs à l’échelon local, mais surtout un rapport publié par l’Assemblée Nationale montre que seulement 31 % des dispositions réglementaires nécessaires à l’application de la loi APER ont été prises 11 mois après la promulgation de la loi. Notamment, le décret précisant la mise en œuvre de PPA (Contrat d’achat de gré à gré ou Purchasing Power Agreement) n’est pas encore paru. Le texte mis en consultation semble de plus limiter cette nouvelle possibilité à quelques fournisseurs ou agrégateurs. Ce qui n’est nullement mentionné dans le texte de la loi APER.
On compte quatre types d’aides au photovoltaïque en ce moment, elles portent avant tout sur les tarifs de revente de l’électricité produite par une installation photovoltaïque et peuvent être regroupées en deux grandes catégories : le guichet ouvert et les procédures d’appel d’offres.
Le guichet ouvert concerne les installations d’une puissance inférieure à 500 kWc et relèvent de l’obligation d’achat. Les distributeurs d’électricité en France – EDF, mais aussi les Régies locales de distribution d’électricité – ont l’obligation d’acheter l’électricité PV produit par des installations de moins de 500 kWc à un prix fixé par l’État. Aujourd’hui, les conditions d’accès à ce guichet ouvert sont fixées par l’arrêté tarifaire du 6 octobre 2021, dit S21. La partie strictement tarifaire de cet arrêté déjà été modifiée cinq fois. Les montants en vigueur résultent de l’arrêté du 5 Mars 2024. C’est à propos de ce S21, donc la procédure d’obligation d’achat pour les puissances inférieures à 500 kWc, qu’une rumeur a couru avant la journée photovoltaïque du 30 mai.
La rumeur à propos du S21 a un fondement bien réel. La DGEC (Direction générale de l’Énergie et du Climat) rattachée au ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires, avait officiellement demandé à Enerplan et au SER de se prononcer en quelques jours sur deux propositions pour réduire les dépenses publiques induites par la mise en œuvre du S21 pour les puissances de 100 à moins de 500 kWc.
Pourtant, le PV est fournisseur de recettes nettes au budget de l’État. En 2023, le segment des systèmes PV de 100 à 500 kWc a représenté 60 % de la puissance installée en France avec environ 1,8 GWc et représentent environs 200 000 chantiers par an. La DGEC proposait soit de passer en procédure d’appel d’offres de 100 à moins de 500 kWc, comme c’était le cas avant l’arrêté d’octobre 2021, soit passer en guichet fermé entre 100 et <500 kWc. Il faut avouer que je n’ai pas compris quelle est la différence entre guichet fermé et appels d’offres, mais je cherche toujours.
Le 30 mai à Montpellier, Hermine Durand qui parlait au nom de la DGEC, a expliqué qu’il n’y avait aucun arbitrage et que la structure actuelle du S21 n’était pas remise en cause. Pour l’instant, pourrait-on ajouter : le boulet est passé près et il s’agissait d’une parfaite contradiction avec les objectifs affichés par le gouvernement à la fois en matière de développement du PV en France, mais aussi en ce qui concerne la réindustrialisation de notre pays avec le soutien affiché au développement de gigafactories produisant en France des panneaux solaires photovoltaïques, etc. © PP
La nouvelle PPE doit être mise en discussion le 6 juin 2024. Plusieurs participants à la journée du 30 mai ont rappelé qu’il serait rassurant qu’elle sanctuarise en quelque sorte l’objectif annuel de 6 GWc de nouvelle capacité photovoltaïque en France.
Ah, les participants souhaitent aussi que l’arrêté dit "S24" et portant sur le "petit solaire" au sol de moins de 1 MWc, prévu par la loi APER, soit enfin publié.
Outre le S21 et son guichet ouvert, il existe également trois procédures d’appel d’offres :
– appel d’offres bâtiment de 500 kWc à 8 MWc ;
– Appel d’offre d’autoconsommation de 100 kWc à 1 MWc ;
– Appel d’offres parc au sol et ombrières de 500 kWc à 30 MWc.
