Avec l'arrivée programmée de nouveaux seuils carbone en 2025 et 2028, les MOA et MOE mais aussi les filières industrielles se préparent à des transformations majeures qui passent sur les projets par un travail collaboratif renforcé dès la phase études.
L'arrivée progressive de la RE2020 est organisée par étapes, tout d'abord par typologies de bâtiments avec des valeurs max fixées pour la consommation d'énergie et pour l'empreinte carbone. L'entrée en vigueur s'est faite au 1er janvier 2022 pour le résidentiel et au 1er juillet 2022 pour les bâtiments de bureaux et d’enseignement primaire et secondaire. Non confirmés à l'heure actuelle par décret, de nouveaux usages devraient être concernés à partir de 2025 comme les médiathèques, bibliothèques, commerces, etc. Une autre progressivité vient de l'instauration de nouveaux seuils d'émission de carbone plus exigeants que le seuil initial 2022, en 2025, 2028, 2031..., avec en ligne de mire d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Les deux indicateurs concernés par cette évolution sont l’indice carbone de la construction (IC Construction) qui concerne le gros œuvre mais aussi le second œuvre et les équipements techniques et l’indice carbone de l’énergie (IC Energie). Ces valeurs diffèrent suivant la typologie de bâtiments (habitat individuel, collectif, bureaux, etc). À titre d'exemple, le seuil max moyen réglementaire pour IC Construction est réduit à un rythme relativement rapide en logements collectifs de 740 kg éq. CO2/m2 en 2022 à 650 en 2025, 580 en 2028 et 490 en 2031.
Préparer une telle transformation des projets de construction s'effectue avec des expérimentations et des chantiers pilotes, des programmes R&D et des ruptures industrielles. Ainsi le label expérimental E+C- a préparé l'arrivée de la nouvelle réglementation, certes avec des différences sur la manière de calculer les indicateurs rendant difficile la comparaison précise des projets. Sur les opérations, l'obtention de certifications de type HQE ou Breeam et de labels comme BBCA, encourage à définir et à mettre en œuvre les modes constructifs de demain à base de matériaux recyclés, peu carbonés comme le béton CEM III, biosourcés ou géosourcés.
Ainsi, sur toutes ses opérations actuelles, le bailleur CDC Habitat suit ses engagements environnementaux, qui intègrent notamment l’anticipation du seuil 2025 de la RE2020. Quelques opérations plus ambitieuses ciblent le seuil 2028. "D'autres bailleurs ou promoteurs engagent déjà des opérations pour répondre au seuil 2031, et on voit que pour atteindre ce type de performances, tout se joue dès la conception, en particulier, les choix de matériaux, de systèmes constructifs, de fournisseurs. Globalement avec le biosourcé, chanvre, bois, paille, le hors site gagne en importance, tout comme la question des ressources locales et de la maturité des filières. L’évolution des manières de construire et des matériaux de construction, qu'ils soient biosourcés, géosourcés ou issus de l’économie circulaire, doit s’accompagner d’un maillage d’entreprises sur les territoires", précise Sandrine Blasco, responsable du pilotage de la RSE en Île-de-France chez CDC Habitat. Mais au delà des opérations pilotes, il est devenu nécessaire d'arriver à massifier, à un prix acceptable pour le marché et avec des techniques réalisables par les entreprises en terme de savoir-faire.
La résidence Catherine Leroy de CDC Habitat à Sannois (95) affiche de nombreux labels : NF Habitat HQE, E+C-, BBC A. Une opération de 27 logements répartis en deux bâtiments bois. En élevant les deux bâtiments sur la dalle d’un parking sous-terrain de la résidence Bel Air (patrimoine CDC Habitat), Grand Paris Habitat s’inscrit sur le chemin de la densification. © Vincent Krieger
Les premiers retours d'expérience relativement nombreux en logement individuel ou collectif et plus rares en bureaux, montrent que la première étape de la RE2020 est maîtrisée. Certes il faut faire attention, utiliser les matériaux à l'économie et introduire ponctuellement du recyclé, du bas carbone ou du biosourcé. Le plus grand défi est de mettre l'organisation en place. Le calcul ACV sert de fil directeur tout au long du projet, avant le dépôt du PC. En revanche, 2025 et surtout 2028 ne sont pas aussi faciles à atteindre. Certains modes constructifs vont devenir très difficiles à faire passer comme la façade alu double peau en tertiaire. En logement, le béton peu carboné permet de quasi conserver ses habitudes de travail mais il est plus coûteux et le clinker de hauts fourneaux venant en substitut dans le ciment, est une ressource limitée. Dans ces conditions la réponse en gros œuvre est fréquemment la mixité des matériaux en commençant par les planchers ou le remplissage des façades. Pour le seuil 2031, quelques opérations tout en bois montrent la voie mais le gap est énorme à à l'échelle de l'ensemble de la profession.
Le bailleur social Plurial Novilia a lancé ses premières opérations RE2020 en habitat individuel avec deux changements importants en ce qui concerne le gros œuvre. Sur les planchers, habituellement, les dalles porteuses étaient entièrement en béton sur 20 cm d'épaisseur. "Ce mode constructif ne répond plus aux nouvelles exigences carbone et le béton bas carbone, plus coûteux, est aussi plus difficile à contrôler. Aussi nous privilégions des systèmes en poutrelles et hourdis pour les planchers bas et haut du rez-de-chaussée. Les poutrelles sont en béton classiques. Les systèmes de planchers employés sont par exemple de type Rector avec pour le plancher bas des hourdis isolés en polyester et pour les planchers hauts des hourdis biosourcés en bois", précise Pierre Duvernoy, directeur d'exploitation chez Plurial Novilia. Le deuxième changement concerne les murs. Les briques monomurs ont été remplacées par des blocs agglo bas carbone comme par exemple les blocs Alkern avec insertion de bois à la place des granulats. Les premiers programmes RE2020 du bailleur sont neuf maisons à Sillery (51), quinze maisons à Epernay (51) et treize maisons à Tinqueux (51) avec blocs Alkern Natur R1.
Prévu en livraison à fin 2025, ce programme de 15 maisons individuelles (7 T3, 7 T4 et 1 T5) à Épernay, quartier Rosemont, vient de l'agence d'architecture P+S à Reims, avec un budget de 4.6 M€ TTC. Performance RE 2020 seuil 2025, avec en RDC murs en blocs de béton creux traditionnels et plancher poutrelles hourdis et en R+1 ossatures murs et charpentes en bois. © Plurial Novilia
En collectif, le bailleur sait répondre au premier seuil de la RE2020 par une construction classique avec des planchers entièrement béton et en façades des briques monomurs ou de l'agglo en maçonnerie ou du voile béton. Pour le prochain seuil 2025, il est nécessaire de passer à une ossature porteuse en façades avec structure bois ou dans autre matériau peu carboné. Deux opérations RT2012 sont en cours (107 logements à Bussy-Saint-Georges (77) et 25 logements à Tinqueux) qui préparent aux solutions constructives en RE2020. Le principe est celui d'une ossature poteaux poutres béton et planchers béton mais avec des façades à ossature bois. Sur ces deux premiers projets, les panneaux à ossature bois sont fabriqués par Le Bâtiment Associé situé à Muizon (51), livrés par camions et posés par un charpentier sur les cornières en attente en nez de dalle. "Les panneaux sont préassemblés avec leur ossature bois, de l'isolant, un pare vapeur et un pare pluie. Sur site, on pose les menuiseries, le placo intérieur et le revêtement extérieur. Ces solutions mixtes permettent d'atteindre plus facilement les prochains seuils carbone. L'ajout de bois se fait prioritairement sur des éléments où il n'y a pas de reprise de charges comme les façades. Pour le seuil 2025, nous avons une première opération en développement. En revanche pour le seuil 2031, nous anticipons la nécessité d'une structure entièrement en bois", précise Pierre Duvernoy. En collectif, la sortie des FDES à jour est aussi un point crucial comme les matériaux du gros œuvre représentent une part importante du bilan carbone.
Programme de 25 logements collectifs (8 T2, 9 T3 et 8 T4) à Tinqueux, de l'agence ASP à Saint-Dié-des-Vosges (88), budget de 4.75 M€ TTC pour une livraison prévue au deuxième trimestre 2025. Performance RT 2012 passif obtenue par ossature en béton (poteaux, poutres, murs de refends et planchers) et remplissage des façades en ossatures bois (1200 m²). © Plurial Novilia
En logement individuel, le gros œuvre est fréquemment confié à de petites entreprises qui doivent maîtriser les spécificités de la pose de ces produits. "Pour le calcul carbone dans l'ACV demandé en RE, les entreprises doivent aussi apprendre à fournir dans leur offre la fiche FDES des produits utilisés. La nouveauté est que l'indice carbone du produit doit être similaire ou inférieur à la valeur renseignée dans l’étude ACV, dans le bon respect du marché. Il faut noter que progressivement les industriels comme ceux de briques en terre cuite qui décarbonent leurs produits, vont mettre à jour leurs FDES et du fait d'une meilleure empreinte carbone rendre leurs produits compétitifs pour la RE", complète Pierre Duvernoy. Le seuil carbone 2025 pour les maisons est ainsi atteint en combinant l'usage de nouveaux produits avec des FDES à jour, en remplacement des fiches collectives ou par défaut.
De son côté CDC Habitat s'est engagé, comme beaucoup de bailleurs, en signant un pacte avec Fibois à utiliser davantage de bois dans ses projets mais le recours au béton décarboné reste nécessaire. "Par rapport à la phase d'expérimentation E+C-, l'enjeu est de massifier, ce qui demande un effort collectif de toute la chaîne de l’acte de bâtir, mais pas seulement. Il y a aussi un enjeu de construire une nouvelle culture de la ville et de l’architecture qui intègre ces évolutions et leurs conséquences sur la densité, la compacité, les nouveaux usages, afin de surmonter les réticences. L'architecture ne peut pas être la même et le regard sur les bâtiments, mais plus globalement du cadre de vie, doit changer. La compacité, la trame et l'épaisseur du bâti évoluent, mais aussi l’aspect formel des bâtiments. Par exemple, en Autriche, il est accepté que le bois en bardage extérieur vieillisse de manière non uniforme, ce qui est beaucoup plus difficile à faire accepter en France", confie Sandrine Blasco.