Mercredi 19 juin matin, la CAPEB a présenté ses 8 priorités et ses 36 propositions aux candidats à la députation. Le même jour à 14 heures, le CAE (Conseil d’Analyse Économique), placé auprès du Premier Ministre, a présenté son analyse des dépenses publiques en faveur de la rénovation et ses propositions pour les rendre plus efficaces. Le contraste entre les deux discours était important.
Au cours d’une conférence de presse organisée le 19 juin, Jean-Christophe Repon, le président de la CAPEB, a rappelé que la dissolution avait entraîné l’arrêt des travaux du Parlement. Plusieurs lois déjà en discussion ou qui devaient venir devant le Parlement sont suspendues : la loi sur la simplification de la vie économique dont la CAPEB attendait la facilitation du GME (Groupement Momentané d’Entreprises sans solidarité) qui permet aux artisans de se regrouper pour de gros marchés, le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables, la loi Travail qui devait reconnaître l’importance et la spécificité des TPE (Très Petites Entreprises) (en moyenne les 61 000 adhérents de la CAPEB comptent trois salariés) et assurer une meilleure représentation des TPE dans les instances patronales, etc. La loi travail devait permettre aux représentants des TPE, lorsqu’ils représentent plus de 50 % des entreprises adhérentes, de s’opposer à des accords négociés à leur place par les grandes firmes.
Nul ne sait, en fonction du résultat des élections législatives, si les travaux sur ces textes reprendront ou s’ils disparaîtront. Bref, l’année 2024 avait déjà mal commencé avec le cafouillage sur MaPrimeRénov’, rectifié en mai avec le retour des gestes individuels qui aurait pu s’avérer fructueux, sauf que la dissolution provoque un fort attentisme. L’activité au 1er trimestre 2024 a baissé de 1,5 % en volume par rapport au 1er trimestre 2023. Il est sûr désormais que rien ne se passera vraiment avant l’automne. L’année est perdue.
Du coup, comme tous les Français, les artisans sont inquiets et énervés. Mais Jean-Christophe Repon le souligne, la CAPEB évite soigneusement de souffler sur les braises. Elle se veut force de proposition. Par exemple, lors des négociations entre les partenaires sociaux sur l’assurance-chômage, la CAPEB était favorable à la reconnaissance de tous les partenaires sociaux et pour des négociations responsables, notamment pour éviter la croissance de la radicalité de la société française. Le MEDEF, au contraire, s’est campé sur des positions maximalistes, les négociations ont échoué, ouvrant la voie au gouvernement qui a décidé de sévériser les conditions d’indemnisation du chômage.
La CAPEB estime qu’en ce qui la concerne, elle met en avant des propositions constructives pour ses membres, mais aussi pour la société française. Comme le souligne Jean-Christophe Repon, avec trois salariés en moyenne, la principale caractéristique de ses 61 000 membres, c’est leur étroite imbrication dans le tissu social. 97 % des entreprises du bâtiment sont des TPE, soit 621 803 entreprises, 457 650 d’entre elles ont zéro salarié, tandis que 164 153 entreprises emploient entre 1 et 10 salariés. Les TPE, c’est aussi 46 % du chiffre d’affaires du bâtiment.
En face, rapporte-t-il, une sur quatre de leurs propositions est reprise par le gouvernement. L’énervement des artisans – tous les adhérents de la CAPEB participent à la construction des propositions qu’elle porte – vient aussi du fait qu’ils ont le sentiment de ne pas être entendus.
Il reconnaît toutefois avoir trouvé une oreille plus attentive en Christophe Béchu. Plusieurs arbitrages favorables à la CAPEB étaient en cours, mais sont stoppés par la dissolution. L’accès à la qualification RGE par création d’une voie d’accès par l’expérience et validation par contrôle d’un ou deux chantiers était en bonne voie.