L’autoconsommation individuelle – le fait pour un producteur de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation – est régie par l’article L315-1 du Code de l’Énergie. L’autoconsommation collective – répartition d’une ou de plusieurs productions PV entre un ou plusieurs consommateurs géographiquement proches – est plus complexe et fait l’objet d’un chapitre entier – le Chapitre V – du Code de l’Énergie. Individuelle ou collective, l’autoconsommation peut s’accompagner ou pas de la vente du surplus non-autoconsommé et dans ce cas les kWh autoproduits sont exonérés de taxes et du TURPE (Tarif d’Utilisation du Rréseau Public d’Électricité). En revanche, si l’installation PV est directement raccordée au réseau dans le cadre d’une opération d’autoconsommation collective (par exemple, le PV de la toiture d’une école alimentant les ateliers municipaux de la même commune à quelques centaines de mètres du lieu de production), l’électricité est soumise aux taxes diverses et au TURPE. Ce qui réduit la rentabilité de l’opération d’autoconsommation collective. D’ailleurs, les prochaines modalités du TURPE, dites "TURPE 7", devraient entrer en vigueur le 1er août 2025. Les participants à la journée du 30 mai n’en attendent rien de bon et enjoignent tous les porteurs de projets d’autoconsommation collective de les conclure avant le 1er août 2025.
Frank Charton, délégué général de Périfem, à gauche, a rappelé que le photovoltaïque est nécessaire pour l’équilibre financier des adhérents de son organisation qui rassemble les grands commerces et centres commerciaux. Mais, ajoute-il, la loi sur l’obligation de solariser les parkings va trop vite et n’est pas réaliste. Elle demande en effet de couvrir 50 % des parkings de plus de 1 500 m², ce qui représente 35 millions de panneaux PV et environ 11 à 12 Md€ d’investissement, d’ici 4 ans, dont 1/3 de l’obligation portant sur les parkings de plus de 10 000 m², à mettre en œuvre d’ici 2 ans. Ce n’est pas possible, sachant que l’instruction d’un projet PV dure 18 mois. De plus, les adhérents de Périfem veulent de l’autoconsommation collective, pour laquelle les modalités ne sont pas encore connues. Périfem demande donc un décalage des obligations de couverture des parkings jusqu’à 2030. Nicolas Ott, directeur du développement du groupe ELMY, second en partant de la droite, a souligné que le potentiel du PV en toiture est énorme et atteint 200 à 300 GWc. Ce qui est trop important pour la capacité d’absorption du réseau français. Il recommande donc que les installations sur les bâtiments soient dimensionnées en fonction des besoins d’autoconsommation du bâtiment, de manière à éviter une surproduction généralisée. © PP
Côté industrie et fabrication des panneaux en France, Pierre-Jean Ribeyron, second en partant de la gauche, adjoint au directeur du CEA-LITEN, vice-président de l’Institut de la transition énergétique INES, a recommandé de ne pas cumuler les risques dans le développement des gigafactories en France : le risque financier (l’investissement nécessaire pour une gigafactory atteint 1 Md€) et le risque industriel en se lançant tout de suite dans des technologies dont la fabrication industrielle n’est pas maîtrisée. Il recommande de commencer par les meilleures technologies au silicium actuelles – Topcon et hétérojonction – qui permettent d’atteindre un rendement théorique de 29 %, avant de se lancer dans l’ajout de pérovskite qui pourrait parvenir à un rendement théorique maximum de 35 %, mais présente d’importantes difficultés d’industrialisation. © PP
Côté gigafactories en France, Pierre-Emmanuel Martin, président de Carbon, a expliqué que le projet Carbon avance bien : une première ligne de 500 MW est prévue en 2025, avant de pousser la capacité à 5 GWc par an dès 2026. Carbon à Fos-sur-Mer est un projet intégré. L’entreprise produira des lingots de silicium, des wafers, des cellules et des panneaux PV. Le projet HoloSolis à Hambach, près de Sarreguemines, a vu le 15 mai la signature du compromis de vente du terrain sur lequel sera construite l’usine qui fabriquera cellules et panneaux PV. © PP
La conclusion de ce compromis de vente est l’occasion pour M. Boom-Wichers, le président d’HoloSolis, de faire part de sa satisfaction quant aux avancées du projet : "L'acquisition de ce terrain de plus de 50 hectares à Hambach est une nouvelle étape clé pour HoloSolis, permettant la construction de la gigafactory de Sarreguemines-Hambach. Ce terrain unique en France, immédiatement prêt à l'emploi, est entièrement viabilisé avec eau, gaz et électricité suffisante pour la construction de l'usine et la production la première tranche de 1,7 GW de panneaux et cellules photovoltaïques. De plus, la région mosellane offre un riche tissu industriel, idéal pour trouver des employés expérimentés et motivés. Au nom de toute l’équipe HoloSolis et de nos actionnaires, je remercie la SEBL et la Communauté d’Agglomération Sarreguemines Confluences pour leur collaboration constructive à tous les niveaux qui a permis d’aboutir à un accord équitable pour l’acquisition de ce terrain à Europôle 2, Hambach." ©PP
Nous n'avons toujours pas compris ce qui justifie une tellle minutie administrative envers le développement du photovoltaïque en France.