Les 61 000 membres de la CAPEB sont particulièrement investis dans la rénovation énergétique. La massification ne peut se faire sans eux. © PP
Poursuivant le travail engagé avant la dissolution, la CAPEB met en avant 8 priorités et 36 propositions au total :
– prendre en compte la voix des TPE : modifier les règles de la représentativité patronale pour mieux faire entendre les TPE ; avant toute nouvelle norme, réaliser un "test TPE" afin de bien comprendre ses conséquences sur les TPE ;
– Simplifier (drastiquement, précise la CAPEB) la vie des entreprises artisanales du bâtiment : éviter aux entreprises de produire plusieurs fois les mêmes documents, faciliter l’accès à la REP du bâtiment, etc. ;
– Permettre le développement économique des entreprises artisanales du bâtiment : recours au GME, interdire la sous-traitance en cascade, pas plus de deux rangs, un non-RGE ne doit pas pouvoir sous-traiter à une entreprise RGE pour décourager la fraude ;
– Faciliter la mobilisation des TPE pour permettre la massification de la rénovation des logements : accès à la qualification RGE par l’expérience, taux de TVA à 5,5 % pour tous les travaux de rénovation, adapter MaPrimeRenov’ et MaPrimeAdapt pour permettre un parcours de rénovation globale personnalisé en une succession de gestes simples, pérenniser le programme de formation OSCAR, créer une base de données unique des bénéficiaires des différentes aides et simplifier le montage des dossiers ;
– Accroître l’accès des entreprises artisanales du bâtiment à la commande publique : garantir l’allotissement des marchés publics, seul mécanisme d’accès direct pour les TPE, faire respecter strictement les délais de paiement, simplifier la plateforme des marchés CHORUS PRO qui requiert aujourd’hui une formation préalable des entreprises, pérenniser le seuil des 100 000 € HT de montant de travaux dispensé de publicité et de mise en concurrence pour les marchés publics de travaux ;
– Lutter efficacement contre la concurrence déloyale sous toutes ses formes : limiter à 24 mois le régime de la micro-entreprise en activité principale, supprimer le détachement de travailleurs à travers des sociétés d’intérim étrangères, …
– Promouvoir l’entretien, la rénovation et la restauration du patrimoine bâti : augmenter les financements pour la restauration du patrimoine, promouvoir les signes de qualité comme le CIP (Certificat d’Identité Professionnelle) Patrimoine, …
– Soutenir l’attractivité des métiers du bâtiment : offrir aux nouvelles génération un choix d’orientation professionnelle vers les entreprises artisanales du bâtiment, assurer le financement pérenne de l’apprentissage en renforçant la place des partenaires sociaux, sanctuariser l’accompagnement financier des entreprises artisanales pour l’embauche d’apprentis, etc.
Le développement des GME - Groupement Momentané d'Entreprises sans solidarité - est un outil essentiel pour permettre au TPE d'accéder aux marchés de travaux plus importants dont elles sont souvent exclues. © PP
Le même jour, le CAE (Conseil d’Analyse Économique) a présenté son analyse de l’efficacité de la dépense publique en matière de rénovation des logements et ses propositions pour l’améliorer.
Cet exercice était très théorique. Le CAE estime qu’il faut investir 150 milliards d’euros pour atteindre la neutralité carbone du parc de logement en 2050, soit 8 Md€/an. Si l’on veut aller plus vite, la somme totale ne change pas, mais il faut augmenter l’investissement annuel.
Ensuite, l’analyse ne considère pas les facteurs non-économiques : les règles de fonctionnement des copropriétés qui ralentissent ou bloquent les travaux de rénovation, les règles d’urbanisme qui permettent de manière souvent capricieuse d’interdire l’ITE, par exemple, … Elle ne considère pas non-plus le caractère faisable ou non, voire recommandable ou pas, de la généralisation des pompes à chaleur par exemple : où les mettre en collectif en centre-ville ?
L’analyse du CAE conclu que seulement 5 % des rénovations sont actuellement financièrement rentables dans le parc privé, mais que si on levait les obstacles à l’investissement, 26 % des rénovations privées deviendraient rentables.
Le CAE considère que la rénovation par geste n’est pas efficace et veut remettre l’effort sur la rénovation globale. Il propose également que lors de la vente d’une passoire thermique, les communes augmentent les droits de mutation, les fameux "frais de notaire" et les remboursent ensuite à l’acquéreur s’il réalise des travaux de rénovation dans les deux ans qui suivent l’achat. Et le CAE propose la création d’un service public de la vérification de la qualité des rénovations. Il ne s’agit pas de vérifier tous les chantiers, mais une proportion importante de manière aléatoire pour instiller la vertu chez les entreprises.
Le principal défaut de ces travaux est qu’ils ne prennent pas en compte le fait que l’un des freins à la rénovation est que le régime des aides change tout le temps, bloquant l’élan des ménages et introduisant une invraisemblable complexité pour les acteurs de la rénovation. L’analyse du CAE, en revanche, considère que la mise en œuvre des mesures est efficace et ne tient pas compte de la complexité administrative de MaPrimeRénov’, de MaPrimeAdapt, … Bref, c’est un peu hors-sol